[CDE] Roche à bateau : à la rencontre des oubliés de l’État et des ONG

À Roche à Bateau dans la péninsule sud d’Haïti, des rescapés se relèvent difficilement. Près de 6mois après l’ouragan, les habitants peinent à retrouver le cours normal de leur vie. Ils tentent de réhabiliter les toitures de leur maison, sévèrement endommagées par les rafales de vents provoqués par l’ouragan Matthew dans la nuit du 3 au 4 octobre 2016.

Près de 6 mois après le passage de Matthew, c’est un décor apocalyptique qui se dessine dans le paysage de la péninsule du sud. Des arbres abattues, des maisons éventrées, des espaces désertiques, des détritus qui jonchent le pavé, et des gens delaissés, qui triment dans la misère. Voilà l’image que l’on peut voir à Roche à Bateau. Mais malgré tout, les habitants essaient tant bien que mal de se refaire une vie.

Dans un élan de solidarité, voisins et voisines s’organisent en « Konbit » pour récupérer des décombres des vaisselles et des meubles. Certaines familles, malgré leur difficile situation, accueillent des proches qui n’ont pas les moyens de remettre sur pied leur demeure.

Rencontre avec des habitants

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Roche à Bateau, cette petite commune du département du Sud d’une superficie d’environ 65 kilomètres carrés, est méconnaissable. Si cette commune située sur la cote sud était réputée pour son charme pittoresque, avec ses belles plages au sable blanc inexploitées, son hospitalité et sa tranquillité naturelle, le paysage s’est littéralement transformé en scène d’horreur après le passage de l’ouragan Matthew. Située à environ 5 heures en voiture de Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, Roche-à-Bateau, compte 18 394 habitants. L’ouragan dévastateur Matthew a détruit presque tout sur son passage.

Dans cette contrée, les arbres et les plantations n’ont pas résisté aux averses ni aux rafales de vent de 10 kilomètre/ heure apportés par l’ouragan. Des pylônes électriques sont renversés tout au long de la cote de Sud d’Haïti, route qui s’amène vers Roche à Bateau. Les caprices de la nature ont brisés les rêves des paysans et compliquent leur conditions de vies jadis alarmantes.

La solidarité face à l’adversité

Dans un « Konbit », une forme traditionnelle du travail coopératif dans les milieux ruraux. Certaines familles dont leurs maisons ont pu résister aux vents et à la pluie accueillent des amis et des proches qui n’ont pas les moyens de construire un abri pour se protéger du soleil et des intempéries. Les rescapés de cette commune se mettent ensemble pour nettoyer leur logis complètement détruites.

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À  la rue Saint Michel, dans la commune de Roche a Bateau, *Jacquelin et son épouse contemplent péniblement ce qui reste de leur résidence, des ustensiles de cuisine, des meubles éparpillés devant leur maison dont la toiture en tôle est emportée par les vents violents. Ne voulant pas s’apitoyer sur leur sort, ils ont décidé de réparer la toiture de l’une des 7 chambres de leur maison.

« Nous nous efforçons avec nos propres moyens de reconstruire nos maisons. Nous ne pouvons plus dormir à la belle étoile, attendant l’arrivée de l’aide des autorités qui tarde à toucher notre localité », a déclaré Jacquelin, père de 7 enfants.

D’autres rescapés de Roche à Bateau à l’instar de Jacquelin ont pu récupérer dans les boues des batteries de cuisine et des meubles. Ils essayent eux aussi de réhabiliter une partie de leur maison pour pouvoir se mettre à l’abri du soleil et des intempéries.

Durant notre périple à Roche à Bateau, nous avons rencontré Marcelin, un gamin de 7 ans, il aide sa mère à rassembler des morceaux de bois et tôles pour reconstruire leur abri. Faute de moyens, ces habitants utilisent des matériaux usagés pour remettre sur pied leurs bâtisses. En attendant la fin de ces travaux ils passent des nuits sur des chaises à la belle étoile.

« Je m’appelle Marcelin, j’ai 7 ans. Grâce à Dieu je me suis échappé sain et sauf des vents violents de l’ouragan. J’habitais au bord de la mer. Je veux aider ma mère à reconstruire sa petite maison » dit-il.

