Dans l’assiette des étudiants

Difficile d’être étudiant et de bien manger… Entre les diverses dépenses, le budget de plus en plus restreint et l’entrée parfois maladroite dans la vie d’adulte, il faut faire preuve de débrouillardise pour remplir son assiette.

Les étudiants ont faim, le constat est frappant. Entre une bourse de l’Etat pas toujours adaptée, le loyer et dernièrement une baisse controversée des APL de 5 euros par Emmanuel Macron … difficile de boucler les fins de moins. Conséquence : c’est le budget alimentation qui en pâtit pour les étudiants les plus défavorisés.

Quoi de mieux que des chiffres pour exprimer cette réalité ? En octobre, le nombre de demandes de bourses a progressé de 2,2 %, pour atteindre 1 129 461 demandes. Face à la précarité croissante, les étudiants s’adaptent et s’arrangent et prennent l’habitude de minimiser leur situation de précarité. Un rapport édité par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) constate, qu’en 2015, 19,1 % des étudiants vivaient en dessous du seuil de pauvreté, soit avec moins de 987 euros par mois (60 % du revenu médian). Plus d’un tiers, 36 %, touchaient des aides directes, mentionne ce même texte. De plus, d’après l’étude annuelle de l’Unef, le coût de la vie étudiante a augmenté de 2,09 % en 2017. 46 % des étudiants doivent désormais prendre un job étudiant.

Budget serré

Tant de contraintes financières, naturellement, se ressentent dans l’assiette. Deux tiers des étudiants déclarent se priver d’au moins un repas par semaine, faute de moyens financiers suffisants, d’après la Fage, la Fédération des associations générales étudiantes. Alors les étudiants font preuve de débrouillardise. « Je n’ai pas d’entrée d’argent à part la bourse et les APL, j’ai environ 600 euros par mois pour tout payer », explique Tiphaine, 20 ans, étudiante en BTS audiovisuel de Cannes. « Il me reste environ 150 euros par mois pour faire mes courses, comment je fais ? Je vais à Lidl, j’organise chaque dépense, je ne fais pas de folie. »

Autre conséquence, le manque d’équilibre dans les repas. Le constat est unanime : les pâtes et le riz, il faut apprendre à aimer ça. Hafça, 19 ans, ne s’y attendait pas lorsqu’elle a démarré sa vie étudiante. Amoureuse de la cuisine et des bons produits, elle n’a pas toujours le budget qui suit : « Je suis habituée aux bons fruits et légumes de mon père. Lorsque je vais au supermarché, ils sont importés de pays étrangers, on ne sait pas quels produits chimiques il y a dedans et c’est souvent trop cher. J’achète peu de viande à cause de mon budget serré. Je mange beaucoup de féculent et de la salade 2 fois par semaine. J’avoue que mes assiettes se ressemblent un peu tous les jours. » Sa seule rentrée d’argent c’est la bourse. Hafça parvient néanmoins à gérer son budget serré : « Je dépense entre 30 et 40 euros par mois pour les courses. »

« L’entrée dans la jeunesse constitue un véritable bouleversement nutritionnel »

D’après une enquête de la Croix Rouge, seuls 6,4 % des 12-30 ans déclarent avoir mangé 5 fruits ou légumes la veille d’un entretien. Dans le même temps, ils étaient 40% à avoir consommé une boisson sucrée. Près d’un ado sur dix ne prend pas de petit déjeuner.

Pour le professeur Jean-Jacques Eledjam, président de la Croix-Rouge française, « L’entrée dans la jeunesse constitue un véritable bouleversement nutritionnel ».

Ces déséquilibres alimentaires comportent de nombreux risques pour le jeune adulte. Au-delà des conséquences sur la santé des jeunes (obésité, diabète, caries ou encore hypertension), le fait d’avoir une mauvaise hygiène alimentaire peut nuire à leur réussite, dans les études notammen: « à cause de la fatigue, des difficultés à se concentrer ou encore des baisses de moral », déplore la Fage.  De plus la junk-food s’installe inconsciemment dans les habitudes alimentaires des jeunes. Par « flemme » ou par « manque de temps pour cuisiner », aller au fast-food ou commander une pizza devient rapidement la solution préférée. Tiphaine regrette cette mauvaise habitude alimentaire : « Je n’aime pas vraiment aller au McDo, mais malheureusement il y a peu de choix lorsqu’on veut manger dehors et pas cher, obligé de mettre le régime de côté ! »

Système D

Certains trouvent des systèmes D. Pour Bastien et Camille, étudiants en BTS Tourisme à Cannes, la collocation c’est la solution pour bien manger. L’un est lyonnais, l’autre bordelais, ils sont réunis par les liens sacrés de la bonne nourriture : « On cuisine pas mal, peut-être même plus que quand on vivait seuls. On n’a pas un vrai planning des tâches, on fait ça de manière spontanée pour tout ce qui est ménage, l’un cuisine l’autre fait la vaisselle et vice-versa. Après les vrais bons produits, c’est ceux qu’on ramène de chez nos parents. »

Il y aussi la cantine universitaire, les resto U. Le repas y coûte 3,45€. Pourtant Alaïs, étudiante en école d’ingénieur, n’y va presque jamais : « Le restau U se trouve juste en face de ma résidence, mais je n’y suis allée que trois fois. Il y a trop de monde pendant les heures de pointe et je n’aime pas la nourriture proposée, un peu trop fade et pas assez variée. »

« 1/10 du prix en supermarché »

Face à cette situation préoccupante dans la population estudiantine, des épiceries solidaires ont émergé sous l’impulsion de la Fage : les AGORAé. Depuis 5 ans, on en compte une quinzaine en France. Dans le centre de Nice, 9 rue d’Alsace-Lorraine, cette structure solidaire fournit des denrées alimentaires à prix cassés aux jeunes en difficulté. Camille Doucet, responsable de l’AGORAé de Nice, confie : « Nous avons ouvert l’épicerie solidaire en 2012 et le nombre d’adhérents ne cesse de croître, c’est inquiétant. En 2017, nous avons accueillis 30 étudiants en plus. » Pour y adhérer, il suffit simplement de montrer un justificatif de domicile, d’étude et de solde. « Chaque produit est ici distribué pour 1/10e de sa valeur en magasin. » Pour 10 à 15 euros par mois on peut faire le plein de denrées de base : de la boîte de conserve à 0,28 centimes aux légumes vendus à 33 centimes le kilo.

« Si à 18, 19, 20, 24 ans, vous commencez à pleurer pour 5 euros, qu’est-ce que vous allez faire de votre vie ? », avait déclaré Claire O’Petit, députée LRM de l’Eure, en juillet. « A l’AGORAé, 5€ c’est 90 paquets de pâtes », répond Camille.

Diaporama photo : Les frigos des étudiants / Crédits : Parissa Javanshir

Le frigo de Lucien : « Je mange un peu mal depuis que j’ai quitté le nid familial. Je ne pensais pas que c’était si contraignant de cuisiner. »

 

Le frigo d’Amine : « J’ai fait du couscous pour en garder pour la semaine, mais il n’a pas vraiment le même goût que celui de ma mère. »

 

Le frigo de Tiphaine : « Je ne fais pas trop de folie. »

 

Le frigo de Bastien et Camille : « Le budget bière est le plus contraignant. »

 

Le frigo d’Alaïs : « La cantine est trop équilibrée pour moi, je viens de Normandie, j’ai besoin de mettre du beurre et de la crème fraîche partout. »

 

Le frigo d’Hafça : « Je ne peux manger que des fruits et légumes issus de petits producteurs. »

 

Parissa Javanshir