Que cache le suicide d’August Ames ?

August Ames, actrice canadienne de film pornographique, a mis fin à ses jours le 5 décembre 2017 à l’âge de 23 ans, après avoir subi une vague de messages haineux de membres de la communauté LGBT sur Twitter. Entre incitation au suicide et intolérance généralisée, retour sur une affaire de cyber-harcèlement qui a bouleversé le monde du X.

August Ames, de son vrai nom Mercedes Grabowski, figure mondiale du porno, s’est donnée la mort le 5 décembre 2017 après une polémique déclenchée suite à l’un de ses tweets. Ce nom vous est peut-être inconnu, mais aux Etats-Unis c’est un coup de tonnerre, où le pays concentre près de 90 % de l’industrie pornographique mondiale et rapporte environ dix milliards de dollars chaque année. Tout a commencé le 2 décembre sur la page Twitter de la pornstar.

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L’actrice a refusé de tourner pour la boîte de production EroticaX avec un acteur gay, se défendant de vouloir protéger son corps et a alerté sa remplaçante des risques possibles de maladies. C’est à partir de ce moment que tout a pris une mauvaise tournure, mélangeant accusations d’homophobie et insultes. Elle se défend dans un autre tweet où elle demande aux accusateurs pourquoi ils la traitent d’homophobe alors qu’elle-même est bisexuelle.

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Peu après, des acteurs de porno gay se sont mêlés à l’affaire et ont commencé à insulter la jeune femme. Jaxton Wheeler est allé encore plus loin en conseillant à August Ames « d’avaler du cyanure » (un poison létal), dans un tweet qu’il a lui-même effacé par la suite. Après une dernière tentative de se justifier.

 

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Elle publie le 5 décembre un tweet désespéré où figure « fuck y’all », signifiant vulgairement « Allez tous vous faire foutre » puis se suicide. Malheureusement, les insultes et les accusations ont eu raison de la jeune femme, très appréciée par ses fans et collègues de l’industrie pour son humour et sa joie de vivre. Son mari Kevin Moore, producteur et réalisateur de contenus pornographiques, l’a décrite comme « la personne la plus gentille qu’il n’ait jamais connu et qui lui a permis de donner un sens à sa vie ».

Bien que la pornographie ne soit pas le secteur le moins touché par le suicide, le cas d’August Ames choque par sa brutalité et surtout sa rapidité. Entre son tweet et son passage à l’acte, il ne s’est déroulé que trois jours durant lesquels elle a fait face à un véritable harcèlement en ligne. D’autant qu’il s’agit d’une situation où la communauté LGBT est qualifiée de bourreau, quand c’est généralement le cas inverse. Si d’aucuns y trouveront l’occasion de généraliser la dérive d’une communauté en ligne devenue incontrôlable, il convient d’utiliser des pistes d’analyse plus élargies, tout en rappelant qu’il s’agit d’un cas d’harcèlement généralisé sur une personne, avec pour accusation principale sa prétendue homophobie. Suite à son décès précoce (l’actrice a fêté ses 23 ans l’année passée), des témoignages et interviews ont commencé à affluer, et nous pouvons nous rendre compte que cette affaire ne pourrait qu’être une goutte d’eau dans l’histoire désormais tragique de Mercedes Grabowski.

Un passé sombre et tout juste révélé

Révélée par la première saison de DP Star, une scripted reality dans l’univers du porno, August Ames est entrée très jeune dans ce business aussi lucratif que dangereux. Elle s’est rapidement imposée face à la concurrence féroce grâce à son intelligence mais aussi son courage. Car, malgré une bonne humeur communicative dans la vie de tous les jours, August cache un passé douloureux, qu’elle a dissimulé durant toute sa carrière, jusqu’à il y a quelques mois. Interrogée par Holly Randall dans son Unfiltered podcast, la jeune canadienne raconte avoir subi « des attouchements sexuels répétés » dès l’adolescence, tout en précisant qu’il ne s’agissait pas de sa famille proche. Par exemple, lorsqu’elle n’avait que 15 ans et qu’elle faisait du babysitting, le père d’une enfant qu’elle gardait lui a proposé de la cocaïne et de faire un strip-tease. Traumatisée, elle admet que son calvaire a été aggravé par le regard des autres et le fait que personne ne voulait la croire. « C’était horrible, ça trotte toujours dans ma tête et je dois m’occuper avec autre chose pour ne plus penser à cette merde. Puis je suis tombée en dépression, j’ai essayé des thérapies mais je déteste me confier. Je ne supportais pas de les faire », révélait-elle dans ce podcast.

