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A Marseille, la marche pour la justice et la dignité est un exemple de démocratie
Vendredi 17 mars, des habitants de la ville de Marseille se sont réunis sur les escaliers de la Gare Saint-Charles, répondant à un appel citoyen à manifester après le cas de Théo à Aulnay-sous-Bois. Sous le nom de Grande Marche pour la justice et la dignité, la manifestation se sera également tenue deux jours après à Paris.
Les escaliers crasseux de la gare Saint-Charles se remplissent peu à peu. Le rendez-vous est à 18 h pourtant il n’y que cinq personnes pour le moins atypiques pour l’instant : une femme voilée aux yeux bleus, un homme en jupe, un transsexuel… Le tout ressemble assez peu à une manifestation. Pourtant une quinzaine de policiers sont déjà postés aux quatre coins des marches, prêts à intervenir. Les premiers arrivants semblent se connaître mais venir de milieux différents. Ils sont en train d’écrire sur une banderole : « Marche pour la justice et la dignité ». Ces hommes et femmes ont la volonté de faire leur propre manifestation. Ils ne veulent pas d’appropriation politique ou syndicales comme à la marche du 19 mars à Paris. Fadela, l’une des initiatrices du mouvement nous explique sa vision des choses.

Les premiers manifestants sur les escaliers Saint-Charles. (Crédits photo : Arsène Chapuis)
L’utopie politique
Les escaliers se remplissent peu à peu, l’ambiance devient chaleureuse. On ouvre des bières, on fume, on rit. Un brouhaha inonde le parvis de la gare. D’un côté ça discute sur l’histoire de la France et de l’Algérie. De l’autre a lieu un débat paisible entre un Chiite et un Sunnite. Des mecs de cités, des anarchistes, un écrivain, une lycéenne, des pratiquants. Beaucoup sont venus avec leur enfants en bas âge. Toutes ces individualités forment un groupe assez hétérogène. Si la parole est respectée, la voix se libère. Dans cette simple réunion de citoyens, on parvient à retrouver l’essence de la politique même : débattre et discuter de la vie de la cité.

Deux amis marseillais. (Crédits photo : Parissa Javanshir)
Un peu à l’écart du groupe, deux jeunes marseillais de 17 ans débattent autour de la culpabilité des policiers, l’un vient des quartiers nord, l’autre du centre-ville.
Justice et dignité
Si la cohésion est si importante, c’est qu’elle repose sur un sentiment commun trop fort pour laisser place à l’hésitation : l’injustice des violences policières et un manque de dignité. Cela fait des années qu’un goût amer a eu le temps de macérer, d’abord chez les familles, puis dans les quartiers populaires, touchant enfin chaque citoyen. Grâce à une médiatisation forte mais pas forcément égale, les noms des victimes résonnent dans les têtes. Dernièrement à Aulnay-Sous-Bois, Théo s’est pris une matraque dans le rectum. Grâce aux réseaux sociaux, l’affaire est connue de tous. Mais on oublie trop souvent les cas d’Amine Bentousi qui s’est pris une balle dans le dos sans motif en 2012 ou encore la mort injustifiée de Wissam El-Yamni en 2011 à Clermont-Ferrand.

Un rappel des victimes de la police. (Crédits : Parissa Javanshir)
Vers 18h30, ce n’est plus un groupe mais une assemblée déterminée. Le ton se fait plus grave et le propos devient sérieux. Les paroles lourdes du rap conscient et politique de Kerry James sont diffusées par une enceinte. Il y a maintenant près de 200 personnes rassemblées. Plusieurs membres des familles des victimes prennent le micro et prononcent des discours suscitant de vives réactions dans la foule. Elle veut marcher, revendiquer, protester. Au milieu de tous ces gens se trouve Awa Traoré, l’une des sœurs d’Adama Traoré, mort en juillet dernier dans un commissariat de police.

Awa Traoré, la sœur jumelle d’Adama Traoré. Crédits : Harold Girard)
Elle nous confie que sa famille subit un véritable « acharnement judiciaire et médiatique ». Plusieurs de ses frères ont été arrêtés ou incarcérés depuis la mort d’Adama : le dernier en date est Yacouba qui a pris 18 mois de prison ferme.

Le cortège de manifestants se met en route. (Crédits photo : Arsène Chapuis)
Il est 19h, la marche citoyenne se met en route. Les gens et les visages se durcissent. Chacun semble transformé par un sentiment de révolte. Pas de bavure ni de violence mais une intensité incontestable. Pourtant les moyens policiers déployés semblent quelque peu démesurés face à un groupe non-violent. Ce cortège énergique défile dans les rues de la cité phocéenne. Depuis les marches Saint-Charles, le long de la Canebière jusqu’au Vieux Port, les Marseillais installés en terrasse ne restent pas indifférents au message porté par la marche, certains rejoignent les manifestants, d’autres les soutiennent de loin. A 20h le mouvement se disperse sur le Vieux port. Une petite partie reste pour écouter le dernier discours d’une femme récemment convertie à l’islam qui parle du regard des gens, de leur jugement permanent depuis qu’elle a décidé de se voiler. C’est un appel à l’ouverture d’esprit, à la fraternité qui conclut cette soirée.

Un enfant regarde passer la manifestation sur le Vieux Port. (Crédits : Arsène Chapuis)
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Arsène Chapuis