Syrie #2/4 Le défi du terrain pour les journalistes étrangers

Le conflit syrien est le conflit le plus médiatisé de ces dernières années. De nombreuses barrières se dressent pour empêcher l’information d’atteindre le public. Depuis le bureau de leur rédacteur en chef jusque sur le terrain, les journalistes qui veulent couvrir cette guerre civile doivent se montrer habiles, prudents et rusés.

Quand elle s’est rendue à Alep en 2013 pour couvrir les combats, la journaliste Camille Courcy est restée trois jours avec des journalistes de l’AFP. Avant que ces derniers ne se fassent kidnapper. Les Occidentaux peuvent rapporter une bonne rançon. Et la célébrité.

En août 2014 l’Etat islamique décapite le journaliste américain James Foley. Quelques semaines plus tard, son confrère Steven Sotloff est aussi exécuté. Depuis, les rédactions refusent d’envoyer leurs journalistes dans les zones qui ne sont pas sécurisées.
« On n’a dit à personne qu’on y allait », confie Garance Le Caisne, l’auteur du livre « Opération César ». De cette manière elle n’ira pas contre l’avis des rédactions. Pour son reportage à Alep en juillet 2014, Garance Le Caisne est partie sans même pré-vendre quelque chose. A son retour, elle monnayera des articles au Journal du dimanche et à l’Obs.

Rentrer en Syrie

« Il est impossible d’aller en Syrie sans visa ». Cette démarche permet au régime d’Assad d’effectuer des recherches sur les journalistes qui demandent à entrer et ensuite de les encadrer. En janvier 2012, je suis rentrée dans Damas avec un vrai passeport mais un faux nom », détaille Garance. En se faisant passer pour une touriste, elle a pu suivre les manifestations qui s’y déroulaient.
En juillet 2012, l’offensive des rebelles sur la ville d’Alep permet à Garance de revenir en Syrie en traversant illégalement la frontière.
En 2013 Camille Courcy se trouve au Liban. La révolution est dans le pays voisin mais elle ne trouve aucun média qui accepte de l’envoyer. Qu’importe, elle partira à Alep en traversant la frontière avec 200 euros en poche, des contacts rencontrés sur Internet et pas vraiment d’idée de ce qu’elle va faire. Elle passera trois jours avec des journalistes de l’AFP avant qu’ils ne soient enlevés. Celle qui est surnommée Kamy kaz se verra confier la réalisation d’un 52 minutes quelques temps après, à seulement 22 ans.

Composer avec les forces en présence

A Alep, Camille est avec les rebelles. « Personne ne contrôle quoique ce soit » sur l’information, constate Camille. Le constat est le même pour Garance Le Caisne : « Quand vous voyez ce que les Syriens font pour vous aider à faire votre métier, il y a un lien très fort ». Pour eux, les médias représentent une fenêtre sur la situation de leur pays.  « Il ne faut pas rêver, on ne vient pas vous voir pour vos beaux yeux », tempère la journaliste.

En novembre, Camille Courcy tourne « Femmes contre Daesh » dans les zones sous contrôle kurde, au nord de la Syrie. « Ils [les Kurdes] sont beaucoup plus stricts, il faut demander à un responsable, avoir des tampons, des signatures. Dès que tu veux filmer quelque chose, aller sur la ligne de front il faut demander au chef. J’ai eu beaucoup plus de problème avec les Kurdes qui sont plus modérés mais plus organisés », conclut la jeune femme.

« Le baril est tombé à 50 mètres de nous »

Novembre 2015. Camille Courcy, la réalisatrice de « Femmes contre Daesh » et Saïd Mahmoud viennent de finir de tourner le documentaire. Une voiture les conduit au Kurdistan irakien mais l’équipe tombe sur un checkpoint de l’armée syrienne. « Si on s’était fait arrêter on aurait pu avoir de graves problèmes. On a fait un dérapage devant eux et on s’est barré rapidement » raconte la caméraman.