Interview d’August Ames par la chaîne Youtube Show me Something au Hard Rock Casino de Las Vegas, pour la cérémonie des AVN 2017. (Crédit photo : Capture d’écran Youtube)

Le regard des autres a aussi été déterminant dans sa chute, les psychologues préférant accabler sa profession plutôt que ses troubles juvéniles. « Je me sentais mal parce que quand on me demandait ce que je faisais et que je répondais que je tournais des pornos, on me répondait que c’était la source du problème. Du coup, j’ai arrêté de parler. » Elle révèle également avoir pris des psychoactifs pour échapper à son quotidien. « Je ne bois plus d’alcool aujourd’hui parce que quand je buvais, cela finissait forcément en blackout total. J’ai commencé à fumer beaucoup d’herbes et j’étais régulièrement stone mais depuis je me suis repris en main. Je ne bois que de l’eau désormais », explique-t-elle. Outre des problèmes d’harcèlements physique, August Ames s’est vue diagnostiquer des troubles mentaux dont la bipolarité, pour laquelle elle suivait un traitement. « C’était si dur quand je n’avais plus de médicaments, surtout quand je rechutais, j’étais tétanisée. »

Les dérives d’une puissante industrie

En France, 12% des recherches Internet concernent la pornographie, qui représente 35% de l’ensemble des téléchargements sur le net. De même, ces sites pour adultes cumulent le nombre colossal de 30 000 visites par seconde dans le monde, Pornhub aurait d’ailleurs fait 79 milliards de vues sur la seule année 2014. Ces chiffres paraissent énormes mais ne sont pas si étonnants car ancrés dans une dynamique industrielle florissante depuis les années 70-80. L’avènement du gratuit a permis à la pornographie de pulvériser des records d’audience, même si 3000 $ sont dépensés chaque seconde dans ce style de contenu. Autant dire qu’avec une telle affluence, l’industrie a acquis une véritable influence sur les productions audiovisuelles en ligne. L’appât du gain pousse parfois à de graves dérives, entre trafics de mineurs et agressions sexuelles, les témoignages et documentaires fleurissent à ce sujet. C’est le cas du film choc Hot Girls Wanted, réalisé par les journalistes Jill Bauer et Ronna Gradus, traitant d’un véritable business de jeunes actrices appâtées par la promesse de gros sous, quand elles sont finalement sous-payées et abusées en seulement quelques tournages.

August Ames avec son mari Kevin Moore, producteur et réalisateur de films pornographiques / (Crédit photo : The Independant)

Le cas d’August Ames tend à dénoncer une tendance régulière dans le monde du porno, à savoir de faire tourner des acteurs bisexuels pour des contenus destinés à un public aussi bien hétérosexuel qu’homosexuel. Si les actrices revendiquent pour la plupart leur bisexualité, comme c’était le cas de la jeune actrice canadienne, les acteurs masculins restent beaucoup plus discrets quant à cette pratique. Dans le documentaire After Porn Ends 2, disponible sur Netflix, on apprend que certains acteurs américains dans les années 90 ont notamment attrapé le VIH et l’ont transmis à des dizaines de jeunes actrices. Depuis, même si l’industrie est très stricte et rigoureusement contrôlée, une légende urbaine s’est maintenue et les actrices évitent de tourner des scènes hétérosexuelles avec des acteurs ayant tourné des scènes gays. August Ames a même revendiqué dans un de ses tweets que c’était une norme pour les superstars de ne jamais tourner avec des hommes bisexuels.

Une semaine après sa mort, les hommages ne cessent d’affluer, aussi bien de ses fans que des acteurs et actrices qui l’entouraient. August Ames restera donc dans les mémoires comme un symbole aux multiples éclats. Tout d’abord, pour son abnégation à combattre les torts d’une industrie vorace, prête à tout pour s’adonner au culte du spectaculaire et du clic permanent. Mais on se souviendra d’elle avant tout pour avoir libéré une parole enfouie depuis bien longtemps dans les méandres du porno mainstream, prouvant qu’une actrice reste avant tout une femme, avec sa propre singularité, ses qualités et travers émotionnels. Restera l’éternel regret d’un combat débuté à cause d’un suicide et d’un cyber-harcèlement omniprésent d’internautes prêts à tout pour imposer leur vision, quitte à jouer avec la vie d’autrui.

Louis Verdoux

Sacha Virga