[RDC15] Les nouveaux conflits prennent leurs racines dans le passé

Les Rencontres de Cannes-Débats ont débuté ce vendredi à 14 heures. Jusqu’à dimanche, à l’Espace Miramar, le public assiste aux nombreux échanges autour du conflit, le thème de cette édition. La première table ronde a réuni quatre intervenants autour des « Nouveaux conflits, nouvelles théories militaires ».

La guerre ou l’usage de la force militaire : «  La forme la plus violente du conflit ». C’est par ces mots, que le modérateur Gérard Desportes, l’un des fondateurs de Mediapart et ancien rédacteur en chef de Libération, introduisait la première table ronde des Rencontres de Cannes – Débats, marquée par la présence de l’ancien militaire Michel Goya.

Magali Chelpi Den-Hamer a été la première à s’interroger sur le terme « nouveaux ». Elle a évoqué pêle-mêle les différences, « les conflits sont plus communautaires, idéologiques, la tendance est plus intra-étatique », avant de poursuivre sur la priorité apportée à la négociation plutôt qu’au combat. La chercheuse au Centre d’études africaines a conclu sa liste sur la tendance à vouloir inscrire, dans le droit international, le devoir d’ingérence. « On fait la guerre sans trop voir de morts » ajoutait Gérard Desportes à la liste.

En 2014, avec la prise de Mossoul en Irak, le monde se réveille brusquement avec un nouvel ennemi, l’Etat islamique. « J’ai parlé de l’Etat islamique dès 2006 » annonce Myriam Benraad. Les nouveaux conflits, au cœur du débat, prennent leurs racines dans des conflits bien plus anciens. La politologue et spécialiste de l’Irak et du monde arabe a tenu, tout au long de ses interventions, à expliquer les sources de l’Etat islamique. En 1990, Georges Bush envoie ses troupes en Irak. Elle ne s’est pas encore remise du conflit avec l’Iran (1980-1988). « La première guerre du Golfe a achevé de ruiner l’économie irakienne » constate la spécialiste. Et la gestion du pays par l’ONU n’y change rien. « La mondialisation avait un trou noir, l’Irak ».

L’Etat islamique, un mouvement révolutionnaire 

L’occupation par les armées occidentales est vécue comme une guerre coloniale par les Irakiens, d’autant plus que l’esprit de révolte grandit avec chaque exaction. Les cadres de l’EI, anciens officiers de l’armée de Saddam Hussein pour la plupart, et exclu de la « nouvelle »Irak en font leur beurre. « L’EI a profité de la répression, de la déliquescence de l’Etat, pour vendre son discours à la population » argumente Myriam Benraad, avant de poursuivre : « les méthodes sont terroristes mais le discours est révolutionnaire ».

« Et ça justifie les attentats  tout ça ?! » s’étrangle un spectateur. Les exclamations d’une partie minoritaire du public auront prouvé qu’il n’est pas facile d’expliquer et de comprendre l’EI dans le contexte actuel. Pourtant, à la fin du temps imparti, les applaudissements de la salle l’ont poussée à continuer.

Vincent Hugeux, reporter de guerre à L’Express, a abordé, dans la lecture d’un texte préparé, les évolutions qu’ont connu la profession de journaliste dans ces zones difficiles couvrir. « Le sticker presse sur le gilet pare-balle fait des journalistes un gibier. Au mieux on est une monnaie d’échange, au pire une proie. » L’Etat islamique avait filmé puis décapité James Foley et Steven Sotloff, deux journalistes, dans des mises en scène macabres. « Pour attirer de nouvelles recrues il vaut mieux incarner le  »nec plus ultra » de la barbarie » conclut le journaliste.

Mais face à ces conflits d’un nouveau genre, « ne faut-il pas se retirer de tout ce jeu macabre ? » demande un spectateur. « C’est une bonne question ». Le colonel Michel Goya, visiblement scotché par cette réaction, prend le temps de réfléchir. « On a peut-être tendance à abuser de l’emploi de la force armée. C’est tellement pratique d’utiliser la force armée, ça sert d’anxiolytique », confie t’il en illustrant son propos avec le plan Vigipirate qui mobilise plusieurs milliers de militaires. Mais la question, alors que la France a été frappé le 13 novembre et au mois de janvier dernier dans sa propre capitale, Paris, demeure sur son engagement extérieur. « On découvre que l’ennemi nous attaque aussi et là on est coincé. On ne peut pas se retirer ». 

Guillaume Soudat