[FIPA] La jeunesse égarée de Jalalabad à l’honneur dans Snow Monkey

Snow Monkey, réalisé par George Gittoes, lauréat du Prix pour la Paix de Sydney en novembre dernier, était la première séance spéciale de ce FIPA 2016. « Le voyage extraordinaire » promis par François Sauvagnargues, torture, fait rire et interroge sur la condition de vie de l’enfant aux frontières entre l’Asie et le Moyen-Orient.

À Jalalabad, cinquième ville la plus peuplée d’Afghanistan, la misère est quotidienne. George Gittoes, Australien de 65 ans, y vit depuis 2011. Il y a érigé la « Maison Jaune », lieu de création cinématographique et artistique. En quatre ans, le réalisateur s’est parfaitement fondu dans la société afghane, et est devenu très apprécié des populations locales. « Il passe sa vie à aider les jeunes dans les zones de conflits », déclare la distributrice Lola Elbaz au public avant la projection. L’occasion pour lui de réaliser un long métrage sur les maux de l’enfance à Jalalabad, à travers le regard de trois principaux groupes de jeunes afghans.

Glaces au citron et chasseurs de fantômes

En guerre depuis des dizaines d’années, le pays compte un grand nombre de familles meurtries, de pères handicapés ou de mères malades. Aujourd’hui, près de 34% des enfants travaillent, la plupart d’entre eux pour subvenir aux besoins de leur foyer. Irfan et ses acolytes arpentent les rues cabossées de Jalalabad, à la recherche de quelques afghanis. Ceux qu’on appelle les « Snow Monkeys » – parce qu’ils sont partout à la fois -, poussent leurs chariots des heures durant, et vendent des glaces aux habitants de la ville, sous peine de subir le courroux de la figure paternel, souvent sans emploi, en rentrant le soir.

Snow Monkey enfants joyeux

Irfan (en haut à gauche) et ses Snow Monkeys, à l’affiche du film (crédit photo : snowmonkeymovie.com)

Quelques rues plus loin, le trafic routier bat son plein. L’occasion rêvée pour les « chasseurs de fantômes » de grappiller quelques sous en exorcisant les mauvais esprits des voitures en circulation. La bande de jeunes enfants, de 8 à 12 ans, court après les carrosseries, faisant virevolter les boites métalliques dans lesquelles brûle un encens aux facultés soi-disant expiatoires. Mais les magiciens en herbe sont mal reçus, et se voient asséner gifles et coups de portière, souvent pour seul motif qu’ils appartiennent à la communauté Kuchi, une minorité persécutée en Afghanistan pour son rejet de l’Islam fondamentaliste.

À quelques mètres de là, Gul Minah, qui a « cinq ou six ans » selon ses dires, ramasse les canettes à l’arrière des commerces et dans les dépotoirs avec son frère cadet. Elle ramènera le petit pécule qu’elle touche à son père, en prison pour meurtre. À Jalalabad, le temps, les repères de la vie n’existent plus. Gul Minah, Irfan et ses acolytes ne connaissent pas leurs âges exacts. Ici, on travaille pour survivre, sans compter les heures, les jours ou les semaines.

Acier, caïd prépubère ultraviolent

Tout ce petit monde n’espère qu’une chose : échapper à Acier, gangster de 10 ans, qui terrorise et rackette la moitié de Jalalabad. Avec sa bande, il dépouille les enfants travailleurs et menace à coup de lame de rasoir quiconque lui tiendrait tête. Pour le moment sous-fifre des malfrats du parc, où se côtoient junkies et voleurs, Acier espère prendre la relève de son boss et régner sur la ville.

Acier snow monkey armes

Stoïque, Acier présente ses armes de poing à George Gittoes : lame de rasoir et seringue (crédit photo : snowmonkeymovie.com)

Tout au long du film, le jeune garçon reste de marbre devant la violence sociale et physique qui secoue le pays, se posant en Al Pacino des montagnes afghanes, et promettant à sa chère et tendre Shazia les belles baraques de Jalalabad au bord du fleuve Kaboul. Le marginal romantique n’a pourtant rien de sympathique. Dans la première scène, Acier pourrait concurrencer n’importe quel « méchant » de Tarantino. Clope au bec, regard de tueur, le gamin s’adonne à une partie de billard sur les bords du fleuve, avant d’aller faucher d’un coup de pied un jeune vendeur de glace n’ayant pas payé son dû. Sans tiquer. Pourtant, George Gittoes va finir par rendre le galopin attachant. Dans son œuvre, le réalisateur, qui va proposer à ces enfants de jouer leurs propres rôles dans un film, offre un « behind the scene » touchant, humaniste, dévoilant les souffrances et les rêves de cette jeunesse désenchantée.

Entre déchéance et espérance

George Gittoes est bien plus qu’un simple réalisateur. Non seulement il filme avec beaucoup de justesse une culture, une société, une jeunesse qui apparaît peu sur nos écrans occidentaux, mais il est également une véritable source d’espoir pour ces enfants égarés. Sa façon de se mettre en scène dans sa propre réalisation et sa mise en abîme cinématographique nous offre un portrait déroutant d’Irfan, d’Acier et de tout les autres jeunes qui, au delà de la violence sourde de la vie quotidienne à Jalalabad, espèrent de nouveaux horizons, plus profitables.

Gittoes aborde les dures conditions de vie de la société afghane, la drogue, la religion, le terrorisme, les relations père-fils à travers les yeux de ces enfants que plus rien n’effraie. C’est d’ailleurs ce qui est le plus dur à encaisser dans l’œuvre du réalisateur australien. Si ce dernier ne nous épargne pas les images de l’attentat suicide de 18 avril dernier et des chèvres égorgées, la véritable violence du film, elle, est ailleurs. Elle est psychologique, morale, dérangeante. Comme lorsqu’Acier évoque l’attaque kamikaze ayant fait 33 morts devant une banque de Jalalabad, restant de marbre face à la situation. Comme si le sang, la peur et les pleurs faisaient partis de son quotidien. Au milieu de cette jungle, George Gittoes offre de nouvelles perspectives à sa petite troupe d’acteurs. Et un souffle d’air frais, tout droit venu des glacières des « Snow Monkeys ». Entrecoupé de quelques claques, bien sûr.

Antonin Deslandes