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10ème Décade Cinéma et Société : l’école aux frontières de la République ?
La troisième journée de la Décade Cinéma et Société autour de l’école aura surtout permis de faire connaître l’existence d’autres méthodes d’enseignement, pourtant pas si nouvelles.
L’annonce de la consultation sur la réforme du collège suscite des débats très divers, avec des intervenants multiples, lesquels affichent plutôt des a priori idéologiques ou défendent des intérêts de boutique. Ces projections, très éclairantes pour les acteurs de l’école, permettent aussi, avec des retours historiques sur la pédagogie Freinet, de parfois ramener les « innovants » à plus de modestie. Avec des moyens bien plus limités, ces pionniers de l’interactivité, que le numérique a généralisé, étaient bel et bien novateurs. Mais ils étaient aussi sans concession sur les contenus.
L’instit’ chez les Peshmergas
My sweet pepper land est un Western spaghetti kurde. Le Kurdistan, délivré de l’emprise de Saddam Hussein, cherche à se construire. Loin au nord du pays, à la frontière turque, une institutrice et un ancien résistant devenu commandant de police rencontrent les difficultés d’une zone sous l’autorité de seigneurs de guerre, en conflit avec les Peshmergas. Dans ce Western (ou plutôt Eastern), où la géopolitique est très présente, le spectateur découvre la difficulté d’une femme à enseigner dans un monde toujours très machiste. Le film raconte donc l’école envisagée ailleurs, avec toutes ses limites, et nous rappelle que l’éducation n’est pas un acquis dans certaines régions du monde. Cette fiction à la réalité crue soulève des enjeux géopolitiques encore d’actualité dans un pays où la route vers la démocratie et la modernisation est encore longue.

L’actrice principale, Golshifteh Farahani, est au centre d’un scandale, en Iran, depuis que la revue Égoïste a publié une photo d’elle nue en couverture. (Crédit photo : Pascal Auffray)
Les amis de Freinet : de vieux novateurs
Avant la projection suivante, Hervé Moullé, président de l’association Les amis de Freinet, présente le projet de son groupe. Célestin Freinet, instituteur et philosophe, avait une vision plus novatrice en matière d’enseignement. On peut même dire qu’il a aidé à la démocratisation des TICE (Technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement) : il avait créé un réseau de professeurs qui faisaient circuler de petites cassettes-films de cours par correspondance. Parmi ces cassettes, Le cheval qui n’a pas soif. Le cheval, évidemment, est une métaphore de l’élève qui n’a pas soif de savoir.
L’association des amis de Freinet propose donc, comme Célestin Freinet en son temps, de changer la forme des programmes, pour en rendre les contenus plus attractifs. Hervé Moullé a d’ailleurs utilisé des méthodes plus sympathiques pour les élèves dans sa classe, en montant des projets par exemple, ou en donnant des postes à ses élèves pour les responsabiliser. Modestement, il précise ne pas faire de l’enseignement alternatif mais simplement de l’enseignement plus accessible aux jeunes. A travers ces projets, les plus jeunes se forment et apprennent le programme sans s’en apercevoir.
Vitruve, une école de la vie
Le film suivant est On ne peut pas faire boire un cheval qui n’a pas soif. Sorti en 2008, ce documentaire présente l’école Vitruve du 20ème arrondissement de Paris, qui illustre parfaitement les préceptes de Freinet. Cette école tout à fait atypique a placé les cours magistraux au second plan pour faire évoluer les élèves dans un cadre plus épanouissant. A travers l’organisation d’une kermesse dès le début de l’année, les élèves utiliseront les maths pour calculer le budget, pratiqueront l’art plastique pour créer les affiches et tracts de la tombola. Les enfants sont même sensibilisés à la politique et à la vie en société grâce à des conseils de classe semblables à des conseils municipaux, où l’on débat d’ordres du jour. Les élèves mettent en place une réglementation du jeu de billes, ou essaient de prévenir des bagarres. Mais cette école miraculeuse au premier abord, cache des aspects bien plus négatifs que le reportage ne dévoile pas ou très peu. Par exemple, la difficulté de s’intégrer dans le système académique classique après l’école Vitruve. Catherine, une ancienne élève venue à la projection confie : « C’est dur d’en sortir. Il y a eu une réadaptation à faire ».
En effet, à Vitruve, les élèves peuvent se lever sans demander la permission, tutoyer l’instituteur, ce qui n’est pas permis dans la quasi-totalité des établissements de second cycle. Ce qui n’est pas montré, mais qui est pourtant essentiel au fonctionnement d’une telle école, c’est le travail énorme des enseignants fait en coulisses mais qui n’est pas évoqué ni montré une seule fois dans le documentaire. Les instituteurs des différents niveaux doivent se coordonner pour mettre en place cette école de la vie dont les résultats peuvent faire douter, une fois de retour dans l’institution classique. Mais Catherine préfère en rigoler : « les autres enfants apprenaient les maths, la conjugaison, la grammaire sans l’appliquer ; nous appliquions les maths, la conjugaison, la grammaire sans l’apprendre ». Au final, pour faire boire un cheval qui a soif, le défi reste, semble-t-il, de le faire venir de lui-même à la source.
Paul-Arnaud Boudou