 À Roche à Bateau, Coteaux ou à Tiburon, nombreux sont les sinistrés qui ont déjà abandonné les centres d’hébergement, ils disent craindre d’être contaminés au choléra. Désormais, ils mettent le cap sur la reconstruction. Ces nouveaux logis ne respectent aucune norme en matière de construction. Les sinistrés affirment tous qu’ils n’ont pas la possibilité de reconstruire leurs maisons convenablement. Ils fustigent le comportement des autorités gouvernementales qui disent-ils refusent de mettre en application le plan de relèvement post Matthew.

 « On vit très mal, les bâches nous protègent contre le soleil. Mais hélas elles ne peuvent servir à grand chose quand il pleut. C’est une véritable misère », murmure une habitante de Roche à Bateau. « Nous sommes abandonnés à nous même. Jusqu’à présent aucune autorité n’est venue nous assister », dénonce un jeune homme.

Ces rescapés sont en proie à la famine

La famine frappe déjà à la porte de ces rescapés de l’ouragan Matthew, parmi eux des enfants qui n’auront même pas les noix de coco comme ration alimentaire.

« Quand il pleut c’est comme si on était en plein air. Les enfants sont trempés, ils sont tombés malades à cause du froid… Ici ce sont les noix de coco et banane tombés par la force des vents de l’ouragan qui nous servent de nourriture », explique Christela.

Dans les ports de la péninsule Sud, un paquebot humanitaire en provenance de la Hollande transportant des kits d’hygiène destinés à la Croix Rouge Haïtienne au profit des victimes a été obligé de rebrousser chemin faute de sécurité pour son équipage. L’aide humanitaire arrive au compte goutte, les plus robustes s’accaparent de tout. Une octogénaire s’est fracturée le genou droit en allant récupérer de l’aide humanitaire. Une situation douloureuse qui donne froid au dos. 

« On est foutu. Les forts vents et les eaux en furie ont emporté tous nos biens, déclare-t-elle mort dans l’âme… Pourquoi Dieu n’a-t-il pas ôté ma vie se demande-t-elle.

L’aide humanitaire détourné par des parlementaires et des officiels, le gouvernement décline toute responsabilité

Un entrepôt contenant d’aide humanitaire en provenance de la République Dominicaine stocké à la Société nationale des Parcs industriels

dans la capitale Haïtienne est abandonné par les autorités gouvernementales. Certains parlementaires accompagnés d’hommes lourdement armé ont amassé tout ce qu’ils pouvaient dans cet entrepôt hors de tout contrôle.

Dans la foulée, des acteurs de la société civile, des droits humains crient au scandale que l’aide humanitaire ne doit pas utiliser à des fins commerciales et électorales. En réponse, dans un discours peu clair, le ministre de l’intérieur François Annick Joseph affirme que le gouvernement a donné l’autorisation aux parlementaires de participer au transport des convois dans les zones affectés par l’ouragan.

Un Plan de relèvement Post Matthew qui se fait attendre

Depuis la fin du quinquennat du président Michel Joseph Martelly, lui qui n’a pas su organiser les élections a temps. Depuis lors, Haïti, cet état en déliquescence est dirigé par un gouvernement provisoire ayant à sa tête l’ancien sénateur Jocelerme Privert. Ce gouvernement provisoire dit avoir pris les dispositions pour activer la phase de relèvement à la fin de l’urgence. Une activation qui se fait encore attendre.

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Aucuns travaux de réhabilitation des maisons détruites ne sont remarqués à travers les zones affectées. Les sinistrés font face au désespoir, l’angoisse et la peur. Les destructions sont telles que la commune de Roche à Bateau pourra prendre des mois, voire des années, pour se relever.

L’acheminement de l’aide humanitaire demeure un casse-tête pour les autorités plusieurs semaines après le passage de l’ouragan. De lourds soupçons pèsent sur la canalisation de dons destinés aux victimes. La commune de Roche à Bateau reste encore très difficile d’accès, par conséquent l’aide ne peut être acheminée normalement.

Depuis le passage de l’ouragan ces rescapés n’ont rien vu. Pas d’aide médicale ni distribution d’eau encore moins de nourriture. Ils boivent l’eau de pluie. Beaucoup d’entre eux, dans les prochaines semaines, choisiront sans doute l’exode vers la capitale.

Cet article vous est proposé par le Carrefour des Écoles, un projet d’échange entre plusieurs écoles de journalisme qui vise à mettre en valeur les productions d’étudiants du monde entier.

 Banachecca PIERRE 

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