
Étiquettes
RIG RUSSIE #4 – Le combat de Grani.ru pour l’information
Grani.ru est un média en ligne produit entre la France et la Russie. Il subit de nombreuses pressions du gouvernement russe mais continue à diffuser une information indépendante. Retour sur ce média cité en exemple par de nombreux journalistes russes.
« La logique des évènements nous a fait devenir un des derniers médias qui résiste encore à la pression du gouvernement ». Yulia Berezovskaya, journaliste russe et fondatrice de Grani.ru, sait de quoi elle parle.
En 2000, avec quelques collègues, elle décide de créer le média Grani.ru, qui signifie « le lien » dans la langue de Nabokov. Elle se souvient « On était à une époque où il y avait beaucoup de projets de médias en ligne. Mais on n’avait aucune illusion par rapport à Poutine, l’homme du KGB. »
La ligne éditoriale de Grani.ru est simple : garantir l’indépendance informationnelle « Nous n’avons rien à perdre. Par rapport aux grandes questions de la vie politique russe, Grani a toujours été très concerné. Que ce soit la guerre en Tchétchénie, les répressions face à la société civile, on a toujours voulu informer sur ce qui se passe » commente Yulia.
Des menaces au blocage
Mais cela n’est pas du goût du Roskomnadzor, l’organisme « chargé de la supervision des médias » (selon le site gouvernemental). Ce dernier veille au moindre « écart » médiatique et peut, par exemple, autoriser des perquisitions dans des médias, menacer, voire emprisonner des journalistes.
À l’aube de 2014, pour Grani.ru, les menaces sont telles que la rédaction quitte ses locaux Moscovites « C’était dangereux, car il y avait des fouilles dans les médias indépendants. Nous risquions beaucoup. Nous avons préféré travailler à domicile. C’est l’avantage d’avoir des journalistes propriétaires de leur média », se souvient Yulia, qui est depuis installée en France.
Nikolaï Rudensky, rédacteur en chef-adjoint de Grani.ru resté à Moscou, ajoute « Nous avions aussi des annonceurs qui nous versaient des revenus publicitaires, mais avec le blocage en 2014 du site, ils ont radicalement baissé. En février 2014, l’audience était de 1 million et demi d’utilisateurs uniques. Au mois de mars, nous aurions pu dépasser 2 millions d’utilisateurs uniques, mais nous avons été bloqués le 13 mars ».

La popularité de Grani.ru depuis décembre 2013 jusqu’en décembre 2014. Elle a commencé à croître en février et un pic a été atteint avant le blocage du site le 13 mars 2014. (Crédit : Capture d’écran)
Le site a été bloqué pour avoir parlé de la situation en Crimée comme d’une « annexion » et critiqué le gouvernement. La loi Lougovoï autorise le blocage de sites Internet « appelant à prendre part à des manifestations non autorisées assimilés à des publications extrémistes ».

Sur ce document issu du Roskomnadzor, il est inscrit : « Le tribunal du district de Moscou a rejeté le déblocage du site « Grani.ru » à la demande du rédacteur en chef (…) et met ainsi fin à la procédure d’appel ». (Crédit : Grani.ru)
Combattre la censure
Pour contrer cette censure, Grani.ru établit des sites miroirs. Depuis son blocage, plus de 900 sites miroirs affiliés à Grani.ru ont été mis hors service par le gouvernement « Mais nous avons réussi à créer un site miroir chez Google qui ne peut être bloqué », note Yulia.
Pour continuer à travailler en Russie malgré l’interdiction, les membres de la rédaction produisent l’information de leurs appartements personnels « Nous pouvons être rappelés à l’ordre pour des articles que l’on écrit, des photos que l’on publie, mais cela ne nous atteint pas. Ce que l’on veut faire avant tout, c’est de l’information », assure Nikolaï.
En janvier 2015, lors de la publication de la Une de Charlie Hebdo du « numéro des survivants », l’équipe de Grani.ru a eu quelques démêlés avec la justice, comme le raconte Yulia dans cet extrait audio.
Malgré la baisse d’audience de leur média, l’équipe peut compter sur l’engagement de ses journalistes. Ainsi, quand on lui pose la question sur le futur de Grani.ru, le rédacteur en chef-adjoint conclut « Nous voulons nous battre contre la censure. L’indépendance est notre ligne directive depuis le début, espérons que dans le futur, nous aurons toujours la force de continuer ».
Zapretno.info : « INTERDIT EN RUSSIE »
Sur la page d’accueil de Zapretno.info, ce slogan provocateur apparaît. Décrit comme « site contre la censure » sur sa page Facebook, il est disponible en quatre langues (russe, français, anglais et espagnol). Ce média, au ton offensif, n’hésite pas à dénoncer les positions gouvernementales. Il est animé par une équipe de journalistes, dont l’identité n’est pas connue. Il est emblématique de la lutte pour la liberté de l’information.
Zapretno.info héberge des textes, des articles, des poèmes, des images réalisées par des blogueurs russes ou ukrainiens. Il dispose d’une visibilité limitée, car « ceux qui s’intéressent à des sujets comme la Crimée risquent des poursuites et des peines très lourdes », commente sa dirigeante. Elle poursuit « Les gens en Russie peuvent hésiter à partager ce genre de contenus de peur de représailles ».
Thomas Woloch