C’est à Alep que Garance a vécu son souvenir le plus marquant. « On dormait dans un bureau au-dessus d’une boulangerie. On a été réveillé par une bombe qui a explosé à 200-300 mètres de nous, on a couvert les premiers blessés. On savait que l’aviation syrienne allait bombarder à nouveau le site dans 30 minutes. Au moment où on partait, on a entendu l’avion qui piquait. Le baril est tombé à 50 mètres de nous. Je ne me souviens plus, j’ai perdu la mémoire de ce moment. Je le sais car on m’a raconté. Le Syrien qui était à côté de moi m’a emmenée dans une cage d’escalier. Une troisième bombe a explosé sur les hôpitaux, j’ai fait un bond d’un mètre à cause du souffle de la bombe. Amir, le boulanger, est mort ».

L’utilité d’un bon fixeur

Sur un territoire meurtri par les affrontements, les affres de la guerre marquent les populations. Certaines zones sont difficilement accessibles, le peuple est traumatisé. Dans un pays qui a perdu ses repères dans les méandres de la guerre, certains journalistes font le choix de faire appel à un fixeur, un guide local.
Lors de son reportage au nord de la Syrie, Camille Courcy était accompagnée de Saïd Mahmoud, un véritable soutien pour la jeune journaliste. « Contrairement à mon premier reportage en Syrie, j’avais cette fois-ci un véhicule, une caméra de pro et un fixeur, de véritables conforts ». Que ce soit dans les domaines administratif ou relationnel, le fixeur joue les intermédiaires. Il obtient les autorisations, déniche les témoins clés, détermine des lieux de tournage, accompagne les journalistes sur le terrain.
Il n’y a pas de profil-type, mais le fixeur doit savoir se débrouiller en anglais ou en français pour faire la traduction entre journalistes étrangers et acteurs locaux. « Il doit connaître le pays, avoir la tchatche et réussir à convaincre les gens de nous parler », explique Camille Courcy. Sur un territoire où les idéologies et visées politiques sont antagoniques, certains journalistes privilégient une qualité qui leur semble essentielle : la neutralité.
Le fixeur doit comprendre et servir au mieux les canons journalistiques occidentaux telle l’objectivité de l’information. « Dans mon travail je suis neutre. Je ne prends parti pour aucune force. Les journalistes aiment ça chez moi », confie Saïd. TV5 Monde, Libération, le Figaro, Le Nouvel Observateur ou encore France Télévisions, nombreux sont les médias français qui font appel à ses services.

« J’ai été trahi par mon fixeur »

Si le nombre de fixeurs est difficile à estimer, rares sont ceux qui peuvent se revendiquer d’une telle neutralité. Certains sont également formatés par les journalistes avec lesquels ils ont collaboré. Afin d’éviter de biaiser son enquête de terrain, Garance Le Caisne refuse leurs services. « Un fixeur a son propre regard sur la situation, c’est un filtre », affirme-t-elle.
La journaliste part en reportage avec le soutien d’un simple traducteur. Pour les contacts, elle privilégie son propre réseau. « J’ai assisté à des conférences à Paris, j’ai rencontré des réfugiés syriens et sur le terrain ça fonctionne avec le bouche-à-oreille », explique Garance Le Caisne. « Une fois, j’ai traduit mes articles en arabe pour les faire lire à une personne dont je sollicitais le témoignage. Il y en avait un sur l’histoire des barils à Alep. Elle m’a dit que mon article l’avait fait pleurer. On a alors compris qu’on était sur la même longueur d’onde, la confiance était établie ».

Les mésaventures de journalistes occidentaux avec des fixeurs syriens alimentent régulièrement les médias. Ils sont souvent contactés via les réseaux sociaux. Difficile parfois de savoir qui se cache réellement derrière une photo de profil, qui plus est, dans un pays si divisé. En 2013, le photographe franco-américain John Alpeyrie s’est dit « trahi » par son fixeur.
Le journaliste de l’agence Polaris images avait été kidnappé au nord de Damas. Il s’est confié à Paris Match : « C’était un piège. J’ai été trahi par mon fixeur qui m’a vendu. A un checkpoint, des hommes cagoulés nous ont sortis du véhicule. Ils m’ont mis à genoux et ont fait semblant de m’exécuter de plusieurs coups de feu. Puis ils m’ont bâillonné et menotté», raconte-t-il. Le fixeur, lui, a été libéré par « des hommes barbus », précise-t-il. Le kidnapping n’est qu’une des nombreuses menaces qui pèsent sur les journalistes dans la guerre d’information à laquelle se livre les belligérants.

Guillaume Soudat

Alice Gobaud