[Interview] Laurent Tillie : « Le challenge m’a plu »

Sélectionneur de l’équipe de France de volleyball depuis plus de quatre ans, Laurent Tillie s’est lancé un nouveau défi, l’été dernier, en prenant en main le mythique Racing Club de Cannes (RC Cannes). Neuf mois plus tard, et juste avant le début des plays-offs, Buzzles l’a rencontré.

Pourquoi avoir choisi de venir entraîner le RC Cannes, en plus de vos fonctions avec l’équipe de France masculine ?

Le projet et le challenge m’ont plu, je venais de me mettre d’accord avec l’équipe de France jusqu’à Tokyo et entre temps j’ai cherché à entraîner en club. Mais je ne voulais pas de conflit d’intérêt avec les garçons, je m’apprêtais à partir aux Etats-Unis dans les universités puis on m’a proposé le challenge du RC, et il m’a paru tellement intéressant, au vu du palmarès et des conditions de travail idéales. Tout cela fait que le challenge était intéressant.

Quels étaient les objectifs fixés par le club en début de saison ?

Gagner le titre, la Coupe de France, et aller en phase finale de Coupe d’Europe. Malheureusement, on a pas réussi à atteindre les objectifs en Coupe de France et en Coupe d’Europe, ils nous restent donc le championnat avec l’idée d’aller chercher le titre dans la dernière phase qui débute samedi et dure jusqu’au 6 mai.

Quelles sont les différences de coaching entre une équipe féminine et une équipe masculine ?

En effet, dans le volley féminin, il faut être beaucoup plus précis et systématique dans les consignes alors que chez les garçons, le coaching est plus ouvert, il y a une plus grande vision, ils sont plus réactifs, en raison du physique il y a aussi beaucoup d’instinct, en comparaison avec les femmes. Après, humainement, c’est vrai que j’évite de me mettre en colère avec les filles, je me mets en colère avec les garçons, il y a tout de suite une réaction, mais si je mets en colère contre les filles, j’ai peur qu’elles se referment sur elles-mêmes. Dans la préparation des rencontres aussi c’est plus compliqué. Chez les garçons, je suis tout le temps dans le vestiaire et donc il y a plus de contrôle en off, j’arrive à contrôler les émotions et à amener de la concentration et désamorcer des conflits. Lorsqu’on est dans le vestiaire, on arrive à parler du conflit et avec les filles, je n’ai pas cette possibilité-là, cela me pose donc un problème. S’il y a des problèmes de groupe, Je ne les vois pas, à part sur le terrain. Le vestiaire, c’est l’intimité de la famille, d’un groupe, et cela représente un manque.

Est-ce difficile pour vous de donner toutes les indications à vos joueuses en anglais ?

Oui, bien sûr, mais voilà, le sport devient international. Après c’est étonnant, chez les garçons, la langue internationale est l’italien alors que chez les filles, c’est l’anglais, il faut donc s’adapter.

Avec votre rôle d’entraîneur au RC Cannes, comment faites-vous pour observer les joueurs de l’équipe de France ?

Je vais moins les voir maintenant. Je suis tout de même allé en Italie pour en observer certains, mais cela faisait trois ans que je faisais cela, je regardais les joueurs, ils me voyaient et au bout d’un moment, ça n’apporte plus grand-chose donc c’est un peu frustrant. Je regarde les matchs en vidéo, grâce à un site on peut voir tous les matchs des championnats, italiens, polonais, turcs, et cela me permet de surveiller les joueurs même si je n’ai plus le contact humain. Je n’ai pas d’intermédiaire à cause du manque d’argent par exemple. Le calendrier de cette saison m’a cependant permis de regarder tous les matchs de l’AS Cannes à domicile et donc d’observer tous les joueurs du championnat de France, après les vidéos m’aident encore. Pour repérer un joueur, je regarde les statistiques, et ensuite je vais aller regarder le match pour approfondir sur le joueur.

Cette saison, y-a-t-il une équipe qui vous a vraiment impressionné en Pro A ? Et une joueuse ?

J’ai été impressionné par Mulhouse et Nantes, les deux équipes que l’on n’a pas réussi à battre. Après, le Cannet et Béziers jouent très bien. Du côté des joueuses, il y a Isabelle Haak à Béziers, Dala Santana à Mulhouse, et la croate Hana Cutura à Nantes.

En parlant de Nantes justement, vous restez sur six victoires consécutives, et votre dernière défaite a été concédée face aux Nantaises, votre premier adversaire en play-offs, n’y a-t-il pas une appréhension avant le match de ce samedi 8 avril?

Il y a toujours de l’appréhension, si on n’en a pas on est mort. Un coach est schizophrène, paranoïaque, un coach a peur de tout, après c’est normal, on va jouer dans une petite salle remplie, devant un public très chaud. On a perdu deux fois face à elles, elles ont de très bonnes joueuses donc il y évidement de l’appréhension.

Est-ce un regret de devoir jouer l’éventuel match d’appui face à Nantes à l’extérieur ?

Oui, mais après elles ont fait plus de points que nous. Ce qui est dommage, c’est qu’en théorie, elles doivent perdre le dernier match à Mulhouse. Elles le gagnent 3 sets à 1, et c’est vrai qu’on a fait notre part en battant Saint-Raphaël 3 sets à 2, mais elles ont gagné, c’est dommage mais c’est comme ça.

L’élimination en CEV Cup face à Lódz était-elle plus difficile à encaisser que celle en Ligue des Champions face à Modène ?

Oui, on avait vraiment la possibilité de passer, on était plus proches, on jouait bien et le match ici, on était à deux doigts de renverser les pronostics, mais on était énervés en fin de match. Maintenant, cela fait du bien de remporter les matchs au tie-break.

Le niveau de l’équipe n’a cessé de grimper cette saison, comment expliquez-vous cette évolution ?

En début de saison, on apprenait à se connaître, on avait des lacunes tactiques, techniques, des problèmes de passes, on arrivait pas à stabiliser le jeu, le rythme de travail a su amener de la sérénité et du coup, l’équipe a réussi à évoluer. Même si elle n’est pas surpuissante, on arrive à mettre en place un jeu sans faute et de patience et c’est vrai que c’est un gros travail de fond, c’est le plus dur à mettre en place.

Le club a déjà recruté deux joueuses cette saison, pensez-vous vous renforcer encore un peu plus l’été prochain ?

C’est encore très loin, on a d’abord les phases finales à jouer, en plus le mercato, c’est plutôt le rôle des managers, comme Victoria Ravva, qui regardent éventuellement en ce moment je suis obnubilé par les phases finales.

Pensez-vous vous inscrire dans la durée au poste d’entraîneur du RC Cannes ?

On fera le point à la fin de la saison… (rires)

Propos recueillis par Loris Biondi
Hugo Girard
Guillaume Truillet