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Chouf, au cœur de la violence
Chouf. Chouf c’est beau, ça a du souffle, ça veut dire regarde, guette, prend conscience. Après Bye Bye en 1995, puis Rhamsa en 2007, Karim Dridi nous invite à nouveau dans les quartiers nord de Marseille avec son dernier long-métrage, en salle le 5 octobre, Chouf.
L’idée était de tourner un film avec les jeunes des quartiers nord, pour montrer leur évolution depuis Rhamsa. Montrer l’enfance issue de l’immigration, une enfance sacrifiée sur l’autel de la désespérance et de l’injustice. Le casting a duré deux ans. Dix jeunes de ces quartiers ont été sélectionnés, puis ont passé deux ans en atelier pour faire des répétitions. Il a ensuite fallu adapter le scénario à la langue spécifique de ces « ghettos » contemporains. La langue française moderne incorpore l’arabe.
Pour le réalisateur, ce casting hétéroclite était une chance de donner une dimension documentaire à son film. Pour les jeunes, une opportunité d’arrêter de tenir le mur. Karim Dridi le dit lui-même « Rhamsa ça a été mon Sésame, l’opportunité de montrer le talent et l’envie (des jeunes ndlr) ». Parmi les 1 500 acteurs en devenir qui ont passé le casting, beaucoup de déceptions, mais c’est à ce prix que Karim Dridi a formé une troupe de qualité. Parmi eux, Foued Nabba dans le rôle de Reda, Zine Darar dans le rôle de Marteau et Oussama Abdul Aal dans le rôle de Rachid. Ces jeunes sont fiers d’un film qui représente la réalité de leur histoire. « On l’a vécu en étant au mauvais endroit, au mauvais moment », affirme Foued Nabba, alias Redda. « J’ai un ami qui est mort dans mes bras. » Ils sont unanimes sur le vrai sens de ces images : « Nous on n’est pas des délinquants. Nous on n’a pas envie de faire ça, de faire pleurer la famille. C’est pas un chemin qu’il faut prendre. C’est ça le message du film. »
Pour le réalisateur, c’était important de choisir des jeunes issus des quartiers populaires de Marseille « parce qu’ils savent de quoi ils parlent, ils ont une authenticité, une crédibilité, une force, un talent brut ». « Vous imaginez ce projet avec des gens embourgeoisés ?», plaisante-t-il.
Le film a été projeté en avant-première à Marseille. Un moment fort, chargé d’émotion. « L’accueil à Marseille c’était de la patate », affirme le réalisateur, « Il y avait les proches et tous les quartiers ». Pour eux, ce film comble le déficit de la représentation médiatique de cette jeunesse perdue. Karim Dridi l’affirme, aller dans les quartiers avec une caméra, c’est un acte de résistance culturelle. « Dans les quartiers il y a un déficit de tout, de médecine, de scolarité, de justice, de démocratie. ». Ce film représente quelque chose de fort et de rare : aucun film français ne s’est tourné dans un quartier difficile avec 100% du casting issu des quartiers défavorisés de la cité phocéenne.
Chouf, un film qui dérange ?
Puis il y a eu la nomination au Festival de Cannes. Le réalisateur en est fier. « Cannes c’était une consécration pour les jeunes et, pour moi, une reconnaissance de mon travail ». Chouf, selon son créateur c’est un film engagé et déterminé. « On ne fait pas tout ça sans s’engager ». Il s’avoue cependant inquiet pour la projection en salle. « Ce que j’attends c’est qu’on laisse les gens qui ont envie de choufer Chouf, voir Chouf. » Il espère qu’on va lui donner des salles pour montrer le film. Il affirme que certaines personnes n’ont pas envie que ce film soit vu, et « censurent à la source ». Chouf, un film qui dérange ? C’est un film qui dénonce la violence, l’exclusion, le déterminisme social. « C’est un scénario de fiction qui parle de comment on peut être aspiré par la violence parce qu’elle nous entoure », déplore le réalisateur. Pour lui, la solution est simple : « Il faut donner du travail aux gens pour régler la violence, la délinquance et le grand banditisme. » Toute cette violence, selon lui, prend sa source dans la misère. Un avis partagé par les acteurs : « Dans ce film y a beaucoup d’émotion, beaucoup d’amour. Le but c’est que les gens prennent en considération la souffrance et réagissent. »
Bande annonce de Chouf, en salle depuis ce mercredi 5 octobre :
Solenne Barlot