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Tunisiens de France, entre Ennahdha et Nidaa Tounes.
Plus d’un an après l’élection de Beji Caid Essbsi à la présidence de la Tunisie, nous sommes allés à la rencontre de jeunes Tunisiens vivant en France. Issus des milieux bourgeois de la banlieue nord de Tunis, ils cherchent à combattre le parti islamiste Ennahdha, grand perdant des dernières élections présidentielles. À des milliers de kilomètres de leur pays, seules les urnes peuvent témoigner de leur engagement. Rencontre.
Au lendemain de la révolution, les exilés politiques reviennent de tous les continents pour fêter le renversement du pouvoir. Parmi eux, Rached Ghannouchi, leader du parti Islamique. Son retour met fin à 40 ans d’exil pour son parti, Ennahdha. Il est accueilli comme un héros par des milliers de partisans à l’aéroport de Tunis.
« C’est là que j’ai découvert ce qu’était l’islamisme. Avant, il n’y avait pas de femme en Niqab ou d’homme barbu. D’ailleurs ce n’était même pas des vraies barbes. Pour l’anecdote, la police avait intercepté un camion rempli de fausses barbes qui devaient être distribuées à la population » nous raconte Sihem 23 ans, étudiante à Toulouse. En effet, sous l’ère Ben Ali, les islamistes ont connu une répression féroce entre emprisonnement arbitraire et torture. L’ancien dictateur a d’ailleurs été condamné par contumace à 5 ans de prison ferme pour ces pratiques. « Le parti Ennahdha n’attendait que la révolution pour revenir. Ils étaient organisés, avaient des financements importants, en France ou à Londres. Je sais de quoi je parle, mon père a fait de la prison en Tunisie pour avoir financé le parti islamiste » nous explique Bilel, 21 ans. Trois ans après la révolution, le pays est en proie à l’instabilité ministérielle. Les premières élections présidentielles libres sont organisées au mois d’octobre 2014.
« C’était la première fois que j’allais voter pour l’avenir de mon pays »
Nous rencontrons Aziz dans son appartement à Nice. Sur le mur du salon, est accroché le drapeau tunisien. Il est étudiant en deuxième année d’économie. Lors des élections de 2014, il est spécialement retourné en Tunisie pour voter. « C’est la première fois que j’allais voter, mes parents aussi […] On était vraiment fiers. Mon père avait voté une fois. Mais à l’époque de Ben Ali ça ne comptait pas». Pour beaucoup de Tunisiens, il s’agit de leur tout premier vote. Skander a 27 ans, il travaille à Airbus à Toulouse. « Je suis né l’année où Ben Ali a pris le pouvoir. En Tunisie on appelle ça « aamet tawr », l’année du changement. Mais c’est ironique évidemment. […] Pour moi, c’était tout simplement la première fois que j’allais choisir l’avenir de mon pays ».

Marwan couvert du drapeau tunisien dans les rues de Toulouse après les manifestations de soutien aux victimes de l’attentat du Bardo et contre l’islamisme radical. Crédit photo: Etienne Merle
« Beji Caid Essebsi, c’est le seul à pouvoir vaincre les islamistes »
Au second tour des élections présidentielles, il faut faire un choix pour ces jeunes. Les islamistes ont perdu mais Moncef Marzouki, le président sortant, récupère les voix d’Ennahdha. En face, Beji CaÏd Essebsi de Nidaa Tounes prône une démocratie laïque. Il est cependant très critiqué pour son âge (89 ans actuellement) mais surtout son passé avec l’ancien gouvernement. Il a été Président de la Chambre des Députés et membre du Comité Central du R.C.D, le parti de Ben Ali (élu 3 fois de suite au sein de ce Comité). Pourtant, BCE s’est revendiqué du Bourguibisme durant toute sa campagne présidentielle. « Beaucoup de Tunisiens admirent Bourguiba. Il a apporté pas mal de chose à la Tunisie. Donc pour les électeurs, voter Beji Caid Essebsi c’était poursuivre le travail de Bourguiba » confie Aziz. Une stratégie de campagne qui a donc fonctionné. « Beji Caid Essebsi est le seul à pouvoir vaincre les islamistes ». Pour Sihem, « On n’avait pas le choix. Malgré son passé, et le fait qu’il soit un peu comme Ben Ali. Il fallait absolument faire partir les islamistes. » Ce constat n’est cependant pas toujours partagé. Pour Skander, Beji Caid Essebsi c’est déjà un » retour en arrière ». « Pour moi, BCE c’est quelque chose de temporaire. Cela peut marcher quelques temps mais il faut absolument passer à autre chose. On a fait une révolution pour faire bouger les choses. Il faut que ça change ». Marwan, 20 ans, s’agace lorsqu’on lui parle de Beji Caid Essebsi comme un « mal nécessaire ». « Mais vous voulez revenir en dictature ou quoi? Il ne faut pas voter par défaut. Pourquoi faire une révolution si c’est pour avoir les mêmes au pouvoir? ». C’est d’ailleurs l’une des revendications des manifestants du mois de janvier 2016. Après la mort d’un jeune chômeur électrocuté alors qu’il protestait contre le manque de travail. Des manifestations ont alors secoué le pays et notamment la ville de Kasserine, berceau de la révolution. Ces manifestants réclament le départ de Beji Caid Essebsi et des mesures fortes pour combattre le chômage. Même si la situation s’est calmée après le discours du président réclamant « du temps au temps », la situation semble toujours préoccupante. Le chômage est proche des 16%, l’inflation mine l’économie et les touristes ont fui après les attentats.
Ces manifestations traduisent aussi la division politique au sein de la Tunisie. Le Sud a voté très largement en faveur de Moncef Marzouki alors que le Nord a choisi le camp de Nidaa Tounes. » Les populations du Nord ont surement plus voté pour les idées de démocratie et de laïcité car ils vivent bien. Les plus pauvres ont voté en majorité pour Marzouki car son discours était plus porté sur le niveau de vie et son amélioration. C’était leur prirorité» conclut Aziz.
Etienne Merle