RIG Turquie [DOSSIER] : le journalisme sous contrôle

Reporters sans Frontières place la Turquie en 151e position au classement mondial de la liberté de la presse en 2016.

Les dérives autoritaires et les arrestations arbitraires (146 journalistes sont encore en prison d’après le site Turkey Purge, média créé par un groupe de jeunes journalistes turcs dans le but « d’être la voix du peuple qui souffre de l’oppression du régime »), la censure et l’auto-censure limitent le journalisme d’opposition. De plus, d’après Aurélien Denizeau, assistant recherche au programme Turquie/Moyen-Orient de l’IFRI (Institut français des relations internationales) « l’Etat détient près de 80% de la sphère médiatique turque ».

Les journaux sont soumis à une concentration économique importante, dans une logique d’absorption des médias critiques par des grands groupes plus complaisants avec le pouvoir ou lui appartenant directement. L’Etat a recours à l’intimidation fiscale, mettant régulièrement les médias en difficulté financière (ce fut le cas du grand groupe Dogan, qui est plutôt d’obédience laïque et à qui appartient le journal Hürriyet). Craignant des redressements fiscaux, les médias concernés réduisent l’intensité de leurs attaques envers le gouvernement et la remise en cause du pouvoir en place. Un moyen efficace de tempérer les médias les plus hostiles.
Le vendredi 4 mars 2016, le gouvernement turc met sous tutelle le journal Zaman, principal média güleniste en Turquie. Les journalistes sont remplacés, il affiche désormais une ligne pro-pouvoir en place.

La loi turque garantit pourtant la liberté d’expression. Mais cette liberté reste très encadrée par le gouvernement. Suite à la tentative de putsch du 16 juillet 2016 survenue à Ankara et Istanbul, l’AKP, le parti du président Erdogan, organise une forte répression dans tout le pays, qui s’apparente à une véritable purge politique. Des universitaires et des intellectuels sont arrêtés, des journalistes licenciés du jour au lendemain ou obligés de cesser leur activité. La possibilité de s’exprimer librement et de s’opposer au gouvernement en place semble se réduire. Assurées en théorie par la Constitution, ces libertés de la presse et d’expression sont contournées par le code pénal turc. En application depuis 2005, l’article 301 établit que « le dénigrement public de la nation turque, de l’Etat de la République Turque ou de la Grande Assemblée Nationale Turque et des institutions juridiques de l’Etat sera puni de six mois à deux ans d’emprisonnement. Le dénigrement de l’armée et des organisations de police de l’Etat recevra la même peine. »
Ces libertés fondamentales déjà limitées pourraient être mises à mal par le référendum du 16 avril, proposé par Erdogan. En effet ce référendum entend notamment réformer la justice : le président et le Parlement interviendront directement dans la nomination de membres du Haut-Conseil des juges et procureurs (HSYK), chargé de nommer et de destituer les magistrats.

Une des valeurs cardinales du journalisme est le pluralisme : les médias doivent refléter la diversité des opinions, sur tous les sujets. Mais en Turquie certains thèmes sont très rarement abordés, par crainte d’une sanction du gouvernement. C’est le cas de la minorité kurde et de ses revendications, de l’islam politique, de l’opposant Fethullah Gülen supposément en lien avec la faction putschiste de l’armée ou encore de la corruption des élites politiques .

C’est dans ce contexte que la rédaction de Buzzles s’est penchée sur la pratique du journalisme en Turquie. Comment et par qui la pratique du journalisme est-elle encadrée ? Comment sont traités les journalistes ? Quels sujets sont censurés ? Voilà les questions de départ qui ont motivé notre enquête, questions rapidement rejointes par d’autres :

– Depuis la tentative de coup d’Etat, le 15 juillet, le gouvernement turc mène une purge spectaculaire. On recense des millions de licenciement et des centaines d’arrestations. Les universitaires et les journalistes, garants de la démocratie et de l’éducation, sont des cibles privilégiées du pouvoir.

– La « plus grande prison du monde pour les journalistes », comme l’a surnommée Reporters sans frontières, porte toujours aussi bien son nom. La Turquie compte 146 journalistes derrière les barreaux à ce jour. Des professionnels de l’information nous ont livré leur ressenti.

La laïcité en Turquie est un principe controversé. Alors qu’il devrait permettre à chacun d’exprimer ses convictions,  il semble plutôt empêcher les musulmans de vivre leur culte librement. Depuis que Recep Tayyip Erdogan est au pouvoir, l’Islam s’impose à nouveau  progressivement dans la société. Mal vu pour ceux qui défendent les valeurs européennes, bien vu pour les citoyens turcs qui se sentent enfin libres de renouer avec leur culture.

– Minorité tantôt bafouée, tantôt séduite par le président Erdogan, les Kurdes restent en marge de la société turque. A l’approche du référendum sur le renforcement des pouvoirs présidentiels du 16 avril prochain, leur vote risque d’être décisif. Retour sur les tribulations d’un peuple incompris.

– Les médias turcs disposent de peu d’autonomie, le pouvoir en place n’hésitant pas à les censurer si leur ligne éditoriale lui déplaît. Etat des lieux du paysage audiovisuel turc, où le pluralisme journalistique reste limité par le gouvernement.

– La télévision reste le média de prédilection des Turcs, mais les journaux d’opposition se développent en grande majorité sur le web et rencontrent un succès croissant.

La rédaction