[FIPA] Mijn Jihad, lutte pour l’humanité

La question du djihadisme est devenue omniprésente dans les discours des autorités, les sujets médiatiques, les conversations interpersonnelles. Nouveau fondement d’un monde soudain précaire, ébranlé par une menace nouvelle, qu’il importe d’admettre, d’expliquer, pour espérer la juguler. C’est cette velléité de compréhension, de pénétration indulgente au sein d’une humanité en souffrance – celle des musulmans – qui mena Mark De Visscher, réalisateur, et Rudi Vranckx, journaliste, enquêter en Belgique, terreau européen d’exils en Syrie, avec au bout de cette quête, la diffusion du documentaire Mijn Jihad. Buzzles a eu l’occasion de le visionner, dans le cadre du Fipa à Biarritz.

Rarement la voix de la communauté musulmane est véritablement entendue. Ni comment les musulmans perçoivent l’extrémisme. A Vilvoorde, le sentiment d’un écart vénéneux entre deux mondes, celui des musulmans et celui des Occidentaux, a commencé avec l’interdiction de la burqa par le parlement, en 2011. Dès lors, ce gouffre, douloureusement vécu par les musulmans, signifie pour eux le rejet d’une religion qui leur est pourtant fondamentale, à laquelle ils sont fidèles ou sensibles, rejet émanant du pays dans lequel pourtant ils vivent. D’après ce documentaire, c’est là, dans la profondeur existentielle de l’Homme, son intimité morale et religieuse remise en question, que se trouve le réel incubateur d’une volonté à partir faire le djihad.

C’est en allant à la rencontre de musulmans occidentaux qui défendent une interprétation pure de l’islam, que Rudi Vranckx propose une compréhension psycho-sociale des causes ayant mené à ce jour quelque 400 jeunes Belges à partir faire le djihad en Syrie. Des mères en souffrance devant vivre avec la culpabilité d’un fils disparu, un imam tentant de divulguer un message paisible du paysage théologique issu du monde arabe, ou encore un jeune musulman, Imad, pour qui son djihad, c’est la cause humanitaire. Dans les larmes de la mère de Sabri Saliha, jeune Belge parti un matin à 18 ans sans qu’elle le sache pour la Syrie, la culpabilité est saillante. A la mort du fils, plus d’inquiétude, seule l’affliction, et des lettres envoyées au ministre de l’Intérieur, au Premier ministre, pour prévenir, avertir, demander de l’aide. Sans réponses. L’électrochoc, ça a été Charlie Hebdo. A partir de janvier 2015, la prévention a commencé. Mais trop faible encore, trop collective, incapable de s’attacher au caractère individuel et intérieur du problème.

Rudi Vranckx va notamment à la rencontre de l'imam Suleyman, qui officie en Belgique. Crédit : DR

Rudi Vranckx va notamment à la rencontre de l’imam Suleyman, qui officie en Belgique. Crédit : DR

Au centre psychosocial Al-Miezaan, Sofian et Suleyman cherchent à prévenir l’isolement social des jeunes, et le sentiment de retrait d’eux-même qu’ils peuvent éprouver. Les racines du problème du radicalisme islamisé, pour l’imam Suleyman, viennent du fait que les jeunes n’ont personne avec qui parler du religieux. L’impression de deux univers cloisonnés est le point de départ d’un mal-être existentiel qui ne cessera de croître, sauf si l’on essaie de l’apaiser, de le raisonner. C’est là le rôle qu’il tente de tenir, au travers d’une approche individuelle de ces individus esseulés qu’il faut à tout prix retenir de la tentation de la haine.

Le jeune Imad, quant à lui, est la personnification de l’harmonie entre ces deux mondes, occidental et musulman. Après un séjour à Gaza en 2009, ce qu’il veut, c’est sauver des vies. Il transforme la frustration face à ces univers qui peinent à se conjuguer en œuvre humanitaire. Transcender le chagrin au profit d’une énergie positive, bienveillante. Pour lui, c’est « le plus haut des djihads ». Car si le documentaire porte le nom de Mijn Jihad – « mon djihad » -, c’est que l’expression de ce devoir religieux ne doit pas s’entendre seulement à travers la transfiguration nauséabonde qu’en font les djihadistes de l’État islamique. Le djihad, c’est « se délivrer du mal, se purifier intérieurement, ne pas bombarder l’idéologie musulmane ». Le combat de ces fidèles se trouve ici. Réconcilier deux mondes que beaucoup cherchent à fixer comme étant antagonistes. Parler à la voix intérieure de l’Homme, pour guérir la douleur de vivre. Ce documentaire est une façon nécessaire d’aborder un mal actuel dans sa fibre la plus profonde, et par là même, la plus essentielle. Dommage toutefois que le réalisateur n’approfondisse pas franchement un sujet que l’on aimerait voir davantage fouillé, tant les nœuds du problème évoqué sont multiples, et les facettes qu’il revêt tout aussi multiformes.

Romy Marlinge