
Étiquettes
Teresa Maffeis, verte de rage, verte d’espoir
Les années n’ont pas usé la rage, les indignations et les idéaux qui donnent sens à sa vie. À 65 ans, Teresa Maffeis poursuit son engagement à Nice pour créer du lien social, venir en aide aux plus démunis et contrer l’extrême droite.
« Ne m’appelez pas Mère Teresa », prévient celle qui n’est pas une religieuse, mais qui a foi dans le changement insufflé par les citoyens. Le vert est présent un peu partout dans son appartement. Et sur elle : son pantalon, son haut, son collier et ses boucles d’oreilles, tout est vert. Le vert, Teresa Maffeis le porte aussi dans son combat quotidien. Ni désabusée ni fataliste, mais plutôt acharnée et battante, elle entend « participer à l’évolution de la société, même si c’est un petit geste, en s’occupant des mal-logés ou des enfants exclus du système scolaire ». Dans l’actuel climat social qu’elle trouve assez morose, « beaucoup de gens sont assez découragés, et moi aussi parfois. Ils me demandent ce qu’ils peuvent faire. Il y a plein de formes de participation citoyenne: se battre pour l’écologie et les jardins partagés ou pour une meilleure convivialité dans un immeuble ». Arrêter son combat pour les plus démunis serait de la « lâcheté ». « Je ne sais pas comment je pourrais vivre sans donner aux autres », insiste-elle, comme si son engagement était une évidence. D’un tempérament plutôt instinctif, Teresa Maffeis n’est pas de celles qui vont s’inspirer des autres : « J’ai tout le temps agi comme je le sentais. Je n’ai pas de théoriciens ni de modèles politiques », poursuit-elle, en précisant qu’elle aime beaucoup Ernest Pignon-Ernest, « fidèle à son engagement, qui s’est toujours opposé à Jacques Peyrat ».

Garibaldi, un des portraits d’Ernest Pignon-Ernest pour l’exposition « Ces étrangers qui ont fait la gloire de Nice ».
Le serment d’un esprit rebelle
Ses parents ont fait partie de la vague d’immigrés italiens qui ont rejoint la France après la guerre, dans l’espoir de trouver du travail. « Ils sont venus vivre à Orléans, où je suis née en 1949. Ce n’était pas une ville très accueillante pour les Italiens. Nous étions six enfants, mes parents n’avaient pas d’argent, on vivait dans un hangar. » Elle dit pourtant n’avoir « jamais ressenti » cette pauvreté : « mes parents n’avaient rien, mais ils s’arrangeaient. C’était plutôt le rapport à l’autre qui était parfois difficile. Je n’ai pas du tout aimé cet esprit fermé, cette ambiance à Orléans où quand tu es italien et que quelque chose ne va pas, c’est toujours de ta faute. Les gens nous exploitaient. Mais comme j’avais d’assez bons résultats à l’école, c’était plus facile de s’intégrer. » Après avoir vu ses parents « mis de côté, qui n’exprimaient pas leur souffrance », la jeune Teresa a eu envie de réussir sa vie et de dénoncer les injustices.
À 17 ans, au moment d’aller à la fac, elle choisit de quitter « l’ambiance oppressante » d’Orléans pour rejoindre Nanterre. Au cœur de l’effervescence politique de Mai 68, elle avoue avoir été un peu dépassée par les événements : « Je n’avais pas de culture politique. Il y avait des meetings politiques, c’était bondé et je ne comprenais rien. Ils avaient lu tous les bouquins que je n’avais jamais lus. Il y avait une sorte de fascination. » Avec Cohn-Bendit et les autres, elle participe à tous les mouvements dans la rue.
« Ne rien faire pour les autres me semblait impossible »
Teresa Maffeis retourne à Orléans pour travailler dans une société de prévoyance. Dans le monde du travail qu’elle découvre, elle n’est pas prête à se faire marcher sur les pieds et n’a pas peur de briser les conformismes. « Il n’y avait que des femmes et les chefs étaient des hommes. Je venais de vivre le mouvement de 68 pour la liberté et je n’ai pas du tout accepté ce système-là, où les filles obéissaient et baissaient la tête devant les chefs. J’ai un peu relevé la tête, organisé la première grève dans cette boîte et défendu des employés qui allaient être licenciés. Ils m’ont mis dans tous les services vu que je les perturbais », sourit-elle. Son patron a fini par lui proposer de travailler à Minute, en voyant qu’elle s’était intéressée au journalisme à la fac : « Ça m’a révolté qu’on me propose ça au vu de mes valeurs ! J’ai refusé et demandé à travailler à Nice, car tout le reste de ma famille habite en Italie. » En passant des services administratifs à l’action sociale dans les Alpes-Maritimes, elle s’est découverte une vocation pour aider les gens. « À travers ce métier, que je pratique toujours, j’ai vite vu que beaucoup de gens souffraient autour de moi. Être nantie et ne rien faire pour les autres, cela me semblait impossible. » C’est donc naturellement qu’elle s’implique dans des associations humanitaires, pour les droits des étrangers, des enfants des quartiers, et des femmes.

