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Interview de Thomas Porcher, économiste et militant
L’économiste Thomas Porcher, présent le week-end dernier au Festival du Livre de Mouans-Sartoux, en a profité pour nous parler de son livre « Traité d’économie hérétique », et de sa vision de l’économie.
L’économiste Thomas Porcher lors d’une conférence au Festival du Livre de Mouans-Sartoux le week-end dernier.
La rédaction : Dans votre livre « Traité d’économie hérétique », vous vous en prenez à toutes les idées reçues sur le système libéral, qu’est-ce que vous reprochez au « discours dominant » ?
Thomas Porcher : Le principal reproche au discours dominant c’est qu’il nous laisse qu’un seul choix, on essaie de nous dire qu’il n’y a pas d’alternative, c’est ce que disait Margaret Thatcher. Emmanuel Macron, lui, disait que « l’autre politique » était un « mirage ». On essaie de nous faire croire qu’il n’y a qu’une seule voie à suivre. On se demande presque à quoi ça sert de voter ? Alors qu’en réalité il y a plusieurs voix en économie, plusieurs avenirs possibles. Le but de mon livre c’est de montrer que vous avez bien la voix de Macron qui est possible mais il y a d’autres avenirs qui sont envisageables et il faut les présenter aux français.
La démocratie c’est de débattre de ces plusieurs avenirs et que les Français puissent choisir et débattre sur un pied d’égalité. Ce qui n’est pas le cas. On nous a montré que ce que proposait Macron était plus crédible que ce que proposait Hamon ou Mélenchon, ce qui est totalement faux. Les trois sont des avenirs crédibles et il faut en débattre sur un pied d’égalité, c’est ça la démocratie.
L.R : Est-ce un moyen d’essayer de détruire l’hégémonie culturelle actuelle pour en créer une nouvelle ?
T.P : C’est surtout pour montrer qu’il y en a d’autres ! Ça fait 30 ans qu’il y a eu un coup de force d’une partie des économistes et des politiques pour nous dire : il y a qu’une seule voie possible, il faut faire des économies, il faut casser les services publics, la dette publique est trop importante donc on peut plus investir dans la transition énergétique ou dans les hôpitaux ou dans les crèches, etc.
Donc que vous votiez Hollande, Sarkozy ou Macron, à la fin la politique est la même c’est juste une question de curseur. En économie vous avez plusieurs avenirs possibles. Ce qu’on a fait dans les années 50-70 c’est complètement différent de ce que l’on fait aujourd’hui depuis les années 80. Il ne faut pas penser que ce que l’on vit aujourd’hui est une fatalité, c’est faux, l’histoire économique montre l’inverse.
L.R : Qu’est-ce qui a fait que le discours libéral ait pris une telle ampleur, notamment dans les médias ?
T.P : Je pense que certains économistes, qui n’étaient pas si majoritaire que ça, ont réussi à faire un coup de force, pour avoir plus d’espace et pour faire en sorte d’être les seuls que l’on puisse appeler « économistes ». Alors qu’en économie vous avez pleins d’auteurs qui pensent des choses différentes. Mais ils ont fait un coup de force. Je pense que ce coup de force plaisait à des milieux financiers, à des politiques, ce qui a entrainé l’arrivée d’un mode de régulation, d’un mode de fonctionnement de l’économie, qui s’est installé et qui apparaît crédible pour tout le monde : politiques, grandes entreprises, mais aussi citoyen. Les autres façons de penser paraissent donc moins crédibles, alors que beaucoup d’économistes les soutiennent. Il y a eu une convergence d’intérêt, ce qui a fait que ce nouveau mode de fonctionnement capitaliste a pris le pouvoir dans nos sociétés. C’est à nous de faire en sorte que ce rapport de force change !
Au moment de la crise de 2008, qui est en fait une crise du capitalisme financier, venue des états-unis, le pays le plus libéral du monde, je pensais que le rapport de force allait s’inverser, que cela allait rabattre les cartes. Et bien non, ça n’a pas eu lieu. On a même été encore plus loin dans la logique libérale et c’est cela qui est inquiétant. Même cette crise que l’on a vécue n’a pas permis un véritable débat, une discussion pour pouvoir inverser le sens des choses. Alors que dans l’histoire économique dès qu’une crise a eu lieu, on a changé de système. En 1929, après le krach boursier on est passés à un autre système, en 1970 et la crise pétrolière, on est passé au capitalisme libéral que l’on connait, mais en 2008, après cette crise du capitalisme libéral, du capitalisme financier, on n’est pas passés à autre chose. C’est cela qui est grave et qui montre la résistance de ce modèle libéral qui perdure aujourd’hui.
L.R : Pourquoi ce tournant idéologique n’a pas eu lieu ?
T.P : Je pense qu’on aurait pu saisir cette occasion pour l’avoir mais ça ne s’est pas fait. À la place, on a continué encore plus loin dans cette logique libérale, ce qui a eu des conséquences politiques énormes. Le capitalisme libéral des années 80 est symbolisé par Ronald Reagan et Margaret Thatcher, pour les États-Unis et le Royaume-Uni. Aux États-Unis, les classes populaires délaissées par les politiques ont mis au pouvoir Trump, populiste extrême. Au Royaume-Uni, le Brexit a gagné. En Italie maintenant il y a Salvini. Partout où la logique capitaliste a été appliquée, il y a eu un effet boomerang avec des extrêmes qui sont maintenant au pouvoir.
