Le yachting azuréen dans le creux de la vague

Depuis quelques années, l’économie du yachting du luxe n’est pas au mieux sur la Côte d’Azur. Les ports doivent faire face à une baisse de leur demande de places et à une concurrence accrue.

Imaginer le yachting en crise peut faire sourire, et pourtant… Même si le mot est un peu fort, le secteur des bateaux de luxe n’est pas au meilleur de sa forme sur la Côte. Les ports azuréens, où transite plus de 70% du trafic mondial des yachts, accusent une baisse de près de 4% de leur fréquentation et même plus de 10% pour les unités de plus de 65 mètres. Or, ce sont ces dernières qui permettent le plus de retombées sur l’économie locale.

A Cannes, pendant le Festival International du Film, le port est complet, mais c’est bien l’un des rares moments de l’année. Selon Laurent Monsaingeon, directeur des ports gérés par la Chambre de Commerce et de l’Industrie (CCI), « sur les 70 places débloquées cet hiver, la plupart sont restées libres ». Une baisse de la demande qui inquiète et qui pourrait avoir de graves conséquences si elle se confirme. Plus de 4000 personnes vivent du yachting de luxe en région PACA. A Antibes, « une immense partie » du chiffre d’affaires des commerçants vient des propriétaires de yachts. Et les marchands craignent que les difficultés connues par le secteur ne s’accentuent et ne deviennent une véritable crise. Ce scénario semble improbable mais sa seule possibilité fait planer une ombre d’inquiétude sur le futur de l’économie azuréenne.

Yacht à vendre dans le port de Cannes. (Crédit photo :  Wilhem Lelandais-Foyer)

Yacht à vendre dans le port de Cannes. (Crédit photo :  Wilhem Lelandais-Foyer)

 Une nouvelle clientèle

Laurent Monsaingeon estime que les difficultés proviennent avant tout d’un « changement de génération », ou plus exactement un changement d’activités de prédilection. Aujourd’hui, les jeunes sont de moins en moins attirés par le yachting, tandis que les propriétaires se font vieux. La nouvelle génération rechigne à investir dans un bateau pour en devenir propriétaire, dissuadée par le prix d’un yacht. Elle préfère avoir recours à des réseaux d’économie de partage permettant de louer ou d’en acheter un à plusieurs.

L’attrait de l’étranger

Laurent Monsaingeon remarque que « de nombreuses marinas se sont implantées un peu partout sur le pourtour méditerranéen » : Espagne (Iles Baléares), Italie (Ligurie, Sardaigne, Sicile), Croatie, Turquie… « Les pavillons étrangers sont de plus en plus attirés par ce genre de destinations, qui proposent une nouvelle offre » poursuit-il. Au Limassol Marina, à Chypre, un véritable complexe de luxe s’est développé autour du port : spa, grands hôtels, restaurants, golf…

Au delà de nos frontières, les ports étrangers sont mieux équipés grâce à leurs investissements. Les ports azuréens souffrent d’un manque d’équipements et d’ateliers de maintenance. Certains plaisanciers préfèrent même se tourner vers des plateformes portuaires industrielles dans lesquelles ils peuvent réparer leurs navires. Les yachters dépensent des millions d’euros chaque année dans les ateliers de peinture, vernissage et de réparation. « La configuration des ports azuréens ne permet pas ce genre d’infrastructures », avance Laurent Monsaigeon. « Nous devons développer une autre offre, avec de meilleurs services comme du WiFi gratuit, un parking sécurisé et de la vidéo surveillance ».

A Antibes, le « quai des milliardaires » n’affiche plus complet. (Crédit photo :  Wilhem Lelandais-Foyer)

A Antibes, le « quai des milliardaires » n’affiche plus complet. (Crédit photo :  Wilhem Lelandais-Foyer)

Une fiscalité pointée du doigt

D’un autre côté, « la fiscalité française n’est pas avantageuse, elle fait fuir la clientèle. Du coup, nous avons peu d’acheteurs sous pavillon français, seulement 4 en 2013 sur tout le territoire ». Lisa Asensio, responsable management à Yachting Concept à Cannes déplore le manque de compétitivité sur le plan fiscal de la France par rapport à ses voisins européens. « Les propriétaires achètent leur yacht à l’étranger, pour éviter d’être soumis à l’imposition française ». En Juin 2013, une directive européenne impose la suppression de l’exonération de la TVA appliquée aux yachts loués par des sociétés ou des particuliers. Ce système est utilisé pour rentabiliser les investissements lors des périodes creuses. L’Italie opte pour une TVA à 6,6% alors que la France choisit de la placer à 10%. Difficile d’empêcher l’exil.

Toutefois, Didier Philippe, responsable opération et commerce à la CCI du port de Nice, n’est pas inquiet : « il y a une crise des yachts de passage. Je ne suis pas inquiet, cela va revenir. La Côte d’Azur restera la Côte d’Azur ». Avant d’ajouter que « de plus en plus de cargos transportant des yachts de 25 à 30 mètres arrivent au port de Nice. Des yachts venant de l’Atlantique ou du Pacifique n’ont pas les capacités pour la traversée. Les propriétaires ont recours à ce genre d’embarcations pour venir s’amarrer sur la Côte ». En 2013, la région PACA demeurait la deuxième destination la plus attractive après la Floride.

Le cas de l’amarrage hors des ports

Les propriétaires de navires de plaisance ont de plus en plus tendance à s’amarrer hors des infrastructures portuaires. Exemple le plus éloquent, la rade de Villefranche-sur-Mer. Ce lieu accueille tout au long de l’année des plaisanciers qui n’ont plus les moyens ou l’envie de s’acquitter des redevances d’une place de port. Seul point noir : le stationnement longue durée est interdit hors des ports car le domaine maritime est propriété de l’Etat. Les moyens pour sanctionner l’infraction sont souvent bien trop importants pour être mis en pratique. Il faut plonger pour vérifier s’il y a ancrage sur corps mort, dresser un PV et amener l’affaire au Tribunal administratif. Mais cette pratique de « mouillage forain » est risquée, les bateaux s’exposent aux tempêtes et finissent souvent par couler ou s’échouer sur les plages. L’évacuation et la démolition des navires sont aux frais de la municipalité et du contribuable (jusqu’à 2000€ par bateau). Pour éviter ce genre de situation, le Sénat a proposé d’adopter en début d’année une taxe mouillage, finalement rejetée par les députés.

Deux questions àYves Morel, Commandant du Port de Nice.

Yves Morel, Commandant du Port de Nice. (Crédit Photo : Loris Bavaro)

Yves Morel, Commandant du Port de Nice. (Crédit Photo : Loris Bavaro)

Le Port de Nice s’appuie t-il sur la grande plaisance ?

« La grande plaisance est toujours appelée à se développer. Le gros problème du port de Nice, c’est que les emplacements à quai sont limités. C’est un port de commerce. Les places de plaisance sont quasi bouclées en permanence. Pour la grande plaisance il ne reste des places que sur le quai de commerce où l’on a l’obligation d’y amarrer des bateaux de commerce en priorité. La grande plaisance a tendance à fuir pour leur laisser la place. »

Quelles solutions existent?

« Il faudrait mieux gérer les emplacements mais c’est difficile. Les yachts réservent une place à Cannes, Monaco ou Nice et choisissent la plus avantageuse au dernier moment. On réserve souvent un poste qui ne sera pas occupé. On peut faire un effort au niveau de la gestion mais il est prévu que la Chambre de commerce instaure des pénalités à ceux qui réservent et ne viennent pas. »

Delphine Toujas

Loris Bavaro

Wilhem Lelandais-Foyer