L’insoutenable attaque à l’arme chimique en Syrie, le déroulé des faits #1/2

Plusieurs dizaines de personnes auraient été tuées par une attaque chimique menée à Khan Cheikhoun, ville tenue par les rebelles. Cette attaque probablement perpétrée par le gouvernement syrien a eu beaucoup de retentissement chez les chefs internationaux. Les réactions démontrent les clivages sur la « question Al-Assad » et la nécessité d’actions déterminées. 

Khan Cheikhoun (Syrie), mardi. Après l’attaque chimique qui a fait au moins 86 morts, le président français déplore qu’une coalition ne soit pas intervenue en 2013. (Crédit : AFP/OMAR HAJ KADOUR)

Mardi 4 avril. Le bilan est lourd : une centaine de personnes, dont une vingtaine enfants, ont été tuées mardi dans un bombardement aérien qui a émis du « gaz toxique » à Khan Cheikhoun, une ville du nord-ouest de la Syrie tenue par les opposants du régime et située dans la province d’Idlib, proche de la Turquie. 400 autres ont été asphyxiées, selon l’Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM). Ce bilan a été confirmé par la direction médicale de la province d’Idlib.

On ne sait pas encore qui sont les auteurs du raid aérien qui a eu lieu vers 7h mardi matin. Malgré le manque d’identification dans ce vaste chaos, la communauté internationale tend à croire que le régime de Damas est à l’origine de ces bombardements aériens. Mardi après-midi, l’organisation syrienne UOSSM (Union des organisations de secours et soins médicaux) faisait état « de 100 morts par suffocation et 400 victimes suite à plusieurs attaques chimiques massives au gaz toxique », alors que les bombardements se poursuivaient dans la région. Un bilan que l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH) établira lui, dès mercredi, à 72 morts, dont 20 enfants, faisant état de plus de 160 blessés et de «  personnes disparues  ».

L’attaque a été préméditée pour être la plus dévastatrice possible. Il y avait une volonté exterminatrice en détruisant les moyens d’aides aux victimes. « Le centre des casques blancs de Khan Cheikhoun, ainsi que l’hôpital Al-Rahme, ont été aussi touchés par une attaque chimique. On recense plus d’une quarantaine d’attaques depuis 6h30 du matin, mardi », a déclaré dans un communiqué l’UOSSM. Une vidéo tournée par des activistes montre un avion qui survole la localité et largue plusieurs projectiles avant que des colonnes de fumées s’élèvent. « Nous avons porté assistance à plus de 200 personnes en situation de détresse respiratoire à des degrés divers. Il faut dans ces cas intervenir le plus rapidement possible, ce qui a été compliqué à cause de la panique dans les rues, et décontaminer les victimes avec de l’eau, les ventiler, nettoyer les vêtements Malheureusement, les premiers secours n’étaient pas assez équipés », précisait mardi après-midi l’UOSSM à l’Agence France-Presse.

Malgré les effets dévastateurs, l’attaque ne faiblit pas. Quelques heures plus tard, un nouveau bombardement a cette fois frappé un hospice où une partie des victimes étaient prises en charge, le principal hôpital de la région avait été, lui, en partie détruit deux jours avant par des bombardements. De nombreuses photos et vidéos postées sur les réseaux sociaux par des activistes et des habitants montrent des victimes inconscientes ou en train de suffoquer et d’asphyxier alors que les secouristes tentent de leur venir en aide. Certaines sont en proie à des convulsions. Les corps d’au moins dix enfants sont alignés, protégés par un drap. Il n’y a que les détails physiques qui rendent compte de la cruauté d’une attaque au gaz neurotoxique. Le gaz, sans doute du sarin, qui peut être tiré avec des obus ou un missile, s’infiltre dans les maisons. Le but est de surprendre les gens dans leur sommeil, pour en tuer le plus grand nombre, avant même qu’ils n’aient le temps de se protéger. La suffocation, la pire des morts. Les images montrent des enfants bave aux lèvres, tentant désespérément d’attraper une bouffée d’air, avant de succomber.

« Tout le monde est horrifié et les enfants sont complètement sous le choc »

C’est ce qu’ a déclaré au Guardian un secouriste de la ville voisine de Sarmin qui a reçu quatorze victimes. « Il y a déjà eu des attaques au chlore dans le nord de la Syrie mais pas avec ce nombre de décès et des symptômes comme cela », explique l’équipe de secours. Cette attaque est la plus grave depuis celle survenue en août 2013 dans un faubourg de Damas, la Ghouta, et qui avait provoqué la mort de plus d’un millier de personnes. Pourtant à la suite de cette attaque, et sous la menace d’une intervention américaine et française, le régime Assad s’était engagé dans un processus d’élimination de ses armes chimiques. Cet arsenal était censé avoir été éliminé quelques mois plus tard mais le régime de Damas est soupçonné d’avoir dissimulé certains stocks. De plus, l’engagement de ne pas recourir à des armes chimiques a été violé à au moins deux reprises, en 2014 et 2015, selon l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques.

Sanctions contre le régime syrien

La Russie a jugé « inacceptable » en l’état le projet de résolution présenté par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni condamnant l’attaque de Khan Cheikhoun. (Crédits : SHANNON STAPLETON / REUTERS)

Mercredi 5 avril. Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni d’urgence, à New York, au lendemain de l’attaque. La France, les Etats-Unis et l’Angleterre se sont alliés pour faire voter un projet strict de résolution condamnant cette attaque et appelant à une enquête complète et rapide de l’OIAC, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques. Les rebelles, la France et le Royaume-Uni portent la faute fermement sur le régime de Bachar Al-Assad. Mais la Russie, suivie par Pékin, a jugé « inacceptable » le projet de résolution condamnant cette attaque. Un nouvel exemple des divisions enracinées entre occidentaux et le Kremlin depuis le début du conflit syrien, il y a six ans.

Ces tensions sont plus que vives. Les représentants occidentaux ont montré une grande dureté en vue de la gravité des évènements. L’ambassadeur français François Delattre a dénoncé en entrant dans la salle du Conseil « des crimes de guerre, des crimes de guerre à grande échelle, des crimes de guerre avec des armes chimiques ». Son homologue britannique, Matthew Rycroft, s’en est pris à Moscou en estimant qu’un éventuel « veto russe signifierait qu’ils [les Russes] passent plus de temps à défendre l’indéfendable ». François Hollande a réclamé des « sanctions » contre le régime de Bachar Al-Assad : « Ce que la France a exigé, c’est qu’il y ait une résolution du Conseil de sécurité dans les prochaines heures pour diligenter une enquête et, à la suite de cette enquête, il doit y avoir des sanctions qui seront prises par rapport au régime syrien. ». Dans un communiqué, le chef de l’Etat dénonce : « Comme en 2013, Bachar el-Assad compte sur la complicité de ses alliés pour bénéficier d’une impunité intolérable.« . Mais à qui François Hollande pense-t-il ? Si le chef de l’Etat socialiste ne le précise pas, on imagine qu’il a sans doute en tête les alliés internationaux de Damas, comme Moscou, ainsi que les prises de positions de plusieurs candidats à la présidentielle, comme Marine Le Pen ou François Fillon. Il ajoute :

« Aujourd’hui, ceux-là doivent savoir qu’ils sont complices d’un crime de guerre. »

Le vote a dû être repoussé à cause des clivages évidents avec le parti russe. Le représentant adjoint de Moscou, Vladimir Safronkov, a d’emblée jugé toute résolution « inutile » et dénoncé l’attitude « biaisée » et « l’obsession du Conseil de sécurité pour un changement de régime » en Syrie.

Les Etats-Unis menacent d’une action unilatérale

Nikki Haley brandit deux photos d’enfants syriens morts à cause des gaz toxiques. (Crédits : Source AFP)

La réaction surprenante des Etats-Unis démontre la gravité de la situation. Jamais le ton de l’administration Trump vis-à-vis du Kremlin n’a été aussi dur. « J’ai eu des discussions avec le président au cours desquelles il a dit qu’il voyait la Russie comme un problème », a déclaré, mercredi 5 avril, Nikki Haley, l’ambassadrice américaine auprès des Nations unies, affirmant qu’ « après la Crimée et l’Ukraine, les Russes essaient maintenant de couvrir Bachar Al-Assad, et ce sont des choses que nous n’allons pas laisser passer ».

La diplomate américaine, qui préside le Conseil de sécurité de l’ONU pour le mois d’avril, a brandi, en pleine réunion, deux photos insoutenables d’enfants tués la veille dans le bombardement dévastateur à Khan Cheikhoun. Elle a insisté sur la possibilité que Washington mène une action unilatérale, sans apporter plus de précisions, condamnant la Russie pour n’avoir pas su tempérer son allié syrien. « Quand les Nations unies échouent constamment dans leur mission d’agir collectivement, il y a des moments dans la vie des Etats où nous sommes obligés d’agir nous-mêmes », a insisté la diplomate, qui utilise de plus en plus l’arène de l’ONU comme caisse de résonance des annonces de politiques étrangères de l’administration Trump.

« Ces actes odieux du régime d’Assad ne peuvent être tolérés »

Alors que Donald Trump était en train de recevoir le roi Abdallah II de Jordanie à la Maison Blanche, le bombardement en Syrie est devenu sa priorité. Le président américain, manifestement frappé par les images du drame, a tout d’abord condamné « une attaque chimique (…) tellement horrible, en Syrie, contre des innocents, y compris des femmes, des petits enfants, et même de beaux petits bébés », jugeant que « leur mort est un affront à l’humanité ». « Ces actes odieux du régime d’Assad ne peuvent être tolérés », a ajouté M. Trump, sans en dire plus dans un premier temps, assurant que « beaucoup de lignes, au-delà de la ligne rouge », avaient été franchies avec ce raid. Il fait référence à Barack Obama, qui qualifiait de « ligne rouge » le recours à des attaques chimiques contre la population, ce qui a été avéré à plusieurs reprises depuis le début de la guerre en Syrie. Interrogé par la presse, le président est revenu sur le sujet en pointant tout d’abord la responsabilité de son prédécesseur, comme il l’avait fait dans un communiqué rendu public la veille : « L’administration Obama avait eu une occasion pour régler cette crise. ».

 

 

Parissa Javanshir