[INTERVIEW] Wayde Van Niekerk : “J’ai encore tellement de choses à réaliser”

Le 14 février, la cérémonie des Laureus World Sports Awards 2017 a eu lieu à Monaco. Wayde Van Niekerk, champion olympique en battant le record du monde du 400m à Rio, était nominé dans la catégorie « Révélation de l’année ». Buzzles a pu le rencontrer avant la cérémonie. Entretien.

Pour commencer, quel effet ça fait de remporter un titre olympique et de battre un record du monde ?

Je ne vis pas vraiment dans une émotion particulière, mais c’est indéniablement un immense honneur, et une grande leçon d’humilité d’être capable de battre le record du 400m. Mais en même temps, je vois ça comme un tremplin vers plus de choses encore pour moi, parce qu’en tant qu’athlète de 24 ans, il me reste encore plein de choses à réaliser, j’ai encore plus de motivation et je veux continuer à faire de bonnes performances. Je ne suis pas vraiment obsédé par ce record du monde, parce que je sens qu’il me reste encore énormément à accomplir.

Est-ce que vous aimez l’idée de détenir le record du monde ? Est-ce que vous avez l’impression d’être un meilleur athlète, ou est-ce une pression supplémentaire ?

Je doute qu’il existe des athlètes qui ne ressentent aucune pression. Je pense que la pression fait partie du jeu. Le fait que je puisse dire que ce titre est associé à mon nom, je pense que ça renforce ma confiance, ça me donne vraiment un sentiment d’assurance en moi quand je suis sur la ligne de départ juste avant de courir. Je fais de meilleurs temps que le reste de mes concurrents, mais en même temps je ne dois pas considérer cette place comme définitivement acquise. Je pense qu’il est vraiment important pour moi de rester concentré sur ce que je veux accomplir, et de ne pas me laisser emporter par quelques titres ou médailles d’or ou records du monde.

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Wayne Van Niekerk après sa course en finale olympique (Crédits: lemonde.fr)

Concernant les jeux de Rio 2016, avez-vous apprécié l’expérience dans son ensemble, la ville, la rencontre avec d’autres athlètes ?

C’est indéniablement une expérience que je n’oublierai jamais, mais en même temps, beaucoup de personnes pensent que ce genre d’expérience est avant tout un divertissement. C’était avant tout “Je dois y aller et travailler”, parce qu’en fait nous avons tous besoin d’être focalisés sur nos épreuves, car avant même que tu le réalises, ta course est finie et il y a énormément de médias derrière toi… Donc je me suis vraiment uniquement concentré sur le travail qu’il fallait faire, et nous avons pris tout le reste étape par étape.

Comment avez-vous géré la pression avant la finale à Rio ?

La pression était assez intense, surtout durant les séries et les demi-finales. J’ai senti une petite gêne dans mes ischio-jambiers et ça a provoqué beaucoup de doute dans ma tête. Mais une fois que nous sommes dans les starting blocks, et que nous sommes prêts pour la course, je pense que toute cette émotion accumulée explose quand le coup de feu retentit. L’émotion au final était positive, donc je ne peux vraiment pas me plaindre. Je ne connais pas d’athlètes qui, quand ils vont faire une course, ne ressentent aucune pression. Quel que soit le gagnant, le favori ou pas, nous ressentons tous une certaine pression.

Est-ce que vous pensez que courir dans le huitième couloir pendant la finale fut un avantage pour vous ?

Normalement, on préfère vraiment les couloirs du milieu, on les appelle “les couloirs favoris”, mais je pense que c’était vraiment un mal pour un bien pour moi, ça m’a libéré l’esprit de tout le reste, je me suis juste appliqué à finir la course.

Au sujet de Caster Semenya, est-ce que vous pensez que c’était décevant qu’elle n’ait pas eu son heure de gloire à Londres en 2012, êtes-vous heureux qu’elle soit désormais championne olympique ?

Je suis très heureux et tellement content pour elle. Je me réjouis qu’elle ait obtenu la médaille qu’elle mérite, et en même temps, je ne pense pas que quoi que ce soit lui ait été volé. Je pense qu’elle peut faire encore plus en tant qu’athlète, et je pense que ça lui a donné cette motivation de vouloir accomplir encore plus et de devenir meilleure à chaque rendez-vous, et je pense que c’est important.

Est-ce que Usain Bolt vous inspire ? Qu’est-ce que vous pensez de l’héritage qu’il va laisser à l’athlétisme et au sport en général ?

C’est immense, j’ai pu le rencontrer cette année. Son film est sorti, je crois que c’était au début de cette année ou en fin d’année dernière, mais rien que l’inspiration qu’il a apportée au sport, sa personnalité, le showman qu’il représente pour l’athlétisme, c’est quelque chose d’énorme et j’ai un immense respect pour Usain. Il m’a réellement motivé à vouloir essayer de viser les records qu’il avait établis. Je pense que c’est ce qu’il voulait faire, essayer d’inspirer le monde entier, et c’est vraiment ce qu’il est parvenu à faire. Je suis très reconnaissant, et très honoré d’avoir eu l’opportunité de le rencontrer juste avant qu’il ne prenne sa retraite.

Pensez-vous que son héritage soit terni par la perte de cette médaille d’or?

Pas du tout, je veux dire, si vous regardez Usain Bolt, il incarne la puissance qu’il a toujours été, comme je l’ai dit. Vous ne pouvez pas réduire ce qu’il a fait pour le sport à des médailles. Une médaille est un bien matériel agréable à détenir, mais on ne peut pas retirer tout ce qu’il a apporté à l’athlétisme par sa personnalité, son esprit sportif. Si vous voyez Usain Bolt, vous savez que c’est Usain Bolt, donc vous ne pouvez pas me dire qu’une médaille va définir la personne qu’il est et ce qu’il a fait pour le sport.

