La beauté à tout prix

Ces dernières années, nos sociétés occidentales ont fait face à un véritable essor des nouvelles techniques de beauté, relevant ou pas de la chirurgie. Certains jeunes adultes et adolescents ne manquent pas d’imagination pour sculpter leur apparence. Entre motivations et dérives, zoom sur cette mode de la beauté à tout prix.

A l’ère de l’explosion des champs médiatiques et communicationnels, de nouvelles tendances – parfois éphémères – voient le jour sur Internet. En voici quelques-unes.

Le Kylie Jenner Challenge

En 2015, la petite dernière du clan Kardashian (cinq sœurs, stars américaines de télé-réalité) change totalement de physique. Mais ce qui attire l’attention de la toile et du grand public : ses lèvres doublent de volume. D’un sujet dérisoire, on passe à une polémique. Polémique à laquelle la jeune starlette de 18 ans a vivement participé, puisqu’elle affirmera pendant une longue période qu’elle n’a jamais fait de chirurgie esthétique, et que si ses lèvres ont subi un tel changement, c’est grâce à une toute autre technique. Il s’agit d’une technique de ventouse : on enferme ses lèvres dans un goulot, qui les gonfle instantanément. Une fois cette déclaration faite, la rumeur se propage comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. En l’espace de quelques jours, des milliers de jeunes s’adonnent à cette technique et postent les photos du résultat sur le net. Sur ces clichés, ils arborent des lèvres gonflées à outrance, parfois complètement tuméfiées. Kylie Jenner ne se positionnera jamais clairement contre cette mode. Elle avouera quelques semaines plus tard avoir utilisé la chirurgie esthétique pour gonfler ses lèvres. Si l’ampleur de ce challenge s’est estompée, il n’empêche que la starlette semble avoir banalisé ces pratiques. Aujourd’hui, certaines n’hésitent plus à se filmer en train de se faire injecter du collagène dans les lèvres, tandis que d’autres optent pour une pratique plus soft en exagérant les traits de leur bouche à l’aide d’un rouge à lèvres. (A voir ici)

Le tight gap

Tight Gap

L’évolution des cuisses d’une jeune femme à la recherche du Tight gap. (crédit photo : Wikihow)

A traduire comme l’écart entre les cuisses. Cette mode voit le jour en 2013. Ce phénomène a touché majoritairement les jeunes filles, qui ne rêvaient que d’une chose : avoir un écart considérable entre les cuisses, signe, à leur sens, de minceur ultime. Pour accéder à ce rêve, certaines se sont adonnées à des régimes stricts et parfois dangereux. Sur les réseaux sociaux, on peut trouver des pages qui se veulent « motivantes » pour les jeunes filles à la recherche de ce fameux écart. Sur Instagram, il existe encore des pages comme thigh_gapplease, qui publiait en 2013 des photos de jeunes filles arborant l’écart entre leurs cuisses. Les photos sont légendées de phrases qui se veulent encourageantes, qu’elles empruntent à de grands personnages telles que « Believe and act as if it were impossible to fail. » de Charles Kettering (Crois et agis comme si c’était impossible d’échouer, ndlr). Toutefois, certains sites qui aident les jeunes femmes à obtenir ce fameux écart, le font avec sécurité et s’attellent à les protéger des dérives, comme sur cette page internet.

Le #A4WaistChallenge

A4 Waist Challenge

Deux jeunes femmes asiatiques qui s’adonnent au « #A4WaistChallenge ». (crédit photo : weibo.com)

C’est l’intitulé du tout dernier défi minceur, tout droit venu d’Asie, de Chine plus précisément. L’enjeu est très simple : vérifier sa minceur et sa taille de guêpe à travers la mesure d’une feuille A4. En l’espace de quelques jours, des milliers de jeunes femmes ont posté la photo de leur expérience, affichant fièrement leur taille cachée par la feuille de papier. Certaines voix se sont élevées contre ce challenge, le jugeant pro-anorexique et incitant à l’extrême minceur. D’autres ont aussi choisi de le tourner en dérision, comme en rend compte cet article du magazine Cosmopolitan britannique.