En ce moment je me dis qu’Emmanuel Macron est en train de rattraper le retard qu’on avait sur ces pays-là, notamment grâce (ou à cause) de notre système de protection sociale qui, quand même protège les plus vulnérables. Je me dis que là, vu qu’il libéralise de plus en plus, il est déjà parti pour 5 ans, et s’il est élu une deuxième fois, cela sera peut être 10. Après cela on va avoir le droit à quoi ? Une espèce de mélange, d’hybride, entre la nièce Le Pen et je ne sais pas quoi ?… Sincèrement ça fait très peur.
Je pense que si on ne prend pas en compte ces classes moyennes, ces retraités et ces classes pauvres, vous aurez toujours à un moment un effet boomerang, où le peuple est prêt à mettre le pire au pouvoir, et ça s’est vu dans les pays de l’Est, ça se voit en Europe à nos portes, et ça se verra en France si on continue comme ça.
L.R : Votre livre a été très apprécié du grand public, il a même été utilisé à visée pédagogique au CDI de votre ancien lycée, est-ce que vous imaginiez cela en l’écrivant ?
T.P : On espère toujours que cela puisse être diffusé mais là c’est vrai que cela a mieux marché que mes précédents ouvrages. C’est toujours sympathique de voir que son ancien CDI, achète votre livre. En plus c’est dans un lycée à La Courneuve, en banlieue parisienne, un endroit plutôt pauvre… Quand j’étais dans ce lycée-là, je n’aurais jamais imaginé un jour que ce cdi achète un de mes livres, c’est vraiment émouvant.
Je passerai les voir dans l’année. Je vais trouver un moment où je passerai pour les remercier et parler de mon parcours aux jeunes.
L.R : Qu’est-ce que vous pensez de la réforme de l’enseignement de l’économie au lycée ? Avec un enseignement peut être trop biaisé ?
T.P : C’est biaisé dans le sens où certains économistes ont réussi à prendre le pouvoir et qui expliquent que l’économie est une science dure, qu’aujourd’hui il n’y a pas de débat d’idées en économie. Ils pensent que c’est une science qui est statistique. On retire l’essence même de cette matière. L’enseignement de l’économie doit présenter ça comme un débat politique, une base de réflexion. L’économie fait partie des sciences humaines, ce n’est pas une science dure comme la biologie. Je pense que là ce qui risque d’être dangereux c’est que dès le départ on préparera les étudiants à penser qu’en économie il n’y a qu’une seule voie possible et qu’il n’y a pas de débat à avoir, qu’on doit accepter ça comme une force sans en débattre.
un vrai problème aujourd’hui, il existe plusieurs façons de voir l’économie, il existe plusieurs avenirs possibles, il faut qu’ils soient débattus sur un pied d’égalité.
L.R : Cet été vous avez été au coeur d’une polémique sur Twitter . Une fake news concernant votre avis sur le Venezuela, lancée par un compte parodique du « Média » , a été prise au sérieux, et massivement partagée par des économistes et des journalistes. Que pensez-vous du fait que ces personnes soient prêtes à tout pour vous discréditer ?
T.P : Leur idée c’est de convaincre le grand public que je ne suis pas crédible, que je ne suis pas un économiste.
Moi j’ai fait huit ans d’études, j’ai un doctorat d’économie à la Sorbonne. Il y a d’ailleurs énormément d’économistes qui pensent comme moi mais qui ont moins accès aux médias.
Et il y a des gens, qui travaillent par exemple aux Échos, qui ne sont pas des économistes, car ils n’ont pas fait d’études en économie, même pas une année, qui essayent de dire que je ne suis pas un économiste, juste parce que je propose un discours qui n’est pas le leur.
Ils sont tellement dans la caricature qu’ils sont tombés dans leur propre piège. Ils ont relayés des informations qui venaient d’un site parodique, qui lui-même indiquait que c’est un site de fake news. On voit donc que chez ces gens-là il n’y a pas de demi-mesure. C’est soit vous êtes un économiste, donc comme ils le pensent eux : néo-libéral et pro-capital, soit vous devenez quelqu’un qu’il faut discréditer. Cette volonté qu’ils ont eu, en utilisant les réseaux sociaux, c’est de dire : plutôt que de m’affronter dans un débat d’idées, ce qui serait normal et juste, il fallait discréditer ma personne, pour qu’il n’y ait justement pas ce débat d’idées. C’est quelque chose de grave, car ça venait quand même de la part de gens qui étaient des grands journalistes, qui tiennent les rédactions de grands journaux d’économie. Ils ne passaient pas directement par un article publié dans la presse mais par les réseaux sociaux, où ils ont énormément d’abonnés, où ils parlent en leur nom, pour me discréditer et discréditer les idées que je défends, qui sont en fait défendues par énormément d’économistes dans le monde. Il fallait que ce que les citoyens perçoivent en économie soit tenu par une seule branche des économistes et pas la mienne. Pour