Un voyage qui forge

L’orientation. C’est un moment épineux pour les jeunes Français, les enjeux étant de taille. D’après le Ministère de l’Éducation et de la Recherche, parmi les 52% d’étudiants de première année d’université qui ne poursuivent pas en 2ème année, ce sont 30% qui redoublent, 16% qui se réorientent et 6% qui abandonnent leurs études. Audrey, 20 ans, jeune Rouennaise, a décidé de faire ses valises pour la Colombie pour une troisième année d’études. Partie en août, elle est revenue en France deux petites semaines pour revoir sa famille, l’occasion de cet entretien.

Le teint bronzé, les cheveux en bataille… Et surtout le sourire à pleines dents. Cela fait seulement 6 mois qu’Audrey est partie en Colombie et elle paraît méconnaissable. Après un DUT Techniques de commercialisation dans la charmante ville grisonnante du Havre, à 20 ans, elle met les voiles en Amérique du Sud pour faire sa troisième année.

En France, beaucoup d’adolescents sont perdus après le bac, ou pendant le lycée. Audrey y était première de sa classe, en filière ES, mais dans quel but ? : « Après avoir décroché mon baccalauréat avec mention Très bien, je me suis vite remise en question… A quoi servaient tous les efforts que j’ai pu faire au lycée ? Je ne savais absolument pas ce que je voulais faire de ma vie. » La faille d’un système éducatif est mise en évidence dans son cas, les conseillers d’orientation ne lui ont été d’aucune aide et le système Admission-post-bac n’a fait que la perdre dans ses choix : « Notre avenir est programmé par un logiciel et des données », souffle Audrey, comme se remémorant un mauvais cauchemar. Les professeurs lui conseillèrent de tenter Science Po, tandis que sa mère Gaëlle la poussait à faire des études courtes pour rentrer au plus vite dans la vie active. Sa mère célibataire est issue d’une famille de mineurs de charbon dans le Nord de la France. Elle est infirmière de nuit. Audrey a préféré choisir la voie en accord avec les valeurs réalistes que sa mère lui a inculquées. Elle ne voulait pas prendre de risques. « On m’a toujours appris à avoir les pieds sur terre. » Le ton évasif d’Audrey suggère une époque révolue.

« Oh la la ! Le soleil normand ne m’avait pas manqué », lance-t-elle, gênée. Dès que des sujets intimes et personnels sont abordés, elle se reprend pour parler de choses concrètes ou de généralités en tout genre. Sans doute s’attendait-elle à entretien plus factuel.

Se faire sa propre idée du monde

Après avoir fait deux années d’études où elle n’avait absolument pas sa place, Audrey a mis les voiles à Bucaramanga. C’est son univers entier qui est chamboulé. Comme une touriste perturbée dans ses habitudes occidentales, elle se plaît à énumérer les choses qui sont radicalement différentes entre la Colombie et la France. « Ce qui m’a choquée, c’est leur manière de s’alimenter, en Colombie on prend un seul repas dans la journée et sans dessert. Leur pain est sucré. » Elle ne s’arrête pas : « Les bus s’arrêtent où tu veux. Il faut recharger son forfait téléphonique tous les mois à une borne située en ville… »

Quelque chose a totalement changé chez elle… Difficile à déterminer à première vue. Pourtant cela n’a pas paru tâche facile de bousculer ses repères, surtout lorsque par nature on aime tout maîtriser. « Je ne parlais pratiquement pas espagnol quand je suis arrivée. Et la manière dont s’organisent les Colombiens est difficile à suivre. Ils ne prévoient rien à l’avance ! » Là aussi se trouve son ambition : se faire sa propre idée du monde. « Beaucoup de clichés sont véhiculés par les médias sur la Colombie. La série Narcos n’aide pas forcément. Je voulais voir de mes propres yeux… Malheureusement certaines choses sont avérées, on m’a proposé plusieurs fois de la cocaïne dans la rue. »

Audrey au parc national de Chicamocha. (Crédit : Instagram)

Un sentiment de liberté

La posture de son corps est relâchée et décontractée, comme si elle venait d’être libérée d’un poids. Son look naturel et féminin fait d’elle une femme sexy. Elle dégage une nouvelle aura presque envoûtante, celle de quelqu’un qu’on écoute, qu’on regarde. Audrey a pris énormément confiance en elle. « En Colombie tout le monde s’en fout de l’apparence des gens. Les femmes sont rondes, ont des hanches et des fesses, pourtant elles se mettent en crop-top et en short. » C’est une révolution. Celle qui faisait du sport trois fois par semaine et suivait un régime strict a maintenant pris des formes voluptueuses « sans la moindre culpabilité ». Celle qui avait du mal à se mettre en maillot de main ne s’épile désormais plus les jambes. Elle ne s’oblige plus à porter du maquillage, mais « seulement quand j’en ai envie ».

Lorsque la question de l’amour est abordée, Audrey freine un peu son élan de confession. Elle est coriace lorsqu’elle ne veut pas partager ses sentiments. Elle rit fort et nerveusement. « J’ai un copain depuis quelques mois, il est dans mon université. » Voilà un autre point sur lequel elle semble s’être libérée, elle qui avait d’habitude du mal à s’attacher et conserver une relation amoureuse.

Audrey et le monde

« Maintenant je m’en fous, je me suis prouvée que je peux aller où je veux quand je veux. » Ce n’est pas sa personnalité qui a changé mais plutôt son tempérament qui s’est affirmé. « Un trait de caractère que j’ai sûrement hérité de ma mère. » Audrey vit heureuse, mais détachée de ce qui l’entoure, elle n’a plus besoin de personne. Qu’est-ce qui l’a poussée à déménager à plus de 8000 kilomètres dans le 10e pays le plus dangereux au monde ? « J’avais besoin de me forger au lieu de faire plus attention aux autres. Il fallait que je devienne indépendante de mon entourage. » Concernant ses rencontres faites en Colombie, Audrey se dit ne pas « être triste » de les quitter un jour, tout comme sa famille, elle ne vit pas mal le fait d’en être séparée. C’est désormais un loup solitaire lancé par un élan d’intrépidité, prête à conquérir le monde. Elle part aux Etats-Unis l’an prochain. « Mais je ne sais toujours ce que je veux faire plus tard », conclut-elle sans la moindre inquiétude.

Parissa Javanshir