RIG RUSSIE #3 – Journaliste en Russie, un métier à haut risque

Depuis les années 90, l’association Reporters sans frontières a fait les comptes : une vingtaine de journalistes ont été tués dans l’exercice de leur fonction en Russie. Si depuis quelques années, la tendance s’est un peu calmée, les pressions exercées sur les journalistes n’ont, elles, pas changé.

S’autocensurer pour ne pas être intimidé. C’est le quotidien de beaucoup de journalistes russes. Chaque mot, chaque phrase sont pesés pour ne pas prendre de risques. « Les journalistes savent très bien qu’il y a des thèmes qu’il ne faut pas aborder », confirme Anne Nerdrum, coordinatrice de la région Russie à Amnesty International. Parmi les sujets sensibles figurent la corruption, les arrestations d’opposants et les nouvelles lois de répression sur la liberté d’expression. Les articles et reportages pour critiquer le gouvernement ou les autorités en place sont aussi vivement déconseillés. Le conflit en Ukraine est une autre thématique à prendre avec des pincettes. « Si vous commencez à dire la vérité sur ce qu’il se passe là-bas, votre compte est bon. », souligne Anne Nerdrum.

La situation concernant la liberté de la presse en Russie fait froid dans le dos. Pour autant, certains journalistes refusent de se conformer et enquêtent sur l’interdit. Trois femmes journalistes ont même été jusqu’à démissionner, certaines en direct, de la chaîne RT America financée par le Kremlin. Liz Wahl, Abby Martin et Sara Firth ne supportaient plus la censure et les mensonges des journalistes sur le conflit ukainien. Tous les professionnels des médias russes ne sont donc pas tous serviles. La résistance existe, mais à quel prix ? 

Des passages à tabac et des perquisitions

Pour connaître plus en détail les pressions dont les journalistes sont victimes, il était intéressant de contacter plusieurs journalistes indépendants. Aucun d’entre eux n’a donné suite. Même certaines associations, comme Amnesty International, restent prudentes. « Je ne me risquerai pas de demander à des gens de vous répondre. Tout ça est risqué », confie Anne Nerdrum.

Une journaliste indépendante a tout de même accepté de nous répondre. Yulia Berezovskaya est directrice du média en ligne Grani. Elle confirme que les menaces sont fréquentes dans l’activité professionnelle des journalistes. « Le harcèlement des journalistes n’est pas que juridique. Il y a beaucoup de pressions. Les gens sont attaqués physiquement. Ils sont parfois assassinés. » Le 28 février 2017, la journaliste d’opposition Zoïa Svetova a été perquisitionnée à son domicile. La police a justifié son action. Pour les autorités, la journaliste serait impliquée dans une affaire de blanchiment d’argent. Zoïa Svetova s’est tout de suite défendue devant les médias. « Ils veulent me coller une affaire parce que j’écris sur des thèmes sensibles ». Anne Nerdrum juge cette perquisition extrêmement inquiétante. «C’était une mesure d’intimidation. Pour l’instant, ils ne l’ont pas arrêté, mais ils ont voulu lui faire très peur ».

Autre exemple avec deux journalistes de la Radio Svoboda (radio liberté en français). Au mois de mars, ils ont interviewé des agriculteurs qui préparaient une marche contre la corruption dans le sud-ouest du pays. « L’un a été envoyé à l’hôpital. L’autre a été arrêté par la police. Pour se retrouver à l’hôpital, il faut quand même que ce soit assez grave, s’alarme la coordinatrice de l’ONG, les pressions, c’est sans arrêt ». 

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Moins de journalistes assassinés, plus de prudence

Si les menaces des autorités ont augmenté depuis le conflit en Ukraine, les assassinats de journalistes russes, très nombreux dans les années 2000, ont eux diminué. Il est difficile de savoir combien de journalistes ont été tués depuis le début des années 90. « Amnesty n’a pas forcément les mêmes chiffres que les autres associations », avoue Anne Nerdrum. L’ONG compte une vingtaine de journalistes assassinés en Russie. Même constat pour Reporter Sans Frontières. Quant au Comité pour la Protection des journalistes, il dénombre 56 assassinats. Comment expliquer ces écart? « Il faut savoir si les journalistes ont vraiment été assassinés dans l’exercice de leur fonction ou non. C’est très difficile à déterminer », précise la spécialiste d’Amnesty International. Une notion en effet subjective puisque la justice russe n’a souvent pas réussi à résoudre ces affaires criminelles. Sur Internet, certains sites parlent même de 316 journalistes tués en Russie. « Où avez-vous trouvé ces chiffres ? » s’étonne Anne Nerdrum, « ce n’est pas fiable du tout ». Depuis 2015, aucun journaliste n’a été tué dans le pays.

Moins d’assassinats ne veut pas dire plus de liberté pour les journalistes. Les médias ont appris à être prudents, comme le journal Novosti gazeta, où travaillait Anna Politkovskaïa, célèbre journaliste indépendante assassinée en 2009. « Le directeur dit qu’ils font attention à ce qu’ils écrivent parce qu’il y a déjà eu 5 journalistes de Novosti gazeta assassinés », justifie Anne Nerdrum.

Pour éviter cette forme d’autocensure, la solution est parfois de fuir. C’est ce qu’a fait Yulia Berezovskaya, fondatrice du site Grani. « Je suis partie pour pouvoir continuer mon projet, avec du soutien international ». La journaliste vit maintenant en France où elle continue d’enquêter sur la Russie. Mais l’angoisse est toujours là. « À Moscou, il y a plus de risques d’être arrêté et accusé. En ce moment à Paris, je ne suis pas en sécurité. On est jamais en sécurité. » Quand on demande à Yulia Berezovskaya si elle craint pour sa vie, elle ne se fait pas vraiment d’illusion. « Est-ce que nous avons peur des représailles du FLB [service secret chargé de la sécurité] ? On préfère ne pas y penser. Mais on sait bien que le FLB a déjà tué des ennemis du régime à l’étranger ».

Laure Le Fur