L’année sabbatique, un rituel pas très français

Il n’existe pas de chiffres répertoriant le nombre de jeunes qui chaque année font une pause dans leurs études. Et pourtant, après le bac, une licence, ou à la fin d’un cursus, certains ressentent le besoin de s’évader.

Les inscriptions sur APB – comprendre admission post bac, le portail du Ministère de l’éducation nationale dédié à l’orientation dans l’enseignement supérieur – approchent. Pour les futurs bacheliers, c’est le moment de trouver le chemin pour la suite. À 18 ans, Alice, elle, ne se voit pas repartir dans des études : « Mes professeurs me conseillaient d’entrer en prépa littéraire pour éviter de perdre le fil, mais moi je n’en pouvais plus. » Une année “atypique” en France, et que peu osent envisager. Chez les étudiants, l’année sabbatique se définit comme une période de congé prise avant ou après les études. Bénévolat, service civique, tour du monde, petit boulot en France ou à l’étranger, il y a de multiples façons de vivre cette année. Le but est toujours le même : faire quelque chose qui nous plaît.

Dans les pays anglo-saxons et scandinaves, l’année sabbatique est un rituel. Au Danemark, elle peut durer plus de quatre ans. L’étudiant se découvre, grandit et prend du temps avant de trouver sa voie.

En revanche, en France, l’opinion publique est mitigée sur le sujet, dans une société où le poids du diplôme est important. Alors est-il possible de valoriser une année sabbatique quand on est français ?

Une année pourtant formatrice

Les avis des recruteurs sont partagés: « Je ne pense pas que ce soit très valorisant », affirme Julie, consultante dans un cabinet de recrutement au Cannet. « Ça ne rend pas service à la personne. Il faut vraiment une bonne raison de le faire ». Le poids du diplôme et l’expérience professionnelle sont des critères recherchés par les employeurs ; l’année sabbatique, elle, n’en fait pas partie : « Tout dépend de la teneur de cette année. Cela peut être intéressant sur le plan humain si on part en voyage », souligne Melissa, consultante dans une agence d’intérim à Nice. « Le problème est que la personne se coupe du monde pendant un an. Elle ne se met pas à jour sur les nouveautés, et cela peut faire défaut. »

Cependant, les formations post-bac recherchent ce type de profil. Ces jeunes sont exposés à de nouvelles expériences et gagnent en maturité. Ce temps de coupure est aussi un temps de réflexion sur l’orientation. C’est d’ailleurs ce qui a permis à Caroline, 19 ans, d’intégrer le BTS qu’elle désirait : « J’ai décidé de prendre une année pour moi l’année dernière après avoir raté mon inscription à la fac. Au fond de moi je ne savais pas ce que je voulais faire. J’ai donc choisi de faire un service civique. » Elle travaillera pendant six mois dans un lycée à Lyon pour animer des ateliers artistiques. L’occasion de faire des rencontres enrichissantes et de donner de son temps aux autres. Un an plus tard, elle est acceptée dans la formation de son choix. De son côté, Alice décide de prendre une année de césure et s’envole pour Sydney. Elle y restera huit mois : « ça m’a permis de souffler. J’avais besoin de voir autre chose, de quitter mon cocon », dit-elle en souriant. Elle intègre la Sorbonne à Paris la rentrée universitaire suivante ; une expérience enrichissante qu’elle ne regrette pas.

Trois questions à Frédéric Couston

Professeur agrégé de lettres modernes

Pourquoi l’année sabbatique a-t-elle du mal à entrer dans les mœurs française?

« En France, les traditions et le contexte économique actuel font que les diplômes priment sur l’expérience. La société fait vraiment la différence entre le travail théorique et le travail expérimental. »

Pour un professeur, un élève ayant pris une année sabbatique est-il un bon élément?

« Une personne qui a pris une année sabbatique fait la différence avec les autres candidats lorsque je recrute des élèves en BTS. Ils ont acquis une maturité que les autres n’ont pas. »

Recommanderiez-vous aux jeunes de prendre une année sabbatique?

« Oui, à cette période de leur vie, en général, les jeunes n’ont pas d’obligations familiales ou salariales. C’est le moment idéal pour prendre une année sabbatique. À la clé : une année pour grandir, faire des découvertes et apprendre à se connaître. »

Camille Maleysson