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Vincent Glenn : «Il y a une surdramatisation de la dette depuis plusieurs années» #1/2
Après avoir présenté son livre devant une salle pleine au Festival de Mouans-Sartoux, Buzzles a rencontré Vincent Glenn, co-auteur de l’ouvrage « On marche sur la dette ». Le documentariste est revenu sur les motivations qui l’ont poussé à coécrire ce livre et sur sa singulière analyse de la dette publique française actuelle. Une réflexion aux antipodes du traitement médiatique habituel autour de ce phénomène économique.
En guise d’introduction, pour ceux qui n’ont pas lu le livre, qu’est ce qui vous a poussé à rédiger un ouvrage où vous expliquez le mécanisme de la dette ?
Il s’agit d’une réflexion de plusieurs années. Nous avons réalisé que trop d’informations mensongères circulaient à propos de la dette publique française. On a donc estimé qu’il y avait un vrai besoin d’informer pertinemment la population à ce sujet.
Vous avez coécrit ce livre avec Christophe Alévêque qu’on connaît d’avantage en tant que comédien et humoriste. Comment écrire un livre à 4 mains sur un sujet complexe comme la dette ? Comment vous êtes-vous réparti le travail ?
Je lui ai proposé de faire une sorte de cabaret sur la dette en partant de questions très basiques : combien on doit, à qui on doit, depuis quand… On a donc commencé à coécrire un spectacle qu’on a préparé ensemble. Il y a eu une édition à Paris qui a été filmée. On a ensuite eu envie de l’affiner et de persévérer. Ce qui nous a poussé à rédiger cet ouvrage, qui provient effectivement d’un travail en binôme avec une réflexion à deux et une rédaction à quatre mains.
« La dette fait partie de ces marronniers très régulièrement repris et dramatisés »
Au chapitre 7 de votre livre, vous réfutez l’idée selon laquelle « chaque enfant qui naît en France doit 30 000 euros au titre de la dette publique ». Vous insistez sur les avoirs de l’Etat et son riche patrimoine étant largement supérieurs au montant de la dette et qui font du bébé français quelqu’un « sept fois plus riche qu’endetté ». Vous déclarez également à la page 25 que « l’information en général ne nous aide pas beaucoup à entrevoir un avenir radieux ». Selon vous, les médias dramatisent-ils trop les impacts de la dette en France ?
Oui c’est le moins qu’on puisse dire. Je pense qu’il y a plusieurs facteurs qui entrent en jeu pour expliquer cela. Je rejoins une tendance critique des médias avec la question de leurs financements. Aujourd’hui, des empires comme Bouygues, Lagardère, Dassaut, Véolia se partagent 90-95% de l’ensemble des narrations, à savoir les livres scolaires, les panneaux publicitaires, les télés, les radios privées par exemple. On est dans un système qui ne jure que par l’audimat et par l’exacerbation de tout ce qui est dramatique, accrocheur et ce qui peut être vendeur. La recherche de l’audience, du lectorat, les contraintes temporelles poussent les journalistes à travailler de plus en plus vite et mal. La dette fait partie de ces marronniers (des sujets récurrents dans les médias, ndlr) très régulièrement repris et dramatisés.
Je fais la différence dans l’ouvrage entre le fait de ne pas céder à une certaine théorie du complot et le fait que le monde du journalisme obéit à des stratégies qui sont souvent celles des financeurs des médias plutôt que celles des rédactions. De toute évidence, il y a une surdramatisation de la dette depuis plusieurs années. Les propos sont dramatisés mais aussi mensongers.
On privatise le service public pour en faire des affaires rentables qui génèrent du profit. Ce n’est pas la peine d’être dans une vision du complot pour comprendre qu’il y a un certain nombre de transnationales qui ont des stratégies visant à récupérer un morceau de La Poste, de France Télécom, de EDF pour augmenter les profits. Tout ce qui va dans le sens d’exciter notre mauvaise conscience et notre culpabilité à l’égard de l’endettement incite les individus à adopter certains comportements. On va vendre des bijoux, des objets de valeur pour moins s’endetter… C’est une incitation permanente qui n’est pas neutre idéologiquement. Il ne s’agit pas d’un complot mais de gens qui ont des stratégies très claires d’appropriation des biens publics pour en faire des marchandises qu’ils pourront vendre pour générer des profits.
Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que tout le monde peut avoir une dette, qu’on soit riche ou pauvre. Quand on doit 100 000 euros mais qu’on a un million de patrimoine ce n’est pas très grave. Quand c’est l’inverse qui se produit, là oui en effet c’est plus inquiétant. En France, lorsqu’on additionne les différents patrimoines de l’Etat, des collectivités, des entreprises, des ménages, on se rend compte qu’on est en possession de richesses qui représentent plusieurs fois le montant de la dette publique française. C’est tout à fait mensonger d’insister sur le fait qu’on est pris à la gorge car on doit tout cet argent alors qu’on en possède beaucoup plus à côté. Cela fait partie d’une sorte de mirage, qui, très mystérieusement, reste pendant des années dans les gros titres de l’actualité. Une mise en scène d’un gouffre, d’une catastrophe qui nous empêchera de faire quoi que ce soit dans l’avenir.

Première de couverture du livre « On marche sur la dette », paru le 8 mai 2015. (Crédit photo : D.R.)
« On devrait encore s’endetter beaucoup plus »
On sort du contexte apocalyptique qui règne autour de la dette dans ce livre. Vous la présentez à la fois comme « un moyen de créer de l’argent » en prenant l’exemple des Etats-Unis, pays le plus riche mais également le plus endetté. Selon vous « la dette ce n’est pas que du négatif et elle ne génère pas que des catastrophes ». Aujourd’hui, la France c’est une dette de 2000 Milliards d’euros, soit l’équivalent de notre PIB. Peut on réellement continuer dans cette direction là ?
Je me situe comme un individu critique du système, un citoyen qui prend part à son petit niveau aux enjeux démocratiques. Mon rôle dans cette affaire est de montrer qu’on est dans une sorte d’abus des consciences, de mystification avec des finalités marchandes très claires derrière. Il est important d’analyser chaque chose séparément.
On arrive à un seuil limite sur le plan d’une culture et d’une économie productivistes. L’écologie pose un certain nombre de frontières. On ne peut pas continuer cette politique de l’infini dans un monde fini. Le social est également problématique. On ne peut pas s’étonner qu’il y ait des déséquilibres qui aboutissent à la violence, à la guerre, qui poussent certaines personnes à fuir leur pays. L’indigence s’accroît, de plus en plus de personnes ne mangent pas à leur faim dans ce monde. Pour toutes ces raisons, j’ai envie de dire qu’on ne peut pas continuer dans cette direction, qu’il faudrait inventer quelque chose qui relèverait d’une « révolution démocratique » ou en tout cas à un niveau supérieur de démocratie par rapport à ce qu’elle est aujourd’hui. Et aussi une exigence qualitative aussi bien sur le plan de la démocratie que sur le plan de l’économie.
En revanche, est ce qu’on peut continuer sur ce régime d’endettement ? Oui ! On va continuer ! Historiquement, la dette a précédé la monnaie, elle existe depuis la nuit des temps. Au lieu de s’angoisser parce qu’on aurait le montant du PIB français de 2 000 milliards d’euros égal au montant de l’endettement public en France, il faudrait se poser la question d’un investissement massif sur l’avenir qui permettrait à nos étudiants, aux écoliers de ne pas désespérer et pouvoir rester optimiste. Pour cela, il faut faire l’inverse de ce qu’on fait aujourd’hui avec nos politiques d’austérité, mais au contraire investir sur une reconfiguration majeure dans tous les domaines de l’existence. Logement, urbanisme, infrastructures de transport, il y a des chantiers considérables à mener à condition qu’on investisse. Il faut des investissements considérables. Mais si ce n’est pas l’Etat, qui va les faire ?
Donc pour répondre à votre question, il y a bien évidemment des failles dans notre société mais il me semble qu’on devrait encore s’endetter beaucoup plus et viser des objectifs humains et des réalisations humaines qui nous feraient penser les cinquante prochaines années comme une période de bien vivre et de mieux vivre.
Propos recueillis par Sacha Zylinski