[Interview] Le visage de la jeune agriculture française

Louis Parc a 19 ans. Ce jeune finistérien est passionné depuis toujours par l’agriculture et veut en faire son métier. En première année de BTS analyse et conduite des systèmes d’exploitations agricoles, il alterne les cours et le travail à la ferme. Louis était dans les manifestations qui ont pris fin il y a quelques semaines, mais pour lui rien n’a changé.  Buzzles a voulu le rencontrer et c’est sans tabou qu’il s’est exprimé sur les inquiétudes de cette jeunesse désemparée.

Louis, jeune agriculteur breton est inquiet pour son avenir. (Crédit photo : Enora Rs)

Louis, jeune agriculteur breton est inquiet pour son avenir. (Crédit photo : Enora Rs)

Buzzles : Depuis quand vous intéressez-vous à l’agriculture ?

Louis Parc : Je m’intéresse à l’agriculture depuis très jeune. Mes parents sont exploitants agricoles. Dès que j’avais du temps libre, pendant les vacances ou le week-end, j’allais à la ferme. Cela s’est transmis de fil en aiguille. On a ça dans le sang en quelques sorte. On vit avec cela.

Qu’est-ce que vous aimez dans ce métier ?

C’est un tout que l’on aime dans cette profession : le contact avec les animaux et le travail en extérieur ça n’a pas de prix. Être son propre patron aussi, c’est important et c’est mon objectif de pouvoir diriger les choses. Je trouve que l’on fait un métier valorisant. Le fait de nourrir la population est quelque chose d’intéressant et c’est une belle problématique d’avenir. Je vais essayer de reprendre ce qu’a réussi à faire mon père pour donner suite à l’exploitation afin que cela reste entre deux générations. L’idéal serait que je reprenne avec ma sœur qui a 16 ans. Elle est en seconde dans un lycée agricole et elle est intéressée pour reprendre aussi. Ce serait bien de pouvoir garder une affaire familiale.

Quelles sont vos préoccupations aujourd’hui en tant que jeune agriculteur ?

Est-ce qu’on va pouvoir vivre de notre métier tout bêtement. Je veux bien travailler avec passion pour un métier qui me passionne mais si c’est pour perdre de l’argent tous les mois… Aujourd’hui, on a des contrats environnementaux et sociaux hallucinants. Je pense que tout ça mis bout à bout peut en décourager plus d’un. Ce sont des questions qui se posent forcement avant l’installation. Même si on fait un métier que l’on aime, le but est que l’on puisse en vivre, nourrir une éventuelle famille et se nourrir nous-même.

Vis-à-vis de la situation actuelle, n’êtes-vous pas découragé de faire ce métier ?

Non je ne suis pas découragé car je suis surmotivé. Mais quand on voit ce qui se passe autour de nous, on se pose des questions et on espère vraiment que cela va s’arranger. Le problème pour nous aujourd’hui est que l’on ne peut pas s’installer. Même si je reprends l’exploitation de mes parents, il va falloir que j’achète une partie de la ferme et que je prenne des parts, mais aujourd’hui on ne prête plus d’argent. Comment veux-tu être crédible quand tu vas voir ton banquier et que tu lui dis que tu veux reprendre une ferme laitière ? Même si on a l’envie, il nous faudrait de l’argent pour nous installer et surtout qu’on nous suive, chose qui ne se fait plus aujourd’hui. On peut être motivé à 300 % malgré la crise, il est encore difficile de pouvoir s’installer.

Dans le monde agricole, il y a beaucoup de suicides et c’est un sujet tabou. Cela ne vous fait pas peur ?

Le suicide des agriculteurs, on en parle pas assez. Une vie humaine ça n’a pas de prix. En 2009, il y a eu une quinzaine de suicides en quelques mois à France Télécom, on en a fait un drame national, limite s’il n’y avait pas une journée de deuil complète. Chez les agriculteurs, c’est un suicide tous les deux jours soit presque 200 suicides par an. C’est d’ailleurs la profession qui compte le plus de suicides en France. C’est un métier où tu ne comptes pas tes heures. Nous, les 35 heures on ne connaît pas. Quand tu as une femme et des enfants et que tu n’arrives pas à les nourrir, c’est dur de se dire que l’on va aller se pendre à la poutre de son hangar. Il serait peut-être temps de faire quelque chose pour arrêter ce massacre. Nous les jeunes, on en connaît dans nos campagnes qui sont partis comme ça. On en parle pas. C’est très triste mais il ne faut pas se voiler la face. Dès qu’il y a un suicide, il ne faut pas croire que notre cher ministre va interpeller la presse pour dire : « Monsieur un tel s’est suicidé, merci d’avoir nourri la France et d’avoir bossé pendant 40 ans de ta vie ». Tout cela est inadmissible et me met hors de moi.