Bien sûr, ces challenges font partie d’une très longue liste. Ils représentent à eux seuls l’obsession de l’apparence de certains jeunes. Une obsession accentuée et favorisée par de nombreuses plateformes d’échange…

Le prisme de la beauté à travers les réseaux sociaux

Solenne, étudiante de dix-huit ans, s’est livrée au challenge de la feuille A4 et a publié le cliché sur son compte Instagram. « Je ne l’ai pas fait pour suivre une tendance, mais juste parce que j’en avais envie. J’ai vu que ça marchait sur moi, alors j’ai posté le cliché. » Pour la jeune femme, il n’y a pas de doute : même lorsque l’on n’est pas complexé, les réseaux sociaux engendrent parfois certaines obsessions. « Sur Instagram, on voit à longueur de journée des filles avec un corps parfait. Forcément, on a envie d’être comme elles », avoue-t-elle. Solenne, lucide, notifie cependant le fait que ces jeunes femmes aux corps parfaits bénéficient du temps et des moyens nécessaires pour arriver à ce type de résultats. « Il ne s’agit pas que de chirurgie esthétique, certaines passent leur temps à la salle de sport, et ont des coachs sportifs pour les aider. A partir du moment où on comprend ça, on se dit qu’il est difficile, voire impossible d’atteindre ce genre de résultat. »

Et personne n’est épargné face à ces nouvelles techniques. Pour ces messieurs, il existe des produits pour augmenter sa masse musculaire, implants de pectoraux ou encore implantation de cheveux. Les hommes, de nos jours, assument de plus en plus le recours à ces techniques, et brisent l’image clichée d’antan de l’homme fort et négligé, la brute épaisse. Les jeunes femmes ne sont pas en reste, avec les extensions de cheveux et de cils dont elles n’hésitent pas à faire la pub sur les réseaux sociaux, allant même jusqu’à se montrer avant puis après les changements effectués sur leur apparence.

Une alternative face aux nouveaux codes sociaux ? 

Mais si le paysage médiatique ne cesse de changer, les sociétés occidentales sont aussi sujettes à des transformations fondamentales. Mercredi 13 avril, la chaîne D8 diffusait un document « Enquête d’actualité – faut-il être beau pour réussir ?« . Il mettait en avant les exigences de certains employeurs, qui préfèrent à l’embauche des physiques avantageux à d’autres. L’idée qu’il faille être beau pour réussir semble être un lieu commun, une idée suggérée que rien ni personne n’a jamais vraiment su oser affirmer. Grâce à des situations précises, le document d’« Enquête d’actualité » a su confirmer cette hypothèse selon laquelle parfois, l’apparence compte plus que les compétences. Face à cette tendance du monde professionnel, les jeunes gens sont dans la tourmente, à la recherche d’une perpétuelle amélioration physique, afin de satisfaire de nouveaux codes sociaux.

Comme nous l’explique Emilie, étudiante en master de sociologie à Nice, il existe une contradiction dans la norme sociale. « Il y a deux profils en concurrence. D’un côté, Kate Moss et tous les autres mannequins qui incarnent la taille de guêpe par excellence et l’image de la femme classe. De l’autre, il y a Beyoncé ou Rihanna : la femme pulpeuse, sulfureuse et avec des formes. » Selon l’étudiante, cet écart de profil suscite chez certaines jeunes femmes un trou d’insatisfaction perpétuel. « Si on choisit d’être plutôt Kate Moss, on ne peut pas être Beyoncé. Comment trouver un juste milieu ? », se demande la jeune femme.

Une dimension psychologique

Selon Yves Anselmo, psychologue clinicien à Cannes, « la proportion des jeunes qui sont dans ce registre-là est minime, par rapport à la chirurgie esthétique par exemple ». Pour le psychologue, il est important de ne pas généraliser ces tendances, et d’apprendre à faire du cas par cas. Il nous explique cependant que si certains jeunes tombent dans la tourmente du paraître, les parents ont aussi un rôle essentiel à jouer : « Ils doivent amener les enfants à se construire autrement que par l’apparence, à se réguler et ne pas être aspirés par l’image. Il faut apprendre aux enfants à apprécier leur valeur par le fond, et pas par l’aspect. » 

Si la chirurgie esthétique et le maquillage furent autrefois perçus comme une véritable évolution, aujourd’hui il semblerait qu’ils soient parfois les outils de toutes les décadences et abus. Certains jeunes du 21ème siècle semblent emprisonnés dans une logique d’apparence où tout semble réalisable. Cependant, comme le soulignent tant Yves Anselmo que Solenne, il est important d’éviter toute généralité. Si certains jeunes s’adonnent à ce genre de pratiques extrêmes, d’autres décident de changer leur apparence par profond souci de bien-être. D’autres, enfin, se sentent simplement bien dans leur peau et trouvent leur bonheur sans s’inscrire dans cette logique.

Sarah Mannaa