RIG Pologne #2/5 : Face à la répression croissante de l’information

Dès l’arrivée du parti d’extrême droite Droit et Justice au pouvoir, le gouvernement a cherché à museler la presse. En décembre 2016, une nouvelle loi  confie au ministre du Trésor la nomination et la révocation des dirigeants des médias publics. Désormais, c’est l’indépendance des médias privés qui est menacée. 

« Depuis la chute du communisme il n’y a jamais eu autant de purge dans les médias publics », relève Jakub Iwaniuk, correspondant du journal Le Monde en Pologne. Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement mené par le PiS (parti Droit et Justice) a affirmé son emprise sur les médias publics. Au total, près de 250 journalistes ont été licenciés de la télévision et de la radio publique, ainsi que de l’agence de presse PAP. Remplacés par des journalistes provenant de médias très conservateurs, la ligne éditoriale a profondément été modifiée.

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Jakub Iwaniuk (Cannes, 2017)

C’est toute la structuration du pôle des médias nationaux qui a été revue par le gouvernement. « Sur la base de création de cette nouvelle structure ils ont licencié tout le monde et ils ont réembauché au cas par cas, par vérification. C’était assez violent. » Une procédure légale qui n’a pas soulevé une indignation massive de la communauté journalistique. « Le résultat, c’est que la qualité en a pris un sacré coup. La télévision est devenue une caricature de propagande, la radio est devenue, la qualité a énormément baissée. »

« Même si les médias publics ont toujours été très politisés, un équilibre était préservé ».

Désormais, les « médias publics » sont devenus « les médias nationaux » (media narodowe), une note très souverainiste selon le correspondant français. À la tête de ce nouveau pôle, un politique du PiS, spin doctor, ayant contribué à leur victoire électorale du parti.  « Ils mettent un politique propagandiste à la tête du pôle média national. De grands noms de la radio et de la télévision sont partis, licenciés ou sur départ volontaire. Les médias publics sont devenus un tube de propagande extrêmement grossier. »

Un exemple probant lors du sommet de l’OTAN en juillet 2016 à Varsovie. Lors d’un discours, le président des États-Unis Barack Obama a émis ses inquiétudes quant à l’état de la démocratie polonaise. A la télévision publique cette partie du discours est censurée. Seul le passage sur la « grande tradition démocratique » de la Pologne est retenu.

« Il est plus facile de dire la vérité dans le privé »

Selon une journaliste de la télévision publique (TVP), la presse libre n’existe pas dans le pays. « Toutes les stations de télévisions, radios, magazines représentent les intérêts de ceux qui les possèdent. Mais bien sûr il est plus facile de dire la vérité dans les stations privées où vous n’avez pas d’intérêts politiques ». Le constat est sans appel. Dans le service public, contrôlé par le gouvernement, « c’est impossible. Et cela ne dépend pas du parti au pouvoir. » « Mais aujourd’hui la situation est vraiment difficile parce qu’à chaque niveau vous avez un contrôle politique et quand vous ne voulez pas faire ce qu’ils veulent que vous fassiez, vous pouvez perdre votre travail. »

Ce changement de ligne éditoriale a éloigné de nombreux téléspectateurs des médias publics. En 2016, le journal télévisé de la TVP1 (première chaîne publique) a perdu 16 % d’audience, son pire score historique. « Les informations s’adressent à l’électorat dur du PiS, et cet électorat représente à peine 20% », explique Jakub Iwaniuk. A l’opposé, les médias indépendants du privé ont vu leur audience augmenter. La majorité de ceux ci sont dans l’opposition, tels que la Gazieta Wybrocza, newsweek, ou Polityka.

La « repolonisation » des médias en vue

Si les médias de la sphère privée ont pu conserver leur indépendance,  ils n’ont pourtant pas été totalement épargnés : « Le gouvernement, à l’aide des entreprises à capitaux publics, fait pression sur les médias privés. Déjà, en enlevant les recettes publicitaires,  et en essayant de racheter un certain nombre de médias appartenant à des capitaux étrangers. » Cette logique, c’est celle d’une « repolonisation », qui vise l’industrie en général, et les médias en particulier. Une loi devrait être proposée devant le Parlement d’ici l’été par le ministère de la Culture. Le but ? Que les médias redeviennent la propriété de la Pologne. « Ce n’est pas seulement une question de patriotisme économique, mais de mainmise sur les médias », insiste le correspondant du Monde. Car, selon le gouvernement, les journalistes qui travaillent pour des médias dépendants de capitaux étrangers ne peuvent être objectifs. Cette loi devrait imposer un seuil limitant la participation des investisseurs étrangers au capital des entreprises de presse privées . Au-dessus de ce seuil, les parts devraient être revendues à des investisseurs polonais … « Le PiS a fait des purges dans les entreprises publiques… Ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne placent leurs hommes là-bas [dans le privé] ».

Depuis son arrivée, le parti Droit et Justice (PiS) renforce progressivement son emprise sur les médias comme sur la justice. Les mâchoires économiques et juridiques de la tenaille de l’exécutif plutôt habilement pilotée par le PiS se referment sur les entreprises de presse. Et puisqu’il ne s’agit que de repoloniser la Pologne, les journalistes n’ont qu’à bien se tenir (conformément aux attendus du pouvoir).

Mariette Guinet

Etat des lieux du paysage audiovisuel polonais. Cliquer sur l’image pour l’intéractivité. (Maxime Gil)