Face aux attentats, la difficile position d’instituteur

« T’as vu ce qui s’est passé ? ». Tout le monde (ou presque) commence cette journée du lundi 16 novembre, avec ces mots, osant à peine continuer avec le « ça va ? » habituel. Ce matin, Gaëlle pose ces questions à des enfants de sept ans. Une responsabilité délicate pour cette jeune institutrice de la région lyonnaise, confrontée pour la première fois à une telle situation.

« Comment en parler à mes élèves ? ». Dès vendredi soir, Gaëlle s’est posée la question. Ce matin, elle n’a pas vraiment la réponse mais estime que le plus important est d’écouter ces enfants, qui ne comprennent pas tout mais ressentent le chaos ambiant. « J’ai prévu de recueillir les paroles des élèves qui ont besoin d’en parler. Ce n’est pas moi qui vais présenter les faits. Mon but est d’écouter les élèves qui ont des interrogations sur ce qui s’est passé, de proposer un climat d’écoute mutuelle et de faire face aux peurs et aux inquiétudes des petits », expose l’institutrice. Malgré une certaine réflexion, que répondre à un enfant apeuré par la guerre ? Par ces militaires déployés partout en France ? Par ces images d’horreur sur nos télés ? À 27 ans, Gaëlle tente d’avoir réponse à toutes les questions quotidiennes de ces enfants qu’elle côtoie chaque jour, mais parfois, la réponse lui manque. « J’appréhende surtout les questions auxquelles j’aurai du mal à répondre, par exemple, «  alors maîtresse, ça veut dire que c’est la guerre partout? ». Des interrogations qui seront sans doute dans la tête des élèves et qui restent pour moi aussi énigmatiques que pour eux», confie Gaëlle.

De nombreux internautes, adultes, expriment également leurs émotions par des dessins.

« Laisser les enfants s’exprimer chacun à leur manière »

Une peur, une colère, une tristesse qu’il faut laisser s’exprimer. C’est ce qu’expliquent de nombreux psychologues et spécialistes de l’enfance, dont Sylvie Marx, psychologue à Metz, interviewée sur France Bleu Lorraine Nord. Si elle conseille à chaque parent d’être à l’écoute de son enfant, Sylvie Marx explique également que « l’idée c’est de mettre des mots sur des maux. Et l’enfant va les mettre avec des jeux, en dessinant, en faisant la guerre avec des jouets, en tapant dans l’oreiller ». Une extériorisation que Gaëlle compte prendre en compte. Si faire la guerre avec des jouets et taper dans un oreiller relèvent plutôt de la sphère privée et familiale, l’école reste un lieu d’expression indispensable, que chaque élève appréhende différemment. « Certains ressentent le besoin de beaucoup en parler et alors que d’autres gardent tout enfoui. Je pense qu’il est préférable de laisser les enfants s’exprimer chacun à leur manière : en prenant la parole, en écrivant, en dessinant… Tous réagissent différemment mais chacun est touché et informé à différents degrés », fait remarquer Gaëlle.

« Parler des valeurs qui nous tiennent à coeur »

En tant que fonctionnaire de l’État et professeure des écoles, Gaëlle estime que son rôle est de partager et de faire vivre les valeurs de la République, mais également de tout ce qui entrave ces valeurs, dont le terrorisme. « Mon rôle est de rassurer les élèves et de parler des valeurs qui nous tiennent à cœur : fraternité, justice – dans le sens de ne pas se venger soimême, laïcité… », explique cette maitresse d’une classe de CE1. « Nier la réalité, empêcher les enfants de comprendre ce qui se passe, refuser les débats serait atrophier la possibilité pour chacun de devenir citoyen », continue Gaëlle.

Une aide en ligne pour recevoir la parole des élèves

La ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Najat Vallaud-Belkacem, n’a pas tardé à réagir. La ministre a envoyé un courrier à tous les enseignants afin de les accompagner dans ces moments difficiles et « saluer par avance leur professionnalisme et leur mobilisation ». « L’École de la République transmet aux élèves une culture commune de la tolérance mutuelle et du respect. Chaque élève y apprend à refuser l’intolérance, la haine et la violence sous toutes leurs formes. », rappelle Najat Vallaud Belkacem. Les professionnels de l’Éducation nationale y ont également trouvé un lien, renvoyant sur une page internet intitulée « Savoir accueillir la parole des élèves après les attentats terroristes en Ile-de-France ». Malgré la mise en place de ces outils bienveillants, les enseignants ne sont pas particulièrement formés pour expliquer ce genre d’évènements. Mais peut-on réellement l’être ? Dans ce genre de situation, personne n’a vraiment les mots pour exprimer un tel effroi, une telle barbarie. Gaëlle le souligne : « cela nous touche au plus profond de nous et réveille des sentiments de diverses natures qui relèvent de l’intime : la peur, l’incompréhension, la sidération. Nous ne pourrons jamais comprendre ces atrocités. Ma seule réaction est donc de défendre chaque jour ma croyance en l’humanité et de ne pas céder à la peur. » 

Eloïsa Patricio