Que pensez-vous de la concurrence européenne par rapport aux porcs par exemple ?

Elle est tout à fait déloyale parce qu’on n’a pas les mêmes charges. Le système agricole est dirigé par l’Europe et dès qu’il y a des mesures environnementales, la France ne peut pas s’empêcher de la doubler et d’ajouter des normes supplémentaires. Ensuite, nous en France, on paie nos salariés, les patrons paient des charges sociales. Quand tu vois par exemple que les abattoirs allemands font travailler des Polonais, c’est pas normal. On a fait le calcul, sur notre exploitation aujourd’hui l’objectif serait d’embaucher quelqu’un. Pour le prix que l’on paierait un Français à plein temps, on aurait 4 Polonais. C’est inadmissible de voir ça. Les gars n’ont aucune couverture, ils sont payés à coup de lance pierre. On ne peut pas rivaliser avec eux en Europe, surtout avec des pays qui se disent tête de liste de l’Europe comme l’Allemagne. On peut aussi donner l’exemple du lait. Ils ont des fermes de 1000 vaches. Ils sont rendus à produire des vaches pour valoriser leurs déjections dans tout ce qui est méthanisation et autre. C’est ça qui fait leur argent. Leur lait c’est un sous-produit, il n’a aucune qualité. Pour notre lait en France, il y a des normes très strictes au niveau des cellules, au niveau des composantes de produits et en matière grasse. Chez eux, les normes ne sont pas du tout les mêmes et ne sont pas respectées. Tout ce qui les intéresse aujourd’hui, c’est d’avoir des vaches qui font de la merde pour faire tourner leur usine de méthanisation.

Avez-vous participé aux différentes manifestations ou blocages de route organisés en Bretagne ?

Oui. Je suis allé une ou deux fois bloquer les voies express. Sinon ce que j’ai beaucoup fait c’est tout ce qui est dans les grandes surfaces On a bloqué pendant 4 jours le Leclerc de Quimperlé. Le premier jour, on a fait une petite inspection pour voir l’origine de la viande de tout ce qui se trouvait dans les rayons. Puis on leur a demandé de nous donner toutes leurs factures d’achat en centrale ou en privé de leur produit. Quand on s’est rendu compte qu’ils se faisaient entre 20 et 30 centimes de marge sur un litre de lait alors qu’ils reçoivent une bouteille toute faite et qu’ils n’ont plus qu’à la « biper » en caisse… L’éleveur est payé autour de 27 centimes aujourd’hui pour un litre de lait alors qu’il doit le produire. Pareil pour le cochon. Sur un kilo de jambon, ils arrivaient dans l’extrême à se faire plus de 5 euros de marge. Aujourd’hui quand un cochon part de l’élevage, on nous l’achète en-dessous d’un euros dix le kilo alors que le plus dur a été fait : il a été élevé, nourri… L’éleveur a pris tous les risques pour ça. Alors quand on a vu ça au supermarché, ça nous a rendu fous de voir des marges pareilles. On leur a donc demandé de faire la promotion des produits français et d’essayer de se bouger pour trouver quelque chose parce qu’on trouvait leur façon de faire inadmissible. On a aussi essayé de faire des coups de communication en se rendant chez Michel-Edouard Leclerc, le créateur et le dirigeant des chaînes de magasins Leclerc, et chez Jean-Yves Le Drian, le président de la région Bretagne. On a essayé de les interpeller sur le mal-être des éleveurs mais on n’a pas été entendus ni reçus. Monsieur Leclerc n’était pas là, c’était une villa et je pense que c’était sa maison secondaire. Quant à Jean-Yves Le Drian, sa maison secondaire se situe autour de Guidel Plages. Quand on est arrivé devant cette maison, elle était gardée par deux agents de la police 24h/24. Soit disant à cause des attentats mais le paradoxe est qu’il n’y avait personne dans la maison. Une heure et demi après que l’on soit arrivé devant chez Le Drian, il y avait déjà 120 CRS en train de provoquer au bout de l’impasse alors qu’on est parti là-bas pour ne faire aucun dégât. On a fait un barbecue solennel et on a interpellé la presse pour essayer de s’expliquer.

Vous sentez-vous soutenu par la population ?

Oui. Je me sens très soutenu et ça fait toujours plaisir. La première fois que je suis allé à Leclerc pour une manifestation j’étais en retard. Je travaillais auprès des vaches, j’avais juste eu le temps de mettre un bleu de travail propre. Les gens étaient venus nous interpeller dans les magasins en nous souhaitant beaucoup de courage. En Bretagne, on se sent soutenu car les gens se sentent concernés. Il y a beaucoup de gens qui travaillent dans les usines agroalimentaires.

Comment trouvez-vous que les médias ont traité le problème des agriculteurs ?