Teresa Maffeis, amoureuse des arts et de la culture, transmet ses valeurs à sa fille et sa petite fille. Crédit Photo : D.R.
Avec des copains, elle crée l’ADN (Association pour une Démocratie à Nice) en 1991, en guise de réponse à Jean-Marie Le Pen, candidat aux élections régionales. Cette bataille politique fut particulièrement prenante: « Il m’était impossible de ne pas m’engager contre le FN qui représente la haine, l’exclusion et l’intolérance. Ça a été un militantisme de chaque instant pour le contrer, avec des manifs tous les jours, des concerts et des actions. On a dû aller vers la population qu’on ne touchait pas et développer un lien assez important avec la presse pour montrer les dangers du FN. » L’ADN a beaucoup travaillé avec des artistes comme Ernest Pignon-Ernest, Ben Vautier et Armand. Cette liaison entre la culture et le militantisme permettait de rassembler beaucoup de gens différents « qui sont dans des mondes trop séparés ».

Jacques Peyrat et Jean-Marie Le Pen. L’ancien maire niçois surnommait Teresa Maffeis « la punaise verte ». Crédit Photo : afp.com/Valery Hache
« Il y a plus de motifs de révolte aujourd’hui qu’en 68 »
Très préoccupée par les gens qui sont dans la rue depuis très longtemps, Teresa Maffeis a scruté de près Jacques Peyrat, maire de Nice à partir de 1995 : « J’ai été à tous ses conseils municipaux pendant dix ans pour y dénoncer ce qu’il s’y passait. » Elle s’est par exemple opposée à l’arrêté anti-mendicité introduit par l’ancien maire niçois. « Une fourgonnette passait dans la ville pour ramasser les SDF et les amener au Mont Chauve. On a réagi en mobilisant les gens pendant trois mois pour ramener les sans-abris en ville. Cette affaire a été très médiatisée, des journalistes du Japon sont même venus m’interroger ! » s’amuse-t-elle.
Une expérience très courte avec Europe Écologie Les Verts l’a convaincue qu’elle ne pourrait pas faire une carrière politique. « Le fonctionnement anti-démocratique et la malhonnêteté de ce parti m’ont bouleversée », lâche avec un brin de colère celle qui est « incapable de manier la langue de bois ».
Teresa Maffeis, qui considère qu’il y a plus de motifs de se révolter en 2014 qu’en 68, s’occupe actuellement de la scolarisation de jeunes Roms. « Il y a beaucoup de réussites. Si les gens voyaient la joie des gamins qui vont à l’école… Je ne comprends pas comment on peut être haineux envers des enfants qui veulent apprendre. »
Avec son engagement pour défendre les exclus de la société, Teresa Maffeis a-t-elle encore une vie personnelle ? « Les gens me disent que je ne suis pas comme tout le monde. C’est faux, j’ai aussi un travail, je pars en vacances, je m’amuse… »
Nicolas Richen