LE SEXE SUR LE BOUT DES DOIGTS

Les applications mêlant réseau social et site de rencontre font fureur chez les 18-30 ans. Elles promettent souvent le grand amour, mais les utilisateurs y cherchent surtout du sexe rapide et sans lendemain. 

« Alors combien de  ̎ matchs  ̎ aujourd’hui ? ». C’est l’excitation quotidienne des utilisateurs de TinderLovoo, Badoo ou autre Happn . Le « match » c’est le principe de base de toutes ces applications : imaginez que vous êtes inscrit et que vous cherchez à faire de nouvelles rencontres. Vous sélectionnez des profils qui vous intéressent, si ces personnes vous sélectionnent à leur tour bingo ! Vous matchez. La logique du « match » permet de mettre en relation dans une zone géographique précise, des gens ayant les mêmes intérêts, et surtout… les même envies. Elles sont très souvent sexuelles, et les assouvir devient de plus en simple. Xavier, 20 ans a trouvé son bonheur sur Tinder : « Je matche, je discute 3-4 jours, je rencontre, je m’envoie en l’air et après soit on en reste là ou soit on continue une relation uniquement sexuelle. C’est ma petite routine ». Le décor est planté. La drague virtuelle désinhibe, le fait d’être derrière un écran permet d’assumer des demandes que l’on n’aurait pas osé formuler dans la vie réelle, exit la honte du refus essuyé. La facilité à trouver un « coup d’un soir » a convaincu les jeunes utilisateurs, à l’heure d’une société où règne l’immédiateté. Pour Gabriel un bordelais de 24 ans, il serait à présent impossible de se passer de son application favorite, et comme lui beaucoup de consommateurs de sexe rapide et sans contrainte « matchent à la chaîne ». Deux « plans culs » par week-end pour Gabriel, une quinzaine de garçons pour Sarah, 19 ans, inscrite sur Badoo depuis seulement 3 mois, jamais deux soirées avec le même mec pour Emma, 25 ans

Mais concrètement comment s’organise un « plan cul » sur ces applications ? Tout d’abord il y a le match donc, ensuite les deux intéressés discutent quelques jours ou quelques semaines pour voir si le feeling passe, si c’est le cas, un rendez-vous est pris, souvent dans un lieu public autour d’un verre, si tout va toujours bien ils montent chez l’un ou l’autre pour faire leurs affaires, ils se séparent au petit matin et une fois sur deux ils ne se revoient plus jamais. Voilà les coulisses du « fast-sex ».

Stats Tinder

Caroline, 20 ans, est étudiante en double cursus maths-biologie à Nice. Cette jeune fille, aux cheveux châtains et aux yeux verts, cherche à rencontrer des garçons de son âge, qui essayent d’obtenir la même chose qu’elle : une relation sans lendemain. En décembre 2015, elle s’inscrit sur l’application Tinder. Aujourd’hui, elle l’utilise au moins 30 minutes par jour, pour répondre aux messages ou « matcher » des mecs. Depuis son arrivée sur le réseau social, Caroline a rencontré 10 jeunes hommes, et a couché avec plus de la moitié d’entre eux. Tinder n’a pas bousculé ses habitudes puisqu’elle sort toujours autant et même plus qu’avant. Certains lui ont payé le restaurant ou l’ont invité sur leur yacht. Pour elle, ça change puisqu’elle vient de la région clermontoise, « de la campagne ». Et quand on lui demande si elle pourrait arrêter un jour, elle répond que ça serait compliqué. « Quand il y en a un qui ne veut plus qu’on se voit, il y en a cinquante derrière ! C’est trop facile ».

« C’est la génération Kleenex : je prends, je jette »

Pour ces jeunes adultes, les tabous volent en éclats un à un. Ils assument pleinement leur quête de sexe et la multiplicité de leurs partenaires et apparaissent totalement décomplexés face à ces pratiques. Les nouveaux moyens de communications semblent avoir bousculé certaines normes. Cette tendance s’inscrit dans l’évolution de ces dernières décennies où chaque génération est plus précoce sexuellement que la précédente. « On est en 2016, ça me paraît normal de faire ça. » s’exclame Marine une parisienne de 20 ans. À croire qu’aujourd’hui chercher l’amour à 20 ans c’est devenu vieux jeu. Claudine Decaux, sexologue marseillaise, a son avis sur la question : « À travers ces pratiques ils cherchent à exister. Des réseaux comme Tinder ou Badoo favorisent ces comportements. C’est l’offre qui crée la demande. » Elle regrette l’explosion des barrières morales ainsi que la perte de savoir-vivre et de courtoisie de cette génération qu’elle appelle « la génération Kleenex, c’est-à-dire je prends je jette. ».

Il semble que cela soit tout de même à nuancer, et que la recherche du « plan cul » soit le reflet d’une difficulté à s’engager dans une relation stable et d’une peur de l’attachement amoureux. Beaucoup sont dans une quête constante de liberté dans un contexte où l’amour est perçu comme une prison. Certains parlent de « baise sans sentiment ». Éloïse habite à Lyon, elle a 19 ans, depuis trois mois elle est dans une relation uniquement sexuelle avec un garçon rencontré sur Tinder, pour elle « Ce qui nous différencie d’un couple c’est juste le fait qu’on ne s’affiche pas en public, qu’on ne se dit pas qu’on s’aime, qu’il y a moins de mots doux et de câlins, et qu’on ne parle pas de l’un et l’autre à nos parents. Nous avons tous les avantages d’un couple sans les inconvénients à peu près. On se voit car on en a envie et pas parce qu’on est obligés, on ne se doit rien, si on veut arrêter à tout moment on peut ».

Éviter les relations sérieuses, c’est aussi se passer d’estime, d’affect et de tendresse. Emma a 24 ans, ces dernières années elle a beaucoup utilisé Badoo dans le but de consommer du sexe sans lendemain. Mais aujourd’hui cette toulousaine a consommé jusqu’à l’écœurement : « Au final cela ne m’a rien apporté, et aujourd’hui je suis même un peu dégoûtée par le sexe ». D’après son expérience le fait d’annoncer l’unique recherche de sexe enlève le charme, rend les mecs plus froids, plus brusques. Les relations sont totalement dépersonnalisées, moins gratifiantes, il n’y a plus la séduction et l’incertitude qui font normalement monter le désir.

Léo Parmentier

Thibault Sadargues

Florian Leyvastre