Je pense que c’est important de souligner que dans le secteur de Quimperlé, nos dirigeants ont eu une mentalité qui fait que sur tout le mouvement il n’y a eu aucun dégât. Chez Leclerc, il n’y a rien eu de cassé. Il était juste bloqué et les tracteurs bouchaient les entrées de parking. Malgré cela, certains médias ont su nous faire passer pour des casseurs. Ce qu’il faut savoir c’est que l’on est souvent confronté à des gens qui viennent casser sous la couverture des agriculteurs alors qu’ils n’ont rien à voir avec nous. Pour l’anecdote, un soir on est parti à Carrefour. On a déversé de la paille et une demi-heure après que mes collègues soient partis, il y a eu un départ de feu dans un caddie. Les brigades mobiles sont arrivées sur place et ont vu roder des jeunes du secteur qui sont venus mettre le feu à cet endroit pour le plaisir. Dans les journaux locaux comme Ouest France et tout le reste, c’était bien noté : « Les agriculteurs ont fait une opération à Carrefour et il y a eu des dégâts et des incendies ». En aucun cas les journalistes n’avaient précisé que ce n’était pas nous. Quand dans l’opinion publique il y a des coups de gueule, j’ai presque envie de dire que je les comprends car ils sont mal informés. Aucun média n’a fait son boulot. Sur place, tous les médias locaux ont été présents et nous ont écoutés. Le secteur de Quimperlé a eu de la chance car un jour on est passé matin et soir au JT de TF1. Mais notre cause a été absorbée par d’autres choses, ils ont essayé de nous enfumer. Quand je vois la médiatisation qu’il y a eu pour la manifestation des taxis, ça a duré deux jours et tous les médias étaient en boucle là-dessus. Pareil pour la manifestation contre la loi El-Khomri. Nous, on a été 15 jours dans les rues et c’est un problème de fond ! Il y a quand même 200 suicides par an chez les agriculteurs ! On parle quand même d’un problème social et personne n’était là. La loi El-Khomri, depuis une semaine quand tu allumes la télé, tu ne peux pas zapper deux chaînes sans tomber là-dessus, les taxis même chose. Je trouve honnêtement que les journalistes, soit ils sont achetés, soit ils ne font pas leur boulot.

Suite à votre mobilisation, en janvier dernier le gouvernement a fait des concessions. Qu’est-ce que vous en pensez, est-ce que cela va vous aider ?

C’est du foutage de gueule complet. On nous a promis de l’argent sauf que ce n’est pas cela qu’on veut. Aujourd’hui, les trésoreries sont à zéro. Beaucoup de paysans, sans beaucoup dépenser, sont endettés au-delà de 100 000 euros. Le gouvernement nous propose 125 millions d’euros d’aides qui s’ajoutent aux 700 millions du plan de soutien à l’élevage de l’été dernier. Si tu divises cette somme par le nombre d’agriculteurs dans des fermes comme en Bretagne, l’aide qui va leur revenir ne va même pas leur faire un mois d’aliments. Tout ce qu’on veut, ce n’est pas un coup de perfusion pour nous faire taire et que la semaine prochaine, on soit de nouveau dans la rue. Le gouvernement a aussi proposé de réduire nos charges. Pas de problème, je veux bien c’est plutôt intéressant. Mais qu’il le fasse le jour où nos exploitations seront pérennisées. Cela va juste arranger quelques intérêts privés comme ceux des gros céréaliers. Et puis, il est important de préciser qu’on ne nous enlève pas vraiment nos charges. Elles sont annulées pour cette année mais pendant les trois années qui vont suivre elles vont être rattrapées. C’est du déguisement fiscal c’est tout. De toute façon maintenant, la mobilisation va s’estomper car le travail dans les champs revient avec le printemps. On est beaucoup plus pris qu’il y a trois semaines car il y avait juste les travaux d’élevages à faire. On ne peut pas se permettre de quitter nos fermes deux à trois jours par semaine pour manifester alors que l’on est débordé de travail.

Pour le futur, qu’est-ce que vous attendez ?

J’attends juste qu’on arrête d’acheter nos produits pour qu’ils soient vendus à perte. Je ne demande rien d’autre. Je veux juste pouvoir vivre de mon métier et être heureux dans ce que je fais. De savoir que quand je me lève le matin pour nourrir ma famille et pouvoir rembourser mes emprunts afin d’améliorer mes conditions de travail et mon système de production sur la ferme. On ne veut pas aller au boulot pour perdre de l’argent. Si tu dis à un salarié qu’il va passer sa journée de boulot à l’usine et qu’à la fin de son travail, il doit te donner de l’argent, je pense qu’au bout d’une semaine il n’y a plus de salariés dans l’usine. Alors que nous, cette situation c’est notre quotidien. Pour demain, tout ce que je demande et rien de plus, c’est de pouvoir vivre de mon métier.

Propos recueillis par Laure Le Fur