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Jean Germain, le « présumé » n’a pas supporté être l’« accusé »
L’ancien maire de Tours s’est suicidé le 7 avril dernier, alors qu’il devait être entendu dans « l’affaire des mariages chinois ». Dans une lettre, il confesse ne plus avoir supporté la pression médiatico-judiciaire.
« Une affaire qui coûte cher », titrait La Nouvelle République en 2011. Le quotidien tourangeaux faisait alors paraître des révélations anonymes visant la mairie de Tours, et son parrainage douteux avec la Chine pour organiser des mariages « à la française ». Très au goût des Asiatiques, prêts à dépenser des sommes folles pour une lune de miel à Chambord ou Chenonceau, le simple « oui » rapporta gros à cette ville de 150 000 habitants et à la Région Centre, connue pour ses attraits touristiques très frenchy (Les Châteaux et la Vallée de la Loire, les vignobles, la langue, etc.). Bref, un filon que la municipalité n’avait pas pensé à exploiter, jusqu’à ce qu’une certaine Lise Han se propose de développer le partenariat, le tout au sein du cabinet de Jean Germain contre une confortable rémunération.
Seulement voilà, le marché est attribué sans appel d’offre à la société Time Lotus, anciennement dirigée par Mme Han, puis par son ex-mari, et enfin son mari. La société se faisait alors régler des factures par la mairie. Sans aucune vérification, ce sont environ 750 00 euros qui sortent des caisses publique en 2010. « Les sommes engagées commencent à semer le doute », écrit La Nouvelle République relatant les faits.
La justice se saisit de l’affaire en 2011. Comme tout bon animal politique, le maire sent le vent tourner et parachute discrètement la fauteuse de trouble à l’Office de Tourisme dont il est président. Rien de mieux pour mettre la justice en appétit : «En janvier 2013, Lise Han est mise en examen pour escroquerie, prise illégale d’intérêts et recel d’abus de bien public. Son mari, son ex-mari, le directeur de l’office de tourisme, Jean-François Lemarchand puis le directeur de cabinet, François Lagière, et le maire de Tours Jean Germain sont mis en examen tour à tour entre le mois de février et le mois de novembre 2013 », peut-on lire sur LaNouvelleRépublique.fr.
La violence de la vie publique

Le maire de Tours Jean Germain, soupçonné d’avoir participé à des « simulacres de mariages chinois » très fructueux. (Crédit photo : P. Deschamps)
L’homme n’a pas supporté le « déshonneur » d’être éclaboussé par cette affaire. Ce mardi 7 avril, un coup de fusil retentit à deux pas de la place Thiers à Tours. Jean Germain vient de mettre fin à ses jours à quelques heures du procès dans lequel il devait comparaître.
À l’annonce du décès par le procureur Jean-Luc Beck, l’avocat de l’ancien maire, M. Tricaud, s’exclame : « Jean Germain est un martyr de la République. Il a été jeté aux chiens à partir d’un tissu de ragots ». Des propos qui font écho aux dernières déclarations de son client, qu’il a laissées dans une lettre :
« Des indications me laissent penser que, alors que les délits n’ont pas eu lieu, le ministère public va requérir à mon encontre, pour des raisons plutôt politiques. C’est insupportable. Autant je peux reconnaître des erreurs, des manques de discernement, autant il m’est impossible d’accepter sans broncher cette forfaiture rendue possible par les actions de madame Han et les mensonges peureux de monsieur Lemarchand [directeur général de l’Office de tourisme de la ville]. Leur conscience les poursuivra. Je sais le mal que je vais faire, la peine que je vais diffuser à ceux qui m’aiment. Mais on ne peut laisser la chasse systématique aux politiques se dérouler “normalement”, quotidiennement. Il est des êtres, j’en suis, pour lesquels injustice et déshonneur sont insupportables. Soyez sûrs que je n’ai jamais détourné un centime, que je ne me suis pas enrichi, que j’ai toujours œuvré pour ce que je pensais être le bonheur des Tourangeaux. Je laisse des courriers à mes proches qui, je l’espère, leur permettront de comprendre. Amitiés à toutes et à tous. »
Que Jean Germain soit coupable ou non dans « l’affaire des mariages chinois », il est la victime d’un traitement public insupportable et récurrent dans les médias. Manque de temps, de précision, ou logique de l’audimat : les journaux télés ou radios qui portent aujourd’hui le brassard noir du deuil ont contribué à passer la corde au cou de cet ancien édile. De l’échelon local au national, la presse s’est repue de ce scandale, grossissant parfois le trait. Les 750.000 euros deviennent 800.000, le « présumé » devient « coupable » ou « accusé de », et l’on laisse courir les bruits de couloir, rehaussés d’une dose supplémentaire de scandale avec une prétendue liaison entre Jean Germain et Lise Han. Une fois la machine lancée, l’opinion publique se charge de faire retentir « l’affaire ». Jean Germain n’a pas supporté cette pression et ces mensonges, il glissait il y a peu à son conseiller qu’il avait l’impression que l’on riait de lui dans la rue.
Des faits similaires à ceux qui avaient conduit l’ancien ministre de François Mitterrand, Pierre Bérégovoy, à se suicider en 1993 après avoir quitté le gouvernement alors que son nom avait été cité dans une affaire politico-financière, sans qu’aucune action judiciaire n’ait été engagée contre lui. « Toutes les explications du monde ne justifieront pas qu’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme et finalement sa vie », avait lancé, accusateur, François Mitterrand (par « chiens », il semblerait qu’il s’agisse de la presse). Minute de silence à l’Assemblée et au Sénat, toute la classe politique s’est sentie concernée par ce suicide. Entre messages de soutien et indignation devant un « système qui s’emballe, sans discernement, sans considération pour l’honneur », selon le président du sénat Gérard Larcher (UMP), tous ont réagi. Le procès est maintenu, mais bien sûr reporté en octobre 2015 en raison des « circonstances insurmontables ».
Alex Gouty