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Journalistes et robots-rédacteurs : concurrence ou collaboration ?
Les robots seront-ils amenés à remplacer les journalistes dans un avenir proche, dans un contexte où l’automatisation des rédactions s’accroit ? Une question qui a suscité de nombreux éléments de réponse en ce premier jour de la 9ème édition des Assises du journalisme, à Tours, lors d’une table ronde.

Samuel Laurent, responsable et fondateur des Décodeurs du Monde, est revenu sur la collaboration entre algorithmes et actualité politique.
Dans quinze ans, 90% des articles seront écrits par des robots. Cette prévision de la société américaine de technologie Narrative Science, qui peut sembler inquiétante, fait écho à l’accroissement des robots-journalistes.
En 2007, le Los Angeles Times code l’« Homicide report ». Ce programme s’alimente avec les données des médecins légistes et recense, entre autres, le nom, l’âge, le sexe, l’origine de la victime et le lieu où elle est morte. Toujours aux Etats-Unis, le magazine Forbes publie en 2013 des textes rédigés par des robots dans le domaine du sport et de la finance. En France, Le Monde s’est fait remarquer lors des élections départementales de 2015 en publiant 36 000 textes écrits par des robots.
Un robot est « un moteur de rédaction qui est capable, à partir d’un paramétrage humain, de transformer des données structurées en texte », enseigne Helena Blancafort, co-fondatrice et directrice des opérations de Syllabs, entreprise d’analyse sémantique et de rédactions automatiques de textes. Face à l’automatisation croissante du métier, les robots peuvent-ils remplacer les journalistes ?
« Le monde n’est pas structuré en base de données »
Le robot résulte d’algorithmes, de codes. Il a besoin de bases de données, de chiffres. « Arrêtez de dire que c’est intelligent, ça reste du travail statistique de corrélation », indique Dominique Cardon, sociologue à Orange Labs. Constat partagé par Helena Blancafort : « Ce sont des textes de deux cents mots qui présentent de manière très factuelle. L’intelligence n’y est pas encore. »
Le factuel des algorithmes se heurte à la limite de l’interprétation. « Dans les vingt prochaines années, un robot journaliste ne pourra pas faire d’article. Ce n’est que de la synthèse. Une enquête de trois mois, ce n’est pas la même chose que la production d’un robot », souligne Samuel Laurent, créateur et responsable des Décodeurs du Monde.

Pour Bertrand Pecquerie, PDG de Global Editors Network, les robots sont de plus en plus sophistiqués. (Crédit photo : Ninon Fauchart)
Le travail d’un robot et celui d’un journaliste sont ainsi deux productions distinctes qui ne sont pas comparables. « Jamais une machine ne fera d’enquête », signale Bertrand Pecquerie, PDG de Global Editors Network. Il met en garde contre le danger de « l’uniformisation des comportements », et le « côté répétitif et moutonnier » des robots. « Le monde n’est pas structuré comme une base de données, il est beaucoup plus complexe », ajoute Dominique Cardon, rappelant qu’une des tâches du journaliste est de comprendre et analyser la donnée.
Les robots-journalistes sont utilisés dans trois domaines, impliquant chacun des chiffres : la finance, le sport et les élections. Lorsqu’on on sort de ces spécificités, l’analyse inhérente à l’être humain devient nécessaire. « Quand il y a un fait exceptionnel, donc une analyse de données, on fait appel au journaliste, qui dédie son temps à faire une analyse profonde. On l’implique pour cette valeur ajoutée », insiste Helena Blancafort.
« Il faut l’embrasser comme une opportunité »
Plutôt que de s’inquiéter d’un possible remplacement, les intervenants de cette table ronde promeuvent les avantages de cette automatisation. « Bien apprivoisé, normalement, ça libère du temps pour des tâches plus intéressantes », pointe Dominique Cardon.
Lors des élections départementales de 2015, Le Monde a publié autant de brèves rédigées par des robots qu’il existe de communes en France. Samuel Laurent revient sur cet exploit : « Les textes étaient plus lisibles et plus intéressants que de simples tableaux. Il y avait 36 000 textes différents. Aucun journaliste n’aurait fait ce travail. Il ne s’agit pas de concurrence mais de plus-value. »

Helena Blancafort, co-fondatrice et directrice des opérations de Syllabs. Son job : automatiser la rédaction. (Crédit photo : Ninon Fauchart)
S’il est question de remplacement, il peut être question de licenciement. Mais comme le clame Bertrand Pecquerie, ce doute est infondé. Il y a deux ans, l’Associated Press diffusait les résultats financiers de 400 sociétés par trimestre. « Elle en couvre 9 000 grâce à la robotisation, sans qu’il y ait eu le moindre licenciement. La robotisation pour le moment c’est un service en plus qui est fourni au lecteur. (…) On n’est pas dans une histoire où le robot va manger le travail du journaliste. »
La distinction est également effectuée par Helena Blancafort, qui ajoute : « On parle de robot rédacteur parce que notre savoir-faire c’est d’automatiser la rédaction. On n’est pas des journalistes. » Pour cette directrice des opérations de Syllabs, le robot journaliste, c’est avant tout la production de « nouveaux contenus ».
Se méfier du robot qui dort
Actuellement, les intervenants s’accordent à dire que les robots sont limités et que la plus-value de l’humain est nécessaire. D’ici quelques années, ce constat pourrait évoluer.
« On arrive à un niveau de sophistication qui dépasse le simple factuel », prévient Bertrand Pecquerie. « Avec une base de données de plusieurs millions de photos de mode, le robot pourra les analyser et faire ce qu’aucun journaliste ne pourra faire : comparer la texture, la diversité des modèles. Qui a la mémoire humaine pour dire ça ? L’analyse quantitative de photos va permettre la production de textes intelligents. Il y aura bien une intelligence du robot, plutôt vers 2020. Ne pensez pas le robot journaliste qu’en termes de mise en forme de données statistiques. »

Dominique Cardon, sociologue spécialiste du numérique, estime que les robots représentent un gain de temps en faveur des journalistes. (Crédit photo : Ninon Fauchart)
Samuel Laurent se veut (un peu) moins dramatique. « Il ne faut pas se tromper de débat. Le progrès va se faire, on n’a pas le choix. Il ne faut pas s’inquiéter. En termes d’inquiétudes, l’urgence se place sur le modèle économique et la crédibilité des médias. »
Si, d’après Bertrand Pecquerie, « le lecteur ne saura plus si c’est écrit par un robot ou par un journaliste », « l’objectif des robots-journalistes reste financier. Il va permettre de créer des services payants qui rapporteront de l’argent aux médias. » Rendez-vous dans quatre ans pour assister aux Assises du Robot-journalisme ?
Lauriane Sandrini
Ninon Fauchart
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