Vous avez parlé de confiance, comment vous vous situez en tant que sportif, entre la conviction et la confiance dont vous avez besoin pour obtenir des résultats et l’humilité nécessaire pour garder les pieds sur terre ?

Je pense qu’il faut juste être conscient de la différence. C’est toujours important, quand tu es en dehors de la piste, de montrer du respect à tous ceux qui t’entourent, de l’amour, et d’être la personne que tu es vraiment. Mais en même temps, une fois que tu es sur la piste, tu dois changer de personnalité et croire en pourquoi tu es là, basculer dans cet instinct de compétiteur qui est en toi. Donc j’ai appris à faire ça assez bien, je pense que c’est vraiment important d’avoir ce minimum de confiance en soi et cette part d’ego une fois que tu es sur la piste. Mais une fois que tu es en dehors de la piste, et que la course est finie, nous sommes juste des êtres humains et tu dois traiter chaque personne avec le respect qu’elle mérite, et je pense que c’est ce que je fais quand je suis sur la piste, simplement avoir à l’esprit la différence entre être sur et en dehors de la piste. Même si ce sont des gens contre qui je cours, quand je suis sur la piste, je ne m’attends pas à ce que nous soyons amis, mais une fois que nous avons quitté de la piste, c’est là que je vais leur montrer à nouveau du respect.

Après une année aussi merveilleuse, comment avez-vous commencé ce nouveau cycle ? C’est une tâche difficile, non ?

Je sens que ça va juste être le début de beaucoup de choses encore plus formidables pour moi. Si je compare avec 2015, alors 2016 a vraiment été un enchainement de succès. Et même si je regarde encore plus loin dans le passé, je m’en suis plutôt bien sorti ; je pense que maintenant, c’est juste un peu plus exigeant, avec beaucoup plus d’apparitions, les cérémonies de récompenses de temps en temps et les évènements organisés par les sponsors auxquels on doit assister. Ça devient assez difficile de maintenir un équilibre, mais j’ai réussi à le faire plutôt bien, je suis parvenu à gérer ça assez bien. Mon entraîneuse reste aussi stricte qu’à l’habitude, elle n’est pas contente quand je voyage (rires). Je pense que j’ai besoin de ça, assez souvent, je suis du genre à dire “Oui, on peut faire ci, on peut faire ça”, et alors elle arrive et dit “Non tu ne peux pas faire ça, tu dois faire ça, ça et ça”. Je pense que je dois remercier mon entraîneuse, mon équipe, ma famille pour la façon dont ils mettent en place mes programmes, et la façon dont ils me poussent à aller plus loin, et je pense qu’ils m’ont plutôt bien aidé et ils m’ont amené à devenir ce que je suis aujourd’hui. Donc j’ai vraiment confiance en eux et je ne crois pas seulement en moi-même en tant qu’individu, mais en nous en tant qu’équipe, et nous avons plutôt fait du bon travail jusqu’ici.

Êtes-vous aussi impatient de venir aux Championnats du Monde à Londres cet été ?

Je le suis, si vous pouvez amener le beau temps (rires). J’ai hâte, j’ai déjà couru une fois là-bas, et c’était plutôt bien, j’ai bien aimé. On verra comment ça se passe, parce qu’une course reste une course et on doit faire le boulot. Mon travail est de courir et avec un peu de chance, d’essayer de remporter plus de médailles, c’est l’objectif et c’est ce que je vise.

Vous êtes en quelque sorte en pleine ascension depuis l’année dernière et sur une dynamique… Est-ce une bonne chose d’avoir les Championnats du Monde à Londres, parce qu’évidemment tout est échelonné, avec les Jeux Olympiques… ?

Je pense que pour nous, les Sud-Africains, ça nous rend la vie plus simple, parce que nous voyageons depuis l’Afrique du Sud et nous sommes installés en Europe pour l’été, et quand l’hiver arrive nous rentrons à la maison. Nous sommes déjà installés en Europe, donc c’est juste une heure ou deux de vol, donc ce ne sera pas très épuisant. Nous aurons juste à prendre un vol rapide pour là où il faudra être. En 2015, nous avions dû voler jusqu’à Tokyo. On doit s’habituer au décalage horaire, et c’est pareil avec Rio. Là, nous aurons simplement à être en forme, faire le voyage et être prêts.

Est-ce que vous pensez qu’avec l’éloignement des pistes de personnalités comme Mo Farah et Usain Bolt, il y a une réelle opportunité pour des garçons comme vous de devenir le centre de l’attention et de monter en puissance ?

On verra comment ça se passe, comment le sport voudra construire son image, la façon dont ils voudront voir le sport, et avec un peu de chance je serai l’un d’entre eux. Pour être honnête avec vous, je pense qu’ils devraient valoriser l’Afrique du Sud, parce que je crois que nous avons une excellente génération d’athlètes qui arrive. Avec un peu de chance, nous pourrions être la nouvelle Jamaïque ou les nouveaux Etats-Unis (rires).

Est-ce que vous prévoyez de nouveaux évènements pour les années à venir, et des courses sur de nouvelles distances ?

C’est assez stimulant. Je vais faire beaucoup plus de 200m cette année, et de retour à la maison, je ferai un peu plus de 100m. J’adorerais faire du 100m et du 200m lors du Championnat du Commonwealth l’année prochaine, mais on verra… Je ne veux pas brûler les étapes, trop m’emballer et perdre de vue ce que j’ai à faire, je dois réellement me concentrer sur le 400m, mais en même temps, j’aimerais vraiment faire des meilleurs temps en 100 et 200m aussi.

Propos recueillis par Loris Biondi, Hugo Girard et Guillaume Truillet

Retrouvez cet entretien en version originale ici.