RIG Turquie #6 : le quasi-monopole de l’Etat sur les médias

Le pouvoir turc tente d’avoir la mainmise sur la totalité des médias. Depuis 2002, l’AKP développe plusieurs stratégies pour contrer l’opposition. Buzzles dresse l’état des lieux des médias turcs.

D’après Aurélien Denizeau, assistant recherche au programme Turquie/Moyen-Orient de l’IFRI (Institut français des relations internationales) « l’Etat détient aujourd’hui près de 80% de la sphère médiatique turque ». Le gouvernement adopte une attitude d’absorption de la presse et des médias turcs afin de reprendre son influence sur ces derniers. Cela peut passer par le rachat pur et simple de titres de presse (comme dans le cas du journal Sabah en 2007, qui a été racheté par le gendre d’Erdogan). Ceci démontre la volonté de constituer un véritable bloc médiatique entre les mains du gouvernement ou d’hommes d’affaires proches du pouvoir d’Erdogan. 

L’Etat a recours à l’intimidation fiscale, mettant régulièrement les médias en difficulté financière. Ce fut notamment le cas du grand groupe Dogan, qui est plutôt d’obédience laïque et à qui appartient le journal Hürriyet. Craignant des redressements fiscaux, les médias concernés réduisent l’intensité de leurs attaques envers le gouvernement et la remise en cause du pouvoir en place. Un moyen efficace de tempérer les médias les plus hostiles.

Le pouvoir en place joue aussi sur la collusion d’intérêts des propriétaires des grands médias, qui sont, à l’instar de la France, de grands industriels qui ne travaillent pas uniquement dans le secteur des médias, mais aussi dans le BTP. Le poids du gouvernement dans l’attribution de grands chantiers et de marchés publics est primordial, et c’est en ce sens que les patrons des médias qui ne sont pas directement dans les mains du gouvernement, sont assez réticents en ce qui concerne la critique du gouvernement par leurs journalistes.

Enfin, la justice est également utilisée pour contrer les médias de l’opposition (kémalistes, gülenistes, kurdes) qui sont régulièrement attaqués en procès. Des procès jugés abusifs par plusieurs ONG. Le vendredi 4 mars 2016, le gouvernement turc met sous tutelle le journal Zaman, principal média güleniste en Turquie. Les journalistes sont remplacés, il affiche désormais une ligne pro-pouvoir en place.

Un paysage médiatique au pluralisme limité

La sphère médiatique s’articule autour de grands groupes, la plupart affiliés au gouvernement. Au cours de ses 14 années au pouvoir, l’AKP a renforcé son emprise sur les médias, notamment par la création de nouveaux organes. Le journal Turkuvaz fait partie du grand conglomérat Çalık Holding (lien) dont le patron, Ahmet Çalık, est un proche de Recep Tayyip Erdoğan. Dogüs, de son côté, appartient à Ferit Şahenk, ami personnel du président Erdoğan. Enfin, Albayrac Holding détient le journal Yeni Safak, très conservateur, assez en accord avec l’idéologie du pouvoir en place. Le groupe Dögan est quant à lui traditionnellement vu comme indépendant du pouvoir. Du nom de Aydin Dögan, il possède le quotidien Hürriyet, « la liberté » tiré à plus de 500 000 exemplaires.

Voici un aperçu des 10 journaux les plus vendus (nombre d’exemplaires)  : 

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Du côté de l’audiovisuel, il existe trois chaînes de télévision nationales, TV1, TV2 et TV3, qui dépendent de la TRT, la radio-télévision publique de Turquie. Celles-ci sont, depuis le début des années 1990, concurrencées par une vingtaine de chaînes privées nationales et par plusieurs chaînes locales. Le local, c’est ce qui intéresse le plus le public turc. Pour Adnan Al-daher, présentateur et reporter à AlarabyTV ” les Turcs n’accordent pas trop d’importance à l’actualité internationale. Les médias se concentrent sur les problématiques locales, 90% de l’information est dédiée au local”. Les principales chaînes privées sont ATV, CNN-Türk (détenue par le groupe Dögan), Avrasya ou encore Med-TV, une chaîne kurde. Les émissions, préparées à l’étranger, sont retransmises par satellite via Eutelsat. Malgré les tentatives du gouvernement pour stopper sa diffusion dans bien des régions de Turquie, Med-TV est plus regardée que les chaînes nationales.

L’immense majorité des radios, enfin, à l’instar de Radyo 1, TRT FM, ou encore TRT Türkü appartiennent au groupe public TRT, les radios privées se consacrant essentiellement à une programmation musicale.

Le paysage audiovisuel turc appartient donc dans sa quasi-totalité au pouvoir en place. Les journaux indépendants restent peu nombreux et doivent se plier aux exigences du gouvernement sous peine d’être poursuivis en justice ou de disparaître. L’opposition va devoir redoubler d’efforts pour se faire entendre. Comme souvent, c’est sur internet que cette opposition se structure (lien post suivant).

Maïlis Rey-Bethbeder