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État d’urgence prolongé, démocratie fragilisée
La Parlement a choisi de prolonger de trois mois l’état d’urgence sur tout le territoire français vendredi 20 novembre. Me Jean Joël Governatori, avocat au Barreau de Nice, nous aide à y voir plus clair dans le jargon juridique entendu cette semaine afin de mieux saisir les enjeux des évènements en cours.
Les modifications apportées à la loi du 3 mars 1955 sont non conformes à la Constitution. Le Premier ministre en est parfaitement conscient, déclarant être « extrêmement dubitatif sur l’idée de saisir le conseil constitutionnel » lors de l’examen du projet de loi au Sénat. Il peut paraitre paradoxal de violer la démocratie au nom de la protection des citoyens. Le régime juridique d’état d’urgence, qui transfère le pouvoir judiciaire à l’exécutif, a déjà été renforcé en mars 2015 par la loi controversée sur le renseignement. Désormais, le gouvernement souhaite étendre son pouvoir en révisant la Constitution sous prétexte qu’elle ne serait plus adaptée à la situation actuelle, qualifiée de « terrorisme de guerre » par François Hollande.
Manuel Valls redoute que la loi révisée soit inconstitutionnelle et veut éviter que le Conseil ne soit saisi afin de ne pas « faire tomber 786 perquisitions et 150 assignations à résidence déjà faites » ainsi que pour « donner aux forces de l’ordre, aux forces de sécurité, à la justice, tous les moyens de poursuivre ce qui représente un danger pour la Nation (…) ». Un commentaire ?
Il craint sûrement que des présumés terroristes fassent une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) pour faire annuler toute la procédure.
Cependant ces mesures semblent insuffisantes pour le président qui souhaite également réformer les articles 16 et 36 de la Constitution. D’après François Hollande il est nécessaire « de pouvoir disposer d’un outil approprié pour fonder la prise de mesures exceptionnelles pour une certaine durée sans recourir à l’état d’urgence ». Pouvez-vous nous expliquer en quoi consistent ces deux articles ?
L’article 16 de la Constitution accorde les pleins pouvoirs au chef de l’État quand il y a atteinte à l’intégrité du territoire et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu. Cependant le fonctionnement des pouvoirs publics n’a pas été interrompu c’est pourquoi il n’a pas fait valoir l’article 16 mais l’état d’urgence de la loi de 1955.
L’article 36 décrète l’état de siège qui a pour effet, entre autres, de transférer temporairement les pouvoirs de la police aux militaires sur une partie du territoire en cas de guerre ou d’insurrection armée, mais aussi la suspension des lois ordinaires et la limitation des libertés individuelles.
Pensez-vous qu’une révision de ces articles peut renforcer la protection des personnes présentes sur le territoire contre des attentats terroristes ?
Si on place la Constitution contre soi pour se protéger cela pourrait diminuer l’impact d’une balle ou même l’arrêter car elle est très épaisse ! Mais hormis cela, non, je ne pense pas qu’elle les défendrait davantage.
Nicolas Sarkozy a indiqué vouloir inclure dans ces révisions « la rétention de sûreté » pour « les criminels condamnés à de longues peines pour terrorisme une fois leur peine achevée (…) et l’élargissement de la possibilité de contrôle d’identité et de fouille des véhicules par tous les policiers ». Mais la Constitution a-t-elle pour fonction de créer de genre de mesures ?
Non, la Constitution n’a pas vocation à faire du pénal. Ce type de législation doit être faite par des lois organiques (qui organisent le fonctionnement des pouvoirs) ou par des décrets.
Quelle procédure l’exécutif doit-il suivre pour soumettre cette demande de réforme au Conseil constitutionnel ?
Il y a deux options. Soit il utilise la procédure normale, qui consiste à faire voter le projet de loi par les deux chambres puis de le faire valider par le Congrès ou par référendum. Soit il applique la procédure gaullienne en passant directement par un référendum. Il ne faut pas oublier qu’une loi votée directement par voie de référendum n’est pas contrôlable et qu’aucun retour n’est possible.
Le recours à un référendum portant sur une question de sécurité nationale, alors que les Français sont encore sous le choc des attentats du 13 novembre, ne serait-il pas un moyen détourné de l’exécutif de renforcer son pouvoir décisionnaire ?
Complètement, ce serait un moyen d’asseoir sa légitimité. Si M. Hollande en vient à utiliser un référendum ce serait à des fins personnelles, il n’a jamais été aussi bon qu’en tant que chef de guerre et ce stratagème peut permettre sa réélection en 2017.
La démocratie serait-elle toujours préservée par la Constitution si celle-ci se laissait affaiblir par de telles manœuvres politiques ?
Si les citoyens se laissent berner par un référendum à dimension plébiscitaire et acceptent la révision de la Constitution proposée par le Président, on peut effectivement s’interroger sur sa capacité à garantir la démocratie. Mais on peut également se questionner sur les moyens dont elle dispose pour se préserver de ce genre de travers démocratiques. C’est pourquoi il me semble important de rappeler aux Français que la Constitution, c’est l’outil de limitation du pouvoir, et non l’inverse.
Elsa Hellemans
J’ai quelques difficultés à faire le lien entre votre titre et le contenu, même si…
Si je lis bien votre article, ce n’est pas l’état d’urgence qui fragiliserait la démocratie, mais la révision de la constitution, l’état d’urgence ne pouvant être considéré que comme le fait générateur de cette éventuelle modification de la constitution.
Je trouve assez cocasse de parler de démocratie fragilisée, la démocratie, dans nos états modernes, s’ exprimant essentiellement dans le urnes, et de dire en même temps que le référendum qui est le moyen de vote le plus abouti serait en quelques sortes contraire à cette démocratie !
J’estime qu’on ne peut pas vouloir a liberté, la démocratie la sécurité..et ne rien vouloir changer.
L’Etat est aujourd’hui devant une crise grave, et les français reprochent à leurs représentants leur inaction depuis des années, et surtout depuis janvier 2015. L’état d’urgence est un outil qui permet justement de tenter d’accroitre la sécurité en donnant des moyens supplémentaires aux forces de l’ordre, notamment. Qui peut s’en plaindre?
M Tout le Monde dans sa vie de tous les jours, ne voit pas tellement de changement entre l’avant et le pendant de l’état d’urgence et en gros ses libertés n’ont pas été impactées.
Alors que les politiques veuillent que les textes, dont la constitution, soient adaptés à la situation et à leurs décisions est une chose normale.
Je suis à peu près persuadé qu’aujourd’hui que ce soit par le congrès ou par référendum, les modifications seraient acceptées. Mais cela revient au même puisque le congrès est la réunion de nos élus, donc quelque part leur expression est la nôtre. C’est la démocratie à l’état pur !
Alors bien sûr, derrière, il peut y avoir toutes les arrières pensées politiques des uns et des autres, mais la question de fonds reste de savoir si l’on veut se donner les moyens de lutter contre le fléau du terrorisme, sans qu’à chaque action de coercition menée par les forces de l’ordre, des remises en cause puissent venir devant les tribunaux pour vice de forme.
Je ne vous cacherai pas que je n’ai pas forcément la réponse !
Bonsoir,
Il n’est pas question ici de remettre en question de prolongement d’Etat d’urgence mais la modification de la constitution. Car celle-ci est censée limiter les pouvoirs du gouvernement et non de lui en donner d’avantage. Si ce dernier utilisait un référendum pour modifier la constitution dans un moment où les français sont blessés cela démontrerai les limites de la démocratie, sa fragilité.
Merci pour votre fidélité envers Buzzles !
bonne soirée