juin 12

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Passager Clandestin (1/2) : devoir de mémoire

Passager clandestin mis en scène par Sylvie Osman nous rappelle à notre devoir de mémoire. Adaptation de « The Great Disaster » de Patrick Kermann, la pièce se tenait au Théâtre National de Nice. Le personnage principal, Giovanni Pastore, représenté par une marionnette manipulée par les acteurs, se remémore le drame du Titanic. Il nous fait voyager au détour de son enfance et de son passé de plongeur sur le paquebot. Une singularité : la mémoire.

TNN

Les acteurs manipulent la marionnette ensemble ou à tour de rôle. Crédit : Nice-By Night

La programmation du Théâtre National de Nice au mois de mars permettait d’assister à Passager clandestin mis en scène par Sylvie Osman. S’inspirant de la technique japonaise bunraku, les acteurs manipulent une marionnette, ensemble ou à tour de rôle. Une pièce qui se rapporte au devoir de mémoire, cher aux sociétés humaines, qui attachent une grande importance à la mémoire. Elles honorent leur passé au travers de cérémonies, et perpétuent le souvenir de génération en génération. « C’est une des caractéristiques principales de Giovanni Pastore : la mémoire » explique Sylvie Osman, metteure en scène de Passager clandestin. Cet italien, qui cherchait un avenir meilleur, pense se diriger vers la terre promise, mais il ne l’atteindra jamais. Il ne sera pas compté parmi les disparus (dont les chiffres fluctuent selon différentes estimations) car il a obtenu une place sur le navire à la plonge, tout en bas. Le personnage est doté d’une mémoire phénoménale : il est par exemple capable de répertorier précisément les quantités de chaque marchandise présente à bord. « Il est dans une mémoire du présent, du passé et du futur » déclare Sylvie Osman, avant de poursuivre « Il raconte son présent, son enfance, son travail sur le Titanic en tant que plongeur ».

De multiples références historiques

Dans son récit, Giovanni Pastore évoque de nombreux évènements historiques. Des évènements que ne connaîtra pas Giovanni, ni le Titanic, puisqu’il sombre en 1912. « Parfois, je rêve de choses qui ne se sont pas encore produites » raconte-t-il. Auteur de la pièce, Patrick Kermann « fait ressortir [son héros] éternellement » décrit Sylvie Osman. En revenant des profondeurs de l’Atlantique, Giovanni Pastore nous renvoie à la « Der des Ders » et l’enfer des tranchées ou encore à la Seconde Guerre mondiale. Les références à l’holocauste ne sont pas étrangères à la vie de Patrick Kermann. « C’est un homme dont la famille a vécu la Shoah » confie Sylvie Osman. On trouve aussi dans cette pièce une référence à l’immigration qu’a connue la France dans la première moitié du XXème siècle. Giovanni Pastore « est une allégorie de toute éternité » selon la metteure en scène. En laissant sa mère et ses vingt ans dans les montagnes, il « fait le lien avec ce qu’il se passe en méditerranée » affirme Sylvie Osman. Une immigration « pas choisie » pour fuir la misère. « Il devient une destinée plurielle » ou un « personnage monde » explique-t-elle. Sylvie Osman nous rappelle aussi que « nos mémoires sont fragiles » et Giovanni Pastore l’illustre parfaitement : « son histoire ne se raconte pas dans l’ordre chronologique des faits historiques ».

 La marionnette comme allégorie de la mémoire

« Une marionnette peut raconter des choses encore plus fortes sur le plan émotionnel » affirme Sylvie Osman, marionnettiste. En effet, elle travaille avec des marionnettes, qu’elle assimile « au vivant ». Les trois acteurs, leurs différentes énergies, leurs timbres de voix, donnent cette représentation plurielle à Giovanni Pastore. Il devient alors mémoire, témoin de l’histoire. « Il doit raconter » révèle la marionnettiste et metteure en scène. La marionnette peut donc porter la parole de tous les naufragés du paquebot, qui ne monteront pas à bord des canaux de sauvetage. Le texte de la pièce, originellement monologue, devient « une écriture de la mémoire ». Et la force mémorielle de la marionnette tient dans son allégorie de l’éternité, elle ne change pas. Giovanni Pastore revient à l’infini pour raconter son histoire.

 

Guillaume Laclotre