
Étiquettes
Edwy Plenel : « Nous sommes dans une démocratie de très basse intensité » #1/2
Edwy Plenel, journaliste co-fondateur de Mediapart et auteur de nombreux essais sur la démocratie, était présent au Festival du livre de Mouans-Sartoux. Avant de participer à une conférence-débat sur la place des citoyens dans la démocratie, il s’est livré à Buzzles, dans un long entretien, sur l’utilité démocratique du débat public. En voici la première partie.
Comment mieux impliquer le citoyen dans le pouvoir décisionnel, notamment sur des questions internationales ?
Il faut un débat. Il y a des attentats, il y a des menaces. Donc pour encaisser ces menaces, il faut que nous soyons concernés, impliqués. Nous sommes dans une démocratie de très basse intensité et c’est une alarme que je tire depuis longtemps dans mes travaux de journaliste. Hélas, cette alarme est insuffisamment entendue parce que nous sommes trop passifs. Si nous continuons à l’être, des accidents peuvent survenir. Nous pouvons être entrainés par manque de vigilance dans des catastrophes. La présidence Bush (George W. Bush, de 2001 à 2008, ndlr) aux Etats-Unis fut une catastrophe. Elle a produit l’organisation Etat Islamique en Irak avec l’idéologie totalitaire venue de l’Arabie Saoudite. Mais la démocratie américaine, dans sa vivacité, dans ses contradictions vivantes a permis que tout se sache très vite, ce qui a produit Obama, qui est en partie l’antithèse de tout cela. Nous, nous sommes toujours avec les mêmes. Allons-nous refaire 2017 à nouveau avec François Hollande, Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen ? Nous allons toujours être dans ce piétinement, ce ressassement ? Il est temps de décider comment nous reprendre en main, de mettre fin à tout cela car je crois vraiment que c’est une course à l’abîme.
Alors comment font les citoyens concrètement pour agir ? Doivent-ils modifier la Constitution ? Ecrire leurs lois ?
Il faut d’abord agir là où on est. Ça commence par en bas. Par exemple, Podemos, ils ont commencé en utilisant les potentialités de la révolution numérique, en créant des réseaux. Il faut absolument être au rendez-vous de notre liberté, de nos causes communes, des questions d’habitat, de travail, de climat… Ce que nous avons en commun est plus important que ce qui nous différencie par la couleur de peau, par la croyance, par l’origine. Et c’est cela qu’il faut remettre à l’agenda. C’est cette dynamique profonde qu’il faut refaire surgir localement, dans tous les territoires. Et de cela, naîtra, je l’espère, le sursaut dont nous avons besoin.

Dans un long entretien, Edwy Plenel a rappelé l’importance du débat public et de l’audace de la jeunesse dans la démocratie. (Crédit photo : Ninon Fauchard)
Vous disiez qu’en France, nous étions dans une crise de la démocratie. En Espagne, il y a eu le mouvement Podemos qui est venu des citoyens et qu’on ne peut pas classer à gauche ou à droite. Avez-vous l’espoir qu’un tel mouvement puisse naître en France ?
Si on n’a pas l’espoir, on rentre chez soi. Moi, j’ai l’optimisme de la volonté. Il faut toujours se battre. Vous savez, il y a eu des périodes beaucoup plus sombres où d’autres ont dû se battre. Stéphane Hessel, l’auteur d’Indignez-vous ! disait à propos des années 1940 où la France avait capitulé : « Nous étions optimistes ». Je sais que nous avons raison. Je sais que certains font le chemin de la haine, de la peur. Certains sont indifférents aux exilés, aux réfugiés, aux migrants. Alors que nous sommes ici même dans une terre d’immigration. Encore plus ici, à Mouans-Sartoux, dans cette terre frontalière de la France. Nous avons un devoir d’accueillir ceux qui fuient des persécutions. C’est une chance : cela va nous faire bouger, apprendre des choses. Aujourd’hui pour moi, nous ne sommes pas dans la question de trouver un raccourci politique, partisan. Il faut déjà de mettre fin à l’indifférence, à cette idée qu’on ne peut plus rien faire.
Si on a fait Mediapart dans le domaine des médias, c’était pour montrer qu’on pouvait bouger, qu’il n’y avait pas de fatalité. Que ça pouvait avancer et le succès de Mediapart le prouve. Je reprends toujours la formule d’un écrivain allemand, Martin Niemöller, qui résume ce qui est devant nous : pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles. Nous devons arrêter, sortir de nos pantoufles. Il faut tendre la main, être au rendez-vous des causes communes. C’est de là que commencera le sursaut démocratique dont ce pays a besoin. C’est notre France, il faut défendre notre France telle qu’elle est, telle qu’elle vit, faite de toutes sortes de cultures, d’origines, de langues, de patois, de dialectes. Cette diversité est une force qui parle au monde. L’autre France, qui voudrait caricaturer une France du repli, de la fermeture, est une France qui va quitter le monde. Je pense que le dynamisme social et économique est du côté d’une France arc-en-ciel, qui s’assume telle qu’elle est. Nous sommes la France. Les autres, ceux qui parlent de haine, de repli, de rejet, d’invasion, n’aiment pas la France telle qu’elle est, telle qu’elle vit dans nos quartiers populaires, dans notre peuple, dans nos usines…
Propos recueillis par Grégoire Bosc-Bierne