L’excision, toujours une réalité

Méconnue du grand public, l’excision est une pratique encore très répandue, notamment sur le continent africain. Buzzles revient sur le cauchemar que vivent de nombreuses fillettes à travers le monde.

262 964. C’est le nombre de femmes qui ont été excisées depuis le 1er Janvier 2017. La pratique désigne la mutilation sexuelle féminine, dont notamment l’ablation du clitoris. La majorité des fillettes sont excisées entre 5 et 14 ans. Si l’excision est peu médiatisée, elle est toujours pratiquée dans plus de trente pays. Selon l’Unicef, en février 2016, 200 millions de filles sont excisées dans le monde contre 140 millions lors du dernier recensement datant de 2014. Même si cette pratique recule, les pays pratiquant l’excision connaissent un boom démographique, ce qui contribue à cette augmentation du nombre de victimes de cet acte rituel. Les pays à l’origine de cette pratique se trouvent en grande partie sur le continent africain. Le Mali, la Mauritanie, le Soudan du nord et la Somalie possèdent une population féminine dont plus de 80% ont été victimes d’excision. En Égypte, plus de 90% des femmes sont à ce jour excisées. La pratique porte atteinte aux droits liés à l’intégrité physique et mentale, à la santé, au droit à l’enfant et surtout au droit à la vie. Si l’excision peut sembler un lointain problème aux yeux des occidentaux, 50 000 femmes sont excisées en France. Si l’évolution de la pratique reste similaire, plus de 30 millions de filles seront mutilées sexuellement lors de la prochaine décennie.

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Au Kenya, l’opération est pratiquée par les ancêtres du village (Crédits: Reuters / Siegfried Modola)

« Les parents font exciser leurs filles afin de leur garantir le meilleur futur possible »

Dans la plupart des sociétés qui la pratiquent, l’excision est avant tout une norme sociale. Si cette norme n’est pas respectée, les familles s’exposent à des risques de pressions extérieures, d’exclusion, voire de sanctions morales. Et cela peut aller jusqu’à l’impossibilité de marier les filles. Déjà dans les sociétés pharaoniques, les familles les moins aisées pratiquaient l’excision afin de marier leur progéniture aux familles de rang social élevé. Une nécessité car le mariage est, pour beaucoup de familles, le seul moyen d’assurer un avenir à leurs filles. Dans une étude parue en 2010, l’UNICEF explique que « [l’excision] constitue une étape nécessaire dans la bonne éducation d’une fille, une façon de la protéger et, dans de nombreux cas, de lui permettre de se marier. Les parents font exciser leurs filles afin de leur garantir le meilleur futur possible. ». Dans ces sociétés, le jugement social passe ainsi avant la santé des femmes, puisque l’honneur de la famille est mis en jeu, et ce même si les familles sont au courant des risques pour la santé.

Dans la religion, aucun texte n’impose l’excision mais celle-ci reste pratiquée dans le christianisme, l’islam ou l’animisme. D’après certains mythes et croyances, l’excision favoriserait la fécondité de la femme. La pratique serait également effectuée dans le but de supprimer les parties génitales considérées comme les plus masculines, tel que le gland du clitoris. Dans les années 50 en Europe de l’Ouest et aux Etats-Unis, l’excision était une manière de soigner les « maladies » comme l’hystérie, l’homosexualité, la masturbation, la nymphomanie, les troubles mentaux…

La pratique de l’excision forge l’identité culturelle de ces sociétés

Dans ces pays, l’excision est aussi un fort élément culturel. Elle constitue une tradition ancrée dans les mœurs. C’est une sorte de rite de passage à l’âge adulte pour les jeunes filles. C’est pourquoi la majorité des filles excisées sont âgées de 5 à 14 ans. La pratique de l’excision forge l’identité culturelle de ces sociétés et leur permet de se distinguer des autres. Avec cette pratique, une culture est perpétuée et une sorte d’identité est transmise aux générations suivantes. C’est ce qu’on observe avec les mouvements migratoires. Bien souvent, les familles, qui pratiquent l’excision traditionnellement, continuent de la pratiquer dans les pays où elles immigrent. Ainsi, elles conservent leur identité qui risquerait d’être perdue avec le déplacement de la population dans des pays qui ne pratiquent pas l’excision.

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Les fillettes sont allongées avant l’opération, drapées dans des peaux de bête (Crédits: Reuters / Siegfried Modola)

« J’ai tenu bon, et j’ai pu terminer ma scolarité »

Ici, il n’est pas question de jugements de valeur ou d’ethnocentrisme. L’excision est un fléau qui massacre mentalement et physiquement les filles qui en sont victimes. Les premières conséquences de la mutilation sexuelle sont avant tout physiques. Les parties génitales sont très innervées et leur ablation est extrêmement douloureuse. Des fillettes meurent en succombant aux infections ou aux hémorragies causées par l’excision. De plus, l’acte est majoritairement pratiqué sans anesthésie et parfois avec des outils incompatibles avec les règles d’hygiène les plus évidentes, comme des lames et des ciseaux. Néanmoins dans de nombreux pays, comme en Egypte, la pratique a tendance à se médicaliser. Pour les femmes excisées, le quotidien est un enfer. Madina Bocoum, victime d’excision, témoigne dans Flair : « chaque mois, la douleur était si insupportable que je manquais l’école pendant plusieurs jours. Mais j’ai tenu bon, et j’ai pu terminer ma scolarité ».

La vie sexuelle est également sévèrement atteinte et chaque acte sexuel peut devenir une torture. « Pendant les menstrues, les petits morceaux de chair se fragilisent de plus en plus et je suis obligée parfois de mettre un pansement. Lors des rapports avec mon mari, je n’ai aucun plaisir. » confie anonymement Mme D. à Slate. Les complications obstétricales sont nombreuses et le risque de saignements excessifs ou déchirures du périnée est renforcé. Dans la douleur, l’excision prive la femme de son propre corps et peut amener de sévères troubles psychologiques. Une jeune mannequin de 28 ans ajoute quant à elle : « j’ai simplement honte que des hommes s’aperçoivent que je suis excisée. Alors je souffre en silence. Je les éconduis alors que je suis parfois follement amoureuse. ». L’excision détruit les fillettes qui se retrouvent dépossédées de leur propre corps. Dès lors qu’elles sont excisées, l’usage de leur propre personne ainsi que leur sexualité n’est plus censée leur appartenir. L’excision est une atteinte à la femme, à l’homme et à l’enfant.

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Initiée par Pierre Foldès en 1994, la chirurgie réparatrice des organes génitaux est désormais possible (Crédits: La Depêche)

« C’est quand les femmes ont décidé d’en parler que les choses ont commencé à changer »

Se pose alors la question des moyens de lutte. Des associations, comme « Desert Flower Foundation » ou « Excision parlons-en ! » sensibilisent le grand public à cette pratique parfois trop méconnue. Sur le site d’« Excision parlons-en ! », la mission de l’association est clairement énoncée : « il s’agit d’aborder, avec respect, des sujets généralement tabous afin que le silence n’entretienne pas une méconnaissance favorisant la perpétuation de la pratique ». Pour Pierre Foldès, médecin français spécialiste de la réparation des femmes mutilées sexuellement, le combat contre l’excision passe également par la parole et le débat : « pendant des siècles, personne n’a lutté contre l’excision. C’est quand les femmes ont décidé d’en parler que les choses ont commencé à changer. ».

Certains pays d’Afrique avaient déjà adopté une législation contre l’excision, mais sans réel résultat. « En 1999, le Sénégal a voté une loi pénalisant les mutilations sexuelles féminines, mais ça n’avait pas suffi à les faire disparaître », explique Khalidou Sy, coordonnateur national de l’ONG protectrice des droits humains Tostan au Sénégal. Pour aider les pays à abandonner cette pratique, l’Unicef et l’UNFPA ont créé en 2008 un programme rassemblant douze pays où se pratique l’excision. Il s’agit avant tout de sensibiliser la population. Et le programme semble atteindre ses objectifs : « plus de 6 000 communautés en Ethiopie, Egypte, Kenya, Sénégal, Burkina Faso, Gambie, Guinée et Somalie avaient déjà abandonné la pratique de l’excision », trois ans après le début du programme, selon une déclaration de l’UNFPA-Unicef.

Roberto Garçon
Annabelle Georges