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« L’école n’a pas à se caler sur la société »
Le spécialiste de l’éducation Philippe Meirieu a passé au crible le système éducatif à l’occasion de sa venue au Festival du livre de Mouans-Sartoux du 2 au 4 octobre 2015.

A Mouans-Sartoux, l’auteur venait faire, entre autres, la promotion de son dernier ouvrage « C’est quoi apprendre ? ». (Crédit photo : Lucile Moy)
Samedi 4 octobre, à Mouans-Sartoux. Philippe Meirieu était l’invité d’honneur de la matinée, venu pour plancher pendant une heure sur son sujet d’expertise : l’éducation. La salle était remplie. Des centaines de personnes ont assisté à la conférence donnée par le spécialiste des sciences de l’éducation.
Instigateur de plusieurs réformes au sein de l’école, il est considéré par certains comme un pédagogue contemporain, et même l’un des « plus écoutés de nos gouvernants », rapportait Libération en 1998. Favorable à la réforme des collèges, à l’apprentissage d’une deuxième langue vivante à partir de la 5e, il est dans un même temps opposé au redoublement, soucieux de trouver une école émancipatrice par le savoir et l’esprit critique.
Pour ses derniers travaux, Meirieu est accusé par ses pairs de contribuer à la baisse du niveau général de l’Education nationale. Leur angle d’attaque ? La trop grande liberté d’éducation et l’école sociale proposée par Meirieu. En juillet dernier, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) rendait public un rapport sur les inégalités et les dernières réformes du système d’éducation français. Et il est alarmant : depuis 10 ans, les inégalités se sont creusées. 15 à 20% des élèves issus de familles défavorisées sont susceptibles d’être en échec scolaire. Deuxième point : le phénomène se serait accentué avec « la pratique intensive du redoublement ». Enfin, les filières professionnelles ne seraient pas assez porteuses sur le marché du travail.

La France peine encore à motiver ses élèves de lycées professionnels à continuer leurs études. (Crédit photo : enquête OCDE-PIAAC).
En dépit des critiques, il ne veut pas céder au pessimisme : « La pédagogie a un devoir d’optimisme », martèle-t-il. Pour lui, la solution est claire : « L’école n’a pas à se caler sur la société. Il ne faut pas qu’elle reproduise les mauvais exemples d’une société qui abandonne l’écrit en abrégeant chaque contenu ». D’ailleurs, énonce-t-il, « l’école a une fonction de thermostat », cette dernière doit chercher le progrès plutôt que l’innovation, deux termes qu’il tient à différencier. « Pour reprendre la main, on doit s’y mettre collectivement ». Un labeur qu’il accompagne d’un dicton africain : « il faut tout un village pour éduquer un enfant » cite-t-il à plusieurs reprises.
Vers une « école optimiste »
Au cours de sa démonstration, Philippe Meirieu se place continuellement en tant qu’« expert ». L’ancien professeur se veut partisan de la pédagogie Freinet qui se base sur une prise en charge personnalisée de l’élève plutôt que des programmes scolaires que l’enfant subit. Il voit la nouvelle école « coopérative » et « sociale », à l’écoute de l’enfant. « Il faut développer l’entraide », continue-t-il. La question des médias, il l’aborde sans vraiment s’y appesantir : « Le numérique est utile mais il ne doit pas prendre la place de l’apprentissage de l’écriture manuelle, explique-t-il. Utilisé à mauvais escient, il peut rapidement détruire le collectif ».
A la fin de sa performance, le public a pu combler les vides que l’orateur a laissés grâce à un jeu de questions réponses. « Vous idéalisez le système éducatif français », reproche une dame dans l’assistance, « le système actuel n’est plus viable », accuse-t-on à l’autre bout de la salle. « La France est quand même bien loin derrière les résultats scolaires des écoles du nord de l’Europe », clame-t-on ailleurs.
Meirieu se justifie. Du moins, il essaye : « La France a une histoire avec son Ecole. Elle relève du patrimoine, notamment parce qu’elle a toujours été basée sur, et avec l’Etat ». A peine a-t-il répondu qu’une énième question, la dernière, fait surface : les tablettes menacent-elles l’apprentissage de la lecture ? Il s’offusque : « On a besoin d’écrire. Ecrire, c’est libérer sa mémoire », dit-il. Le numérique est-il facteur de la baisse de concentration ? « Pas si on gère consciencieusement le point d’accès. Cette perte d’attention est liée à l’effondrement de notre mode de vie. Il faut reconstruire des cadres, adaptés, sortir de cette agitation permanente d’une société du zapping. Le théâtre peut être un bon moyen de retrouver la densité du geste et du mot. »
Le Festival est un lieu de débats et les dizaines de rendez-vous programmés l’ont confirmé. « L’indifférence est devenue aujourd’hui une norme sociale » dépeint-il avant d’ajouter : « Mouans-Sartoux permet l’émergence de la réflexion, la créativité, de l’intelligence et la curiosité. Et la créativité c’est ce qui émerge de la rencontre. »
Lucile Moy