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[Interview] Pierre Larrouturou, une nouvelle donne ? #1/3
A 51 ans, Pierre Larrouturou est économiste, mais aussi l’un des fondateurs du parti Nouvelle Donne. D’abord encarté au PS, ce disciple de Michel Rocard et allié de Stéphane Hessel a décidé de créer son parti en 2013. Ce projet est né du « Collectif Roosevelt 2012 », qui mettait en avant 15 propositions, en référence aux 15 réformes que Roosevelt a fait adopter quand il est arrivé à la Maison blanche en 1933. Ouvertement opposé à la loi El Khomri, adepte du système canadien et partisan d’une VIe République, Pierre Larrouturou nage à contre-courant. Une nouvelle donne est-elle possible ? Il répond à Buzzles.
Est-ce que vous comptez vous présenter en 2017 ?
Notre objectif, c’est que nos idées soient au cœur du débat en 2017. On verra comment, on ne sait pas encore s’il y aura des primaires à gauche ou pas. On aura un débat à la fin du mois de juin avec tous les adhérents de Nouvelle Donne pour trancher là-dessus, pour le moment c’est encore flou. Mais il faut tout faire pour avoir un débat de fond. L’appel lancé en faveur d’une Primaire à gauche par Thomas Piketty et Daniel Cohn-Bendit a été signé par presque 100 000 citoyens. Dans toutes les villes il y a des groupes de citoyens qui disent que c’est une question démocratique fondamentale. En tous cas on ne fait pas confiance au PS ou à l’UMP pour régler nos problèmes et encore moins au Front National. On en peut plus, cela fait 40 ans que les mêmes nous disent que la croissance revient, mais cela fait 40 ans qu’elle diminue décennie après décennie.
Vous proposez de baisser le temps de travail quand la loi El Khomri propose l’inverse. Selon vous quelle politique faut-il mener pour lutter contre le chômage ?
Manuel Valls dit qu’il faut accepter la flexibilité. On lui répond que la flexibilité c’est comme le cholestérol : il y a la bonne et la mauvaise. À chaque fois qu’il y a une baisse de croissance, on fait travailler plus longtemps ceux qui sont encore salariés et on facilite le licenciement. C’est de la mauvaise flexibilité. Il y a des pays comme le Canada qui ont mis en place une bonne flexibilité, c’est-à-dire que lorsqu’une entreprise perd 20% de son chiffre d’affaire, elle ne licencie pas 20% des employés, elle baisse le temps de travail de 20%. La productivité reste la même. Dans ce cas, on baisse les salaires pour rester compétitif. En retour l’Etat canadien met sur la table de quoi maintenir 98% du salaire. Mais en France la loi El Khomri c’est l’inverse : faciliter les licenciements et faire des heures supplémentaires pour ceux qui sont déjà là. Donc on a vraiment du mal à comprendre à quel moment les entreprises vont embaucher. Si cette loi était votée en l’état, quand une entreprise verra son chiffre d’affaires augmenter, elle pourra inciter ses employés à faire des heures supplémentaires. Donc il n’y aura pas d’embauche. À l’inverse, quand une entreprise va mal, on l’incite à licencier plus, au lieu d’appliquer le système canadien. Donc, on voit mal à quel moment il y aurait un effet positif sur l’emploi dans un contexte de croissance très faible.
Pourquoi cette mesure n’est-elle pas appliquée en France ?
C’est une question de volonté politique. Pour la rendre applicable, il faut qu’il y ait une volonté des partenaires sociaux au niveau national ou au niveau de l’Etat. En 2009, Angela Merkel a décidé de mettre en place le système canadien. Elle a fait le contraire de Nicolas Sarkozy, qui lui, a mis des milliards pour « travailler plus, gagner plus », alors que la chancelière a mis des milliards pour « travailler moins, licencier moins ». Il y a 1 500 000 salariés en Allemagne, dont on a protégé l’emploi quand il y a eu la crise en 2009-2010, qui ont une RTT de 31% en moyenne et Angela Merkel mettait là des milliards pour que ces salariés gardent 98% de leur salaire.
Dans ce contexte de crise économique où l’Etat peine à trouver des financements, où comptez-vous trouver l’argent pour financer ce projet ?
Actuellement en France, le chômage nous coûte 80 milliards. Notre pays investit des sommes considérables pour financer le chômage. Le RSA c’est 10 milliards d’euros dépensés en plus chaque année. Il y a deux ans et demi nous avions écrit un livre avec Michel Rocard où nous prenions l’exemple d’entreprises qui avaient mis en place un système à quatre jours pour créer de l’emploi. C’est le cas de Fleury Michon qui n’avait aucune difficulté et où tous les salariés sont passés à 4 jours. Bien évidemment l’entreprise continue à tourner 5 ou 6 jours, et a embauché 130 personnes. L’idée c’est que l’entreprise arrête de payer les cotisations chômage si elle passe à 4 jours et qu’elle créé au moins 10% d’emplois.
Ces idées vous les avez déjà exposées au Président, aux partenaires sociaux et aux chefs d’entreprise ? Qu’est-ce qu’ils en pensent ?
Dans mon livre Non-assistance à peuple en danger, j’ai proposé cinq mesures d’urgence que l’on peut adopter en 3 mois. Jean-Marc Ayrault voulait les mettre en place, mais François Hollande a refusé. On touche du doigt le fait que notre pays est bloqué par des institutions d’un autre âge. On a un système quasiment monarchique. On vote tous les 5 ans. Après ça, c’est un homme tout seul qui prend toutes les décisions. On est le seul pays où le pouvoir est autant concentré. En Allemagne, le chancelier passe son temps à négocier avec les députés, aux USA le Président passe son temps à négocier avec les parlementaires.
Vous dites vouloir casser cette « monarchie présidentielle ». Vous voulez modifier la constitution ? Peut-on alors parler de VIe République ?
Evidemment, c’est indispensable. Il faut créer une assemblée constituante et proposer un referendum au peuple français. Il faut plus de pouvoir pour le Parlement, plus de pouvoir pour les citoyens. Par exemple une proposition que nous souhaitons insérer dans le débat : la loi d’initiative citoyenne (LIC). Lorsqu’un texte est soutenu par au moins 100 000 citoyens, les rédacteurs du texte ont accès à la télévision cinq minutes à 20h et sur toutes les chaînes. Le débat est donc public et le Parlement aura six mois pour étudier la loi. Nous ne voulons pas que les citoyens soient là juste pour voter une fois tous les cinq ans. C’est pour ça qu’il faut le non-cumul, le Parlement devient vraiment le lieu du débat entre les lois qui viennent des citoyens, les lois qui viennent des députés et les lois qui viennent de l’exécutif. Ce serait une vraie évolution. Cela voudrait dire que la prochaine réforme des retraites pourrait venir des syndicats ou des associations de citoyens. Nous, les citoyens, nous ne sommes pas là pour voter une fois tous les cinq ans et pour aller dans la rue quand on en a marre. On a le droit d’utiliser notre cerveau pour faire des propositions, des innovations…
Mais pour mettre tout cela en place, il va falloir être Président. C’est votre objectif ?
Nouvelle Donne va décider de sa stratégie à la fin du printemps, mais on va tout faire pour que nos idées soient au cœur du débat en 2017.
Propos recueillis par Etienne Merle et Gaspard Poirieux