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Le marché Forville et ses petites mains du matin
Forville, Gambetta ou encore la Bocca, les marchés sont les fidèles compagnons de la ville de Cannes. Sous le calme apparent d’un matin embrumé, les petites mains du marché sont prêtes à entamer un long marathon. Immersion dans l’un d’eux, place Forville.
Attiré par les effluves qui commencent à se dégager , un chat noir vient fouiner, presque invisible dans la nuit. Il sera vite chassé des lieux par des petites voitures qui s’adonnent à une chorégraphie singulière, transportant stands et cagettes de fruits colorés. Il est cinq heures du matin et comme tous les jours au marché de la place Forville, maraichers, fleuristes, fromagers ou encore bouchers s’activent pour mettre leurs stands en place. Le silence et la concentration sont de mise. Il s’agit d’un travail de longue haleine. Carnelo, fleuriste d’origine italienne depuis plus de trente ans, est quant à lui réveillé depuis déjà 3 heures du matin. Il possède sa propre exploitation à Grasse. Après la cueillette du matin, il fonce dans son fourgon. « Il faut être là les premiers, sinon on ne peut plus passer. Il faut alors garer la camionnette plus loin et faire d’incessants va-et-vient pour décharger les fleurs. Ça nous ferait perdre trop de temps. »
Et du temps, il en faut, pour pouponner ses fleurs. Il lui faut plus de quatre heures pour décharger, arracher celles qui se sont abimées pendant le trajet et composer des bouquets. Un travail conséquent. De plus que ce jour-là, la France est passée à l’heure d’été. Il a perdu une heure de sommeil. De nombreuses plaintes se font entendre : « C’est inutile, détestable ». Les commerçants doivent se battre contre la fatigue. Malgré tout, le travail au contact des clients est un vrai plaisir pour lui. Tout comme pour David, artisan-commerçant spécialisé dans la production d’olives. Il a volontiers vendu son bar, il y a quatre ans de cela, pour passer plus de temps avec son petit garçon. « Avant je rentrais à la maison à 6 heures et j’étais exténué. J’ai inversé mes horaires en changeant de métier. Maintenant, je pars vers 4 heures et j’ai toutes mes après-midis libres pour mon fils.» Cela ne l’empêche pas, néanmoins, d’apercevoir des fêtards invétérés certains soirs.
« Parfois il y a des jeunes pénibles qui trainent ici… ce n’est pas une bonne idée pour eux !» dit-il dans un éclat de rire. David ne travaille pas seulement au marché Forville. La météo, en berne cette année, « influe sur la venue des clients ». Alors pour compléter ses revenus, il s’adonne également à la vente par correspondance.
La concurrence commence dès cinq heures
David est loin d’être le seul à maudire le mauvais temps. Entre la pluie et la crise économique, Carnelo s’alarme. « Mon métier risque de se perdre. On a moins de clients que l’année dernière ». L’heure est encore plus grave du côté des maraichers. A seulement 5 heures du matin, ils sont déjà huit à vendre le même type de produit et il s’agit des plus matinaux ! Pour contrer les éventuelles querelles, la mairie loue et attribue aléatoirement les places à l’année ou au mois. Le prix est d’environ quinze euros par mois. Mais cela n’empêche pas la concurrence. Alors, les étalages doivent se faire de plus en plus impressionnants : explosion des couleurs, choix de fruits et légumes insolites. Il s’agit d’émoustiller les cinq sens. Olfactivement, le stand de David récolte tous les suffrages. Visuellement, tout est dans la présentation : plus le produit étincelle, plus le client est attiré, comme devant un bijou. Furtivement, on aperçoit un maraicher frotter une ultime fois un avocat : il faut que ça brille!
Samir El-Haoufir defend le made in France
Samir El-Haoufir est maraicher depuis vingt ans. Son travail, ce n’est pas vraiment une passion : « il faut bien pouvoir vivre et manger », explique-t-il. Tous les matins, sauf le lundi, ce père de famille de 43 ans se rend sur le marché Forville, dès cinq heures pour préparer son étalage. Il ne finit sa journée que vers 13h30. « Ça me laisse les après-midis pour me reposer et m’occuper de mes trois filles ». Tous ses fruits et légumes sont made in France, cultivés par son patron. Ce matin-là, Samir est fatigué, nous sommes passés à l’heure d’été : « c‘est embêtant mais j’ai l’habitude ». En vingt ans de travail, il a eu le temps de s’habituer à ces horaires quelques peu décalés, et aussi aux quelques rencontres qu’il peut faire tôt le matin. « De temps en temps, on croise des jeunes alcoolisés. Un matin, une jeune fille était tellement ivre qu’elle s’est endormie sur la place du marché », raconte- t-il, le sourire aux lèvres. Samir El -Haoufir ne travaille pas uniquement au marché Forville de Cannes, mais aussi au Grand Marché de Nice. Là, lui et son patron vendent fruits et légumes frais, tout juste sortis du potager, en compagnie d’autres maraichers.
Par Mathilde DESLOGIS et Méline ESCRIHUELA