Mariage forcé : Le cauchemar des jeunes filles

A l’occasion de la journée internationale des filles, Buzzles fait le constat de la réalité des mariages forcés. Selon les estimations de l’ONU, 700 millions de femmes et 150 millions d’hommes mariés dans le monde le sont suite à un mariage forcé ayant eu lieu avant leur majorité.

Le mariage forcé désigne l’union  de deux personnes contre leur volonté. Il est à dissocier des mariages arrangés où les deux mariés ont l’occasion d’émettre un refus. Considéré comme une atteinte aux droits de l’homme par l’Organisation des Nations Unies, le mariage forcé est très présent au Bangladesh, en Inde, au Pakistan, au Népal et en Afghanistan. Ces cinq  pays concentrent la moitié des mariages forcés au monde. Au Bangladesh, 29 % des filles subissent un mariage forcé avant l’âge de 5 ans, alors que la loi interdit toute union avant 18 ans. Pourtant, dans ce pays, 73% des filles sont mariées avant cet âge. Dans les cinq pays où le mariage précoce est le plus répandu (Niger, Centrafrique, Guinée, Tchad, Bangladesh), plus de 60 % des femmes ont été mariées avant leur majorité. A ces statistiques alarmantes, Yvan Savy, directeur de l’organisation Plan International France rappelle que 144 pays sur 193 n’ont aucune loi qui entrave le mariage des enfants. Car qui dit mariage forcé dit mariage infantile. Dans certains pays, le mariage forcé va de pair avec l’enlèvement de la conjointe. Par exemple au Kirghizistan, on pratique l’Ala Kachuu. Les jeunes hommes capturent une femme par la force. Ils l’emmènent ensuite dans sa future belle-famille. Gardée en captivité, sa seule issue est d’accepter de se marier avec son kidnappeur. La séquestration se conclut par le revêtement du voile de mariée. Si la femme arrive à s’enfuir et à retourner chez elle, sa propre famille peut tenter de la persuader d’accepter le mariage. Bien que la pratique soit illégale, elle n’est pas réprimée.

Ala Kachuu

Farida, une étudiante de 20 ans (en rose) se fait enlever par Tyhchtykbek, un homme de 26 ans, de force dans sa voiture. Elle hurle qu’elle ne veut pas se marier. Elle a rencontré seulement 2 fois son futur époux. Crédits : Noriko Hayashi/Panos

La tradition au cœur du mariage forcé

Les motivations qui poussent les parents à marier de force leurs filles sont nombreuses. Souvent, il s’agit d’une raison économique : marier tôt sa fille permet à la famille de se « libérer » d’une bouche en trop à nourrir. Les filles sont considérées comme un poids, ce qui est lié au statut de la femme dans les pays pratiquant le mariage forcé : celle-ci est vue comme inférieure à l’homme et son bien-être n’est donc pas une priorité pour sa famille. La tradition joue également un rôle important. Grâce au mariage, la jeune fille honore sa famille, et accomplit son devoir de faire des enfants et de tenir la maison. Il s’agit aussi pour les parents de « préserver » la virginité de leurs filles : en les mariant tôt, ils les empêchent d’avoir des relations sexuelles hors-union par la suite et de tomber enceintes, ce qui pourrait compromettre d’éventuels futurs mariages.

« Je me sens trop jeune pour être mère »

Les conséquences sur les jeunes filles peuvent être très graves. Après un mariage forcé, les filles risquent de subir abus et violences sexuelles de la part du mari. Les grossesses précoces présentent aussi un risque pour leur santé, et sont la première cause de mortalité chez les 15-19 ans. Au niveau psychologique, certaines sont traumatisées, parfois à vie. Car le mariage signifie bien souvent procréation pour des jeunes filles qui ne sont pas encore devenues des femmes. Dans un rapport sur les mariages forcés de jeunes syriennes, rédigé par l’ONG anglaise Save the Children qui défend les droits de l’enfant à travers le monde, une jeune fille témoigne de ce sentiment : « Je me suis mariée quand j’avais 15 ans. J’ai 19 ans maintenant et j’ai un bébé de neuf mois. L’accouchement fût laborieux. Je me sens toujours trop jeune pour être mère. ». En se mariant, la jeune fille est également coupée brutalement de tout lien avec sa famille et avec ses amis, alors même qu’elle n’est pas rentrée dans l’âge adulte. Tous ces changements peuvent parfois mener les filles à la dépression, voire au suicide.

Mariage forcé grossesse

Guatemala. Aracely, 15 ans, et son fils. Aracely fait partie des 500 000 jeunes filles guatémaltèques mariées et mères avant même d’être adultes. Crédits : Stephanie Sinclair

Le mariage forcé affecte aussi l’éducation des filles, car il signifie l’arrêt des études pour celles-ci. Une fois mariées, les filles se doivent de s’occuper de la maison. Reem, une jeune fille syrienne de 15 ans, témoigne : « Je suis triste quand je vois les filles de mon quartier aller à l’école. C’est encore plus dur quand je vois une femme devenir médecin ou avocat, j’ai l’impression d’avoir loupé quelque chose. »

L’Europe est le continent le plus épargné par la pratique du mariage forcé. Au sein de l’Union Européenne, la majorité des pays fixe l’âge légal de mariage à 18 ans. Il faut rappeler qu’en France, il était encore possible de se marier à l’âge de 15 ans jusqu’en 2005. D’après le GAMS (Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles, des Mariages Forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants), le nombre d’adolescentes de 10 à 18 ans potentiellement menacées par un mariage forcé est évalué à 70 000 en France.  Au Royaume-Uni, des adolescentes musulmanes ont été mariées de force via Internet avec des hommes localisés à l’étranger. Les unions ont eu lieu via l’application Skype, à leur insu. C’est seulement après la lecture d’un livre que l’une des adolescentes, âgée de 11 ans, a réalisé que l’appel était un acte de mariage. Une pratique de plus en plus courante. Aneeta Prem, fondatrice de l’association Freedom développait la situation dans le quotidien The Times of India : « Les jeunes filles seront mises ensuite dans un avion pour rejoindre leur époux et, une fois enceintes pour faire paraître l’union plus légitime, elles subiront une énorme pression afin d’obtenir un visa pour que leur époux puisse gagner le Royaume-Uni. ».

Sensibilisation et parrainage

Sur Internet, la mobilisation contre le mariage forcé est forte. Le site mariageforce.fr  se veut ainsi un outil d’information et de prévention, à destination des jeunes filles. Il propose notamment des numéros auxquels s’adresser, comme celui du Planning familial. Il répertorie également des témoignages de jeunes filles qui ont subi un mariage forcé. Amel 18 ans, raconte : « On est parti pour les vacances et là, mon père m’a dit : il faut que tu te maries. ».

La lutte contre le mariage forcé se fait aussi par le biais de vidéos de sensibilisation. En 2015, l’actrice belge Marie Gillain joue dans un court-métrage d’une minute, qui met en scène le mariage de sa propre fille âgée de 11 ans à l’époque. Réalisé pour l’ONG Plan International Belgique dans le cadre d’une campagne de dénonciation des mariages d’enfants, le spot montre la jeune fille enfilant avec l’aide de sa mère une robe de mariée. « Peu à peu, le regard de Marie se fait plus grave. Quand elle quitte la chambre, elle ferme symboliquement la porte sur l’enfance de sa fille, qui ne rit plus. Soudain les mains qui retirent le voile de la petite ne sont plus les mains douces et rassurantes de sa maman, mais celles d’un homme, son mari, qui s’apprête à consommer les noces », explique la fondation.

Connue pour son engagement et son combat pour la défense des droits des filles, L’ONG Plan International propose également de parrainer des filles au moyen de dons : le parrain peut choisir de donner 28€, 33€ ou 40€ à sa filleule qui permettront de lui faciliter l’accès à l’eau, la nourriture, l’éducation et l’information.

Grâce à ces moyens de lutte, la pratique du mariage forcé recule peu à peu partout dans le monde.  Aujourd’hui, une jeune femme sur quatre s’est mariée avant 18 ans, contre une sur trois en 1980. Quant à la proportion des mariages avant 15 ans, elle est tombée de 12 à 8 % sur la même période.

Roberto Garçon
Annabelle Georges