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[INTERVIEW] Jean-Yves Thual : « Au cinéma, les handicapés sont discriminés »
Vendredi 16 septembre s’est déroulée la cérémonie d’ouverture du Festival International du Film sur le Handicap. À cette occasion Buzzles a rencontré le président, Jean-Yves Thual. Nous avons parlé cinéma, bien sûr, mais aussi discrimination, et de la situation de la France concernant le handicap.
Que représente ce festival pour vous ?
Cela représente une petite évolution dans les mœurs. Il y a encore beaucoup à faire. On a déjà eu beaucoup de mal à faire accepter ce festival. On est en train d’évoluer au fur et à mesure du temps, et j’espère qu’un jour on fera partie du Festival de Cannes lui-même. On sera encore plus crédible aux yeux des gens qui travaillent dans le milieu du handicap, et de ceux qui travaillent dans le cinéma.
A-t-il fallu se battre pour avoir ce festival ?
Tout le temps. C’est permanent. Nous souhaitons vraiment à l’avenir que ce festival soit un festival normal et non pas quelque chose d’exceptionnel. De le voir associé au Palais des Festivals serait, dans le futur, une belle réussite.

Pour Jean-Yves Thual, « le cinéma peut faire changer la vision qu’ont les gens du handicap. » (Crédit photo : Thomas Woloch)
Pourquoi le Festival international du film sur le handicap se tient-il à la villa White House, et non dans le Palais des Festivals ?
Le Festival International du Film a lieu à Cannes. Et notre festival, se devait donc aussi d’avoir lieu à Cannes, car cet endroit est quand même la place forte du cinéma. Le Palais des Festivals a eu des soucis de temps et de gestion, et nous avons été obligés de trouver un compromis pour que cette première édition se passe comme il faut. Il a fallu monter, créer et faire exister notre festival. Mais peut-être qu’un jour nous aurons le Palais. Ce n’est pas un objectif, notre objectif est qu’il puisse exister et que le monde du handicap soit présent dans le monde du cinéma, qu’il ne soit pas mis à l’écart.
Le cinéma peut-il faire changer la vision qu’ont les gens sur le handicap ?
Bien sûr, le cinéma peut faire changer les choses. Mais ce n’est pas obligatoirement révolutionnaire. Moi en tant que professionnel du cinéma, cela n’a rien changé. On a vu Intouchables, et d’autres films extraordinaires, mais en tant que comédien je ne travaille pas plus. Maintenant, on nous regarde différemment quand on dit que l’on fait du cinéma. Il reste encore beaucoup de choses à faire.
Y a-t-il une discrimination concernant les acteurs handicapés dans le monde du cinéma ?
Oui, il y a une discrimination semblable à ce qu’il se passe pour les femmes. On n’arrête pas de dire que les actrices sont moins payées que les acteurs, et les handicapés sont moins payés que les actrices. Quelquefois, on nous dit » tu as de la chance, tu devrais nous remercier d’avoir du travail et qu’on te prenne dans un film « . Dernièrement, Jean Dujardin a été réduit à ma taille pour un de ses films. C’est un acteur rentable, bankable. Cela fait plus de trente ans que je travaille, j’ai eu des prix au cinéma et au théâtre et on ne m’a jamais demandé de faire le rôle. Par contre, on m’a demandé de faire sa doublure taille. On n’est pas crédible. J’avais un ami, Claude Faraldo, qui m’avait écrit un film magnifique dans les années 90 avec Karine Viard. Il est lui-même venu essayer de le vendre pour le filmer, personne n’en a voulu, car un nain au cinéma n’est pas crédible. Cela ne fait pas vendre. Les gens ne peuvent pas s’identifier. Donc oui, il y a une discrimination évidente. À nous de faire passer des choses. Aujourd’hui, les rôles que je fais sont pour Groland, pour des gags, je reste un homme qui fait rire de par ma taille. C’est difficile, car soit cela fait pitié ou cela fait rire. Mais il y a un grand cheminement avant de faire accepter tout ça.

« Heureusement, on arrive à trouver des réalisateurs qui nous trouvent des petites places en douce », déclare Jean-Yves Thual. (Crédit photo: Nicolas Pineau)
Personnellement, que pensez-vous de ce genre de rôles ?
C‘est navrant. Maintenant, je le vis tous les jours, je suis un peu blasé. J’ai eu la chance dans ma carrière d’avoir eu des rôles extraordinaires. Des rôles graves, difficiles, magnifiques, je n’ai pas trop à me plaindre. Mais quand je joue au théâtre, même des rôles très durs, j’avais des gens qui venaient vers moi et me disaient » c’est bien pour quelqu’un comme vous ! « . Quand on a dix ans de carrière et des Molières, cela fait mal. C’est fatigant, on a envie que cela bouge, que cela change. Mais bon, à côté de ça je travaille, c’est déjà pas mal. Mais c’est très dur. Heureusement, on arrive à trouver des réalisateurs qui nous trouvent des petites places en douce, alors que ce n’est pas forcément écrit dans le scénario par exemple. J’ai récemment travaillé dans Marguerite avec Catherine Frot où le rôle était écrit pour n’importe qui, le plombier du coin par exemple (rires). Quelqu’un de banal, mais le directeur de casting m’a appelé et m’a dit « viens, j’ai envie de faire des vidéos de toi et de les présenter au réalisateur« . Et le réalisateur, quand il a vu les vidéos, il a accepté. C’était évident, j’étais celui qu’il lui fallait. Pourtant le rôle n’était pas écrit pour quelqu’un de petit, loin de là. Tout d’un coup, cela donne une autre dimension au personnage. C’est comme dans La partie d’échecs d’Yves Hanchar. J’avais écrit au réalisateur à l’époque pour lui dire de mettre quelqu’un de petit, en l’occurrence Denis Lavant. J’avais insisté en lui écrivant « ce garçon joue tellement aux échecs, qu’il peut avoir oublié de grandir« . Cela avait une symbolique forte.
Pour l’anecdote quand les enfants me demandent pourquoi je suis petit, je leur dis « car j’ai oublié de grandir. J’ai pensé à autre chose« . Cela pourrait être intéressant de faire des choses là-dessus. Ce qui est le plus dur pour les personnes handicapées, ou différentes, c’est d’avoir en permanence à se justifier. Pourquoi avoir mis quelqu’un de petit pour faire ce rôle ? Pourquoi ce personnage ?
Est-ce que le festival lutte pour donner accès au cinéma pour les handicapés ?
On lutte depuis longtemps, mais là, encore, cela reste une question politique et financière. La loi sur l’accessibilité est repoussée sans cesse. Et comme cela coûte de l’argent pour certaines structures qui ne sont pas faites comme ça, on est obligé de se battre tout le temps. Heureusement, aujourd’hui, nous avons une politique sur l’accessibilité qui est relativement solide. Les nouveaux cinémas sont adaptés par exemple. Mais il faut toujours y penser, on est obligé de prévoir des accès handicaps. Mais on ne nous offre pas la possibilité. On se bat tout le temps.
Cela tend à s’améliorer ?
Oui, mais dans les mentalités c’est complexe. Tant que l’on n’a pas le problème soi-même, on ne peut pas s’en rendre compte. Beaucoup ont peur et refusent de voir la réalité en face. C’est un problème dans leur tête, dans leur vie. Les gens ont peur de se retrouver dans le handicap. Ils ont peur de leurs propres peurs. Ce n’est pas le handicap qui fait peur en tant que tel. Mais c’est le fait que cela pourrait nous arriver, et donc il y a un vrai recul. C’est terrible. Les gens ne prendraient pas autant de risques s’ils savaient ce qu’il pourrait leur arriver. Un accident de voiture, de moto…
Pour vous, la France est-elle en retard par rapport au handicap ?
Absolument. Je suis allé aux États-Unis, en Angleterre et tout n’est pas parfait, c’est vrai. Les tramways à Bruxelles sont inaccessibles, mais il y a des choses qui sont faites qui sont beaucoup plus avancées que chez nous. Il faut prendre conscience et oser prendre les choses en mains une bonne fois pour toutes et taper du poing. Mais je ne me fais pas d’illusion, nous sommes tellement gérés par l’argent. Il y a trop d’intérêt, trop d’ego qui n’ont rien à voir avec les problèmes des handicapés.
Vous ne pensez pas que l’État devrait être plus poursuivi, par exemple, dans le cadre des Instituts médico-éducatifs ? Il y a beaucoup d’enfants qui sont déscolarisés, car il y a un manque de place, alors que l’État pourrait en créer…
L’état a sa part de responsabilité, mais je trouve ça très administratif. L’état est poursuivi pour tellement de choses. J’entends bien, mais il faut une vraie prise de conscience. Ils n’en ont rien à faire. Les choses ne peuvent avancer que s’il y a un électrochoc national. Tous les politiciens s’intéressent aux problèmes. Mais ils n’agissent pas.
Comment faire changer les choses ?
Un Festival international du film sur le handicap doit exister, malgré tout. Des prises de conscience dans la vie de tous les jours doivent s’amorcer. Le monde du handicap ne doit pas être quelque chose d’extra-terrestre. Les gens vivent comme vous et moi, sans bras, sans jambes. Médiatiquement, France 3 essaye de faire des choses dans le cadre des Jeux paralympiques. Dans les années 90, il y avait une chaîne spéciale qui retransmettait la compétition. Maintenant, il y a 400 chaînes, mais pas une seule ne retransmet en intégralité les Jeux paralympiques, mais ceci est un exemple parmi tant d’autres. Les médias font des efforts, mais ce n’est pas encore ça. Cela traîne, c’est difficile, car cela ne vend pas.
Propos recueillis par Laure Le Fur et Thomas Woloch