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RIG Turquie #3 : l’expression à l’épreuve de la répression
La « plus grande prison du monde pour les journalistes », comme l’a surnommée Reporters sans frontières, porte toujours aussi bien son nom. La Turquie compte 146 journalistes derrière les barreaux à ce jour. Des professionnels de l’information nous ont livré leur ressenti.
Entre procès, incarcérations et censure, l’état du journalisme en Turquie inquiète. Premier point noir : la pluralité des médias, de plus en plus menacée. Si l’on en croit Mehmet Koksal, de la Fédération européenne des journalistes, l’AKP – le parti du président – contrôle désormais près de 80 % de la sphère médiatique turque. Différents groupes de presse se partagent les médias du pays, mais la plupart appartiennent à des proches du président, Recep Tayyip Erdoğan.
Depuis le coup d’Etat manqué du 15 juillet, la répression s’accroît et garde une cible en ligne de mire : la liberté d’expression. Près d’un an plus tard, 150 médias ont fermé par décret et de nouveaux ont ouvert leurs portes sous l’égide de quelques amis du président de la République. Selon le député Bais Yarkradas, cité par Le Monde, 3000 journalistes ont également perdu leur emploi et des centaines d’autres sont toujours derrière les barreaux. Les motifs invoqués ? Offense au président de la République pour certains, propagande terroriste pour d’autres, tous les chefs d’accusation sont bons.
Pourtant, pour le propriétaire d’un pure player local, il est possible de s’exprimer librement en Turquie. Seulement, il y a deux sujets tabous : la guérilla kurde et le réseau de Fethullah Gülen, un prédicateur actuellement exilé aux Etats-Unis. Il possédait de nombreux groupes de presse et universités en Turquie mais depuis la tentative de coup d’Etat dont il est accusé d’être l’instigateur, il fait l’objet d’un mandat d’arrêt. Pour la presse locale, il est donc délicat d’aborder le sujet sans risquer de lourdes peines.
« A part de ces deux sujets, on peut parler de tout, poursuit le propriétaire d’édition. On bénéficie d’une bonne information en Turquie, à part peut-être à la télévision »
Selon lui, le web, les réseaux sociaux et les journaux d’opposition offrent une grande diversité d’information. Pourtant, cette version est contestable pour Nicolas Cheviron, correspondant de presse pour Mediapart. Tantôt en freelance, tantôt pour l’Agence France Presse, ce journaliste travaille en Turquie depuis près de vingt ans et pour lui, il existe de nombreux autres sujets sensibles.
Malgré tout, cette répression a des conséquences, parmi elles, l’autocensure d’un grand nombre de journalistes. « Il faut faire attention à la manière dont on dit les choses sur tous les sujets car l’administration est imprévisible » déplore un ancien journaliste qui souhaite garder l’anonymat. Une mauvaise interprétation de la part du gouvernement peut avoir de graves conséquences, les textes de loi étant très évasifs. De quoi effrayer les journalistes turcs comme étrangers.
Des journalistes étrangers aux droits limités
De nombreux correspondants de presse étrangers ont déjà rencontré des problèmes avec les autorités turques. C’est notamment le cas de Olivier Bertrand, journaliste pour le pure player Les Jours, qui a passé trois jours en prison pour avoir effectué un reportage à Gaziantep. “Ces journalistes savent ce qu’ils font, poursuit le propriétaire d’un média local. Ils sont au courant qu’il faut des autorisations spéciales pour accéder à certaines zones, ce n’est pas surprenant”.
Malgré tout, les autorités sont devenues de plus en plus répressives depuis le coup d’Etat manqué. Les correspondants étrangers sont vus comme “des espions” selon les termes de Nicolas Cheviron. De plus en plus de ces journalistes sont expulsés et les autorités ralentissent certaines procédures comme l’obtention de la carte de presse pour limiter le nombre de correspondants sur place. Nous avons rencontré un reporter pour un site web français exerçant en Turquie depuis plus de deux ans. Il explique les risques encourus par les correspondants étrangers dans le pays.
Maïlys Belliot
Margot Desmas