Froome, le mal-aimé

Vainqueur – cet été – pour la seconde fois du Tour de France, le Britannique impressionne. Peut-être un peu trop d’ailleurs, au point de déclencher critiques cinglantes et attaques haineuses.

Pendant trois semaines, le nom de Froome a autant été associé aux suspicions de dopage qu’à sa performance sur son vélo. Dans un sport où l’exploit a été condamné à perpétuité, pour avoir été trop souvent contrefait, les observateurs adoptent la prudence au moindre signal. Mais ce que Froome a subi dépasse de loin la prudence : cela s’approche davantage de la condamnation.

Sur France Télévisions comme sur Eurosport – les deux principaux diffuseurs télé de l’événement-, les observateurs se sont succédé pour partager leurs doutes sur le « Kenyan blanc ». Et parfois, ces doutes se sont transformés en tacles assassins. Comme Laurent Jalabert, à la circonspection implicite, ou Richard Virenque, moquant plus ouvertement l’ascension de l’Alpes d’Huez de Wouter Poels, fidèle équipier de Chris Froome. Entre temps, Gérard Holtz transmettait naïvement au maillot jaune les doutes de ses collègues émis pendant le direct, étape après étape. Comme si, harcelé par la même question, Froome avouerait quelque chose qui n’a jamais été prouvé et qu’il a toujours nié : se doper. Bien sûr, il n’en fut rien, Froome se contentant systématiquement de renvoyer Holtz dans ses 22.

Puis il y a eu l’affaire du motor-home de la Sky, auquel les médias ont suffisamment fait référence pour en obtenir l’accès. Résultat : rien, évidemment. Qui s’attendait à voir quelques poches de sang au dessus du lit du Britannique, tel un mobile au dessus du berceau d’un bambin? Personne. Et pourtant, France 2 se targuait d’avoir fièrement désamorcé une polémique qu’elle avait participé à faire enfler.
Un mystérieux motor-home, des questions répétées avec insistance, des allusions plus que douteuses en direct : qu’il semble bien loin le temps de l’enquête, que privilégiait Pierre Ballester et David Walsh pour s’attaquer au système Armstrong !
Bien que l’on puisse comprendre la surprise des commentateurs Thierry Adam, Laurent Jalabert et Cédric Vasseur, contraints de mettre des mots sur l’impressionnante ascension de la Pierre-Saint-Martin par Froome, sans aucun recul, on peut tout autant comprendre et respecter la frustration de Froome qui, jusqu’à preuve du contraire, a toujours respecté les règles.

L’imperfectible communication

Pour répondre à ces attaques qui ont fusé pendant trois semaines, l’équipe Sky s’appuie sur une communication bien huilée. Froome, qui paraissait bien timide et réservé en 2012 et 2013, a pris de l’assurance, et a haussé le ton, lassé par des attaques médiatiques qui se faisaient ressentir jusqu’au bord des routes.
Sa tâche n’était pas bien compliquée, puisqu’il lui suffisait de répéter inexorablement que rien ne prouvait un quelconque écart de sa part. Pis, « Froomey » a attaqué l’équipe de France TV, rappelant le passé de certains, les conséquences que peuvent avoir les propos qu’ils tiennent, et soulignant leur responsabilité dans les dérapages qu’il subissait. Difficile de croire que les spectateurs aient attendu l’autorisation de Laurent Jalabert et Richard Virenque pour haïr Froome, toujours est-il que le maillot jaune n’a eu aucune difficulté à remettre en cause la légitimité de ces anciens coureurs pour parler dopage.
A Gap, lors du deuxième jour de repos, toute l’équipe a fait bloc : pour la première fois en trois saisons, l’équipe Sky a accepté de partager les « chiffres » de l’ascension de Froome dans la Pierre-Saint-Martin. Le staff de la formation britannique a convoqué la presse et communiqué ses données. Tout à coup, les médias, qui réclamaient depuis bien longtemps des chiffres, se sont rendu compte du ridicule de la requête, confrontés à des données « fumeuses, incomplètes et illisibles » comme les qualifie Philippe Brunel dans L’Equipe du 27 juillet. Mais après avoir tant insisté, difficile de faire la mauvaise tête.

Christopher Froome, accompagné de son entraîneur Tim Kerrison et de son très médiatique manager Dave Brailsford, lors de la publication des fameux « chiffres ». (Crédit Photo : AFP/Fefferberg)

Christopher Froome, accompagné de son entraîneur Tim Kerrison (à gauche) et de son très médiatique manager Dave Brailsford (à droite), lors de la publication des fameux « chiffres ». (Crédit Photo : AFP/Fefferberg)

Les causes du rejet

Le plus gros souci de Froome, c’est qu’il est un coureur ultramoderne dans un sport encore très traditionnel. Extrêmement populaire, le cyclisme reste dans les esprits le sport de l’incertitude, où une énorme défaillance peut modifier l’histoire déjà écrite. Mais aujourd’hui, terminés les rebondissements. Une attaque bien sentie à La Pierre-Saint-Martin, puis plus rien. Le train de la Sky s’est mis en route, et les équipiers de Froome ont contenu des adversaires déjà bien assommés. Aucune erreur d’aiguillage, le train était bel et bien en marche.
Reste l’éternel débat : doit-on blâmer l’équipe qui « pépérise » le rythme ou ses adversaires dont l’attentisme ne risque pas de troubler ce rythme ? Les deux réponses trouveront leurs partisans.

Froome entouré de ses équipiers, indispensables à sa victoire. (Crédit photo : AFP/Fefferberg)

Froome entouré de ses équipiers, indispensables à sa victoire. (Crédit photo : AFP/Fefferberg)

Poussé à son paroxysme, l’entraînement est le secret de la réussite, si l’on en croit Chris Froome. A la Sky, l’analyse des performances, pour mieux progresser, se ressent même dans le style. « Le Kenyan blanc» ne se met jamais dans le rouge, il préfère contrôler. Il ne répond jamais directement aux attaques, et revient à son rythme. Son rythme, c’est son capteur de puissance couplé à sa fréquence cardiaque qui le lui dictent, sans oublier son oreillette au bout de laquelle Nicolas Portal (son directeur sportif) gère toute la tactique. Terminée l’instinctivité. Place à la science et au calcul. Heureusement, c’est encore Chris qui pédale…

Enfin, la Sky enfreint des « règles non écrites qui sont bafouées », comme le résume parfaitement Philippe Brunel dans l’édition du 27 juillet du journal L’Equipe. C’est le cas du motor-home, que Richie Porte utilisait sur le Giro pendant que ses équipiers supportaient des hôtels parfois beaucoup moins confortables. Une perception critiquable de l’esprit d’équipe. Mais aussi ce drôle de conflit d’intérêts, puisque le fils de Brian Cookson (président de l’UCI, l’Union Cycliste Internationale) travaille dans l’équipe Sky. Ajoutez à cela le docteur Zorzoli, et l’impression d’un discours non suivi des faits est parfaite.

Emmanuel Durget