[INTERVIEW] Pierre Larrouturou, une nouvelle donne ? #2/3

A 51 ans, Pierre Larrouturou est économiste, mais aussi l’un des fondateurs du parti Nouvelle Donne. D’abord encarté au PS, ce disciple de Michel Rocard et allié de Stéphane Hessel a décidé de créer son parti en 2013. Ce projet est né du « Collectif Roosevelt 2012 », qui mettait en avant 15 propositions, en référence aux 15 réformes que Roosevelt a fait adopter quand il est arrivé à la Maison blanche en 1933. Après avoir prédit la crise de 2008, Pierre Larrouturou continue de remettre en cause le système bancaire et l’inertie du gouvernement français. Une nouvelle donne est-elle possible ? Il répond à Buzzles.

Vous aviez prédit la crise de 2008, et vous dites qu’une autre peut nous tomber dessus très rapidement. Vous proposez une restructuration des banques françaises avec notamment la séparation des banques de dépôt et des banques d’affaire. Est-ce que ça n’est pas un peu utopique face à la pression des lobbies qu’on connait ? 

Non, ce qui est utopique c’est de croire que l’on peut continuer comme ça. Le FMI vient de dire deux fois en trois semaines qu’on risquait de voir l’économie mondiale dérailler. Pas juste ralentir : dérailler. Il faut donc séparer les banques de dépôts et les banques d’affaires. C’est ce qu’a fait Roosevelt quand il est arrivé au pouvoir en 1933. Quand j’étais petit, il y avait d’un côté BNP et d’un côté Paribas. Paribas était une banque d’affaire qui avait le droit d’exister, mais pas le droit de récupérer l’argent des citoyens pour spéculer sur les marchés, et n’avait pas la garantie de l’Etat. Quand elle faisait des bénéfices c’était pour elle, mais si elle faisait des pertes c’était les actionnaires qui perdaient leur argent. Tandis que maintenant qu’il y a BNP et Paribas dans la même unité, Paribas peut prendre l’argent de monsieur et madame tout le monde et le placer sur des marchés financiers, souvent très casse gueule. De facto, ça donne la garantie de l’Etat car quand il y a des milliards de bénéfices, c’est pour les traders et les actionnaires, mais s’il y a des milliards de perte, le patron de BNP Paribas va aller voir le ministre en disant « Monsieur le ministre vous pouvez pas nous laisser faire faillite sinon il y a 3 millions de gens qui font faillite ». Donc s’il n’y a pas la séparation entre les deux types de banques, on donne la garantie de l’Etat et on permet aux traders de spéculer avec notre argent. Si on les sépare, les banques d’affaire calment le jeu et spéculent beaucoup moins, et les banques de dépôt, avec l’argent de monsieur et madame tout le monde, se tournent vers l’économie réelle. Parce qu’il faut quand même faire fructifier cet argent, on ne va pas le mettre au frigo. Dans ce cas, comme elles ne peuvent plus aller spéculer sur les marchés financiers, elles vont se tourner vers les PME et les entreprises du coin. Elles vont faire un boulot de banquier.

Et comment peser face aux banques ?

C’est vraiment une question de volonté politique. En France, on est le pays européen où la loi bancaire a été la plus faiblarde. En Allemagne, Angela Merkel a durci les sanctions en disant : « les banquiers qui ont déconné, ce ne sont pas des imbéciles, ils doivent aller en prison ». En Angleterre, où il y a aussi un gouvernement de droite, le Ministre des finances a dit : « il faut comprendre le danger de la spéculation, il faut entendre la colère du peuple et nous devons mettre une paroi électrifiée entre les banques de dépôt et les banques d’affaire ». La France, c’est le pays européen où le lobby bancaire est le plus puissant. Tout le monde dit que c’est le lobby bancaire qui a rédigé la loi de séparation qui, du coup, n’a servi à rien. On a un aveuglement des dirigeants français qui est terrifiant. Regardez le dernier G20 à Shanghai ! D’un côté il y avait plein de pays autour du FMI qui disaient « attention on est sur une bombe, il faut un nouveau Bretton Woods et adopter des mesures très forte pour lutter contre la spéculation », et puis le principal intervenant qui a bloqué ces réformes, c’est Michel Sapin. Michel Sapin pense qu’il n’y a pas de crise, alors que Christine Lagarde dit qu’il faut prendre des mesures fortes contre la spéculation…

Comment vous l’expliquez, cet « aveuglement » ? 

Je ne l’explique plus. Je trouve ça absolument terrifiant. Le but c’est de renvoyer nos dirigeants à leurs études ou à la retraite et que les gens qui ont des idées, des convictions et du courage prennent le pouvoir à leur place. Albert Einstein disait : « il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre ». On est le seul pays d’Europe où c’est toujours les mêmes depuis 30 ans. François Hollande était déjà à l’Elysée en 1982. Fabius, Sapin, … tous ces gens sont déjà là depuis 30 ans. Alors s’ils avaient des résultats satisfaisants on pourrait dire qu’ils sont géniaux, mais quand on voit leurs résultats on n’a pas envie de les garder encore très longtemps. Lors de ma première rencontre avec Jean-Marc Ayrault, lorsqu’il était Premier ministre, il m’a dit : « Je n’en peux plus de l’inertie de François Hollande ». Une semaine après j’étais à l’Elysée avec le conseiller social du Président et il me dit : « Je suis d’accord avec tout ce que vous racontez, il faut que vous ayez le Président en direct, même pour nous c’est un mystère ! ». Donc même le Premier ministre de l’époque et le conseiller social ne comprennent plus l’inertie de François Hollande. Je crois que dans le pays, il y a une colère qui monte, mais il y a aussi une envie chez les citoyens de prendre des initiatives. On a tous un cerveau, on en marre qu’on nous prenne pour des couillons. Alors quand on entend Michel Sapin qui nous explique qu’il n’y a pas de crise, on se dit que lui-même n’est pas à la hauteur et qu’en plus il nous prend pour des couillons.

Vous dites vouloir « socialiser » le secteur bancaire en insérant des représentants des intérêts du peuple au sein des conseils d’administration. Est-ce que c’est possible ? 

Tout à fait. Je pense que c’est possible. En Allemagne, dans tous les conseils d’administration des entreprises de plus de 50 salariés, les salariés sont représentés en tant que « salarié » et non pas en tant que « petit actionnaire ». En tous cas, dans toutes les grandes entreprises, les salariés sont assis à côté des actionnaires et ont un pouvoir de décision. Alors je ne sais pas ce qu’on attend pour faire la même chose en France.

Vous vous appuyez beaucoup sur les modèles étrangers comme celui de l’Allemagne, pourtant vous êtes à gauche, voire à gauche de la gauche ? 

En Allemagne il y a deux choses radicalement différentes qui ont été faites à cinq années d’intervalle. En 2004, c’était la précarisation du marché du travail avec les petits boulots. Puis en 2009, ils se sont rendu compte que ça ne marchait pas, alors ils ont mis en place le système canadien. Il n’y a aucun pays où tout baigne, mais il y a quand même des choses biens comme aux Pays-Bas, dont il faut imiter la politique du logement. On peut créer 1 million de logements. Aux Pays-Bas il y a un fonds de réserve des retraites qui est une grosse cagnotte, et au lieu de la mettre sur les marchés financiers, ils se sont dit : « on peut construire des logements avec ». Alors pourquoi est-ce qu’on ne fait pas pareil en France ? On a 37 milliards d’euro dans le fonds de réserve des retraites et ils sont mis sur les marchés financiers et gérés par les banques. Nous, on aimerait utiliser cet argent pour construire des logements, ce qui créerait 200 000 emplois dans le bâtiment. Du coup, au bout de quelques années, les loyers baisseraient et on pourrait tous économiser 250€. Donc on n’est pas à la gauche de la gauche, je pense que le clivage gauche/droite ne veut pas dire grand-chose.

Pourtant vous voulez participer à la Primaire à gauche ? 

Oui parce que sous la 5ème République, on n’est pas dans un mode de scrutin à la proportionnelle. En France, l’élection fondamentale, c’est la Présidentielle. Si nos idées ne sont pas présentes durant cette élection, c’est comme si on n’existait pas. Et s’il y a un morcellement des candidatures à gauche, on sait que le deuxième tour se jouera entre la droite et l’extrême droite. Donc il faut participer à une Primaire. Mais une stratégie à la Podemos n’est possible que s’il y a un mode de scrutin à la proportionnelle.

Propos recueillis par Etienne Merle et Gaspard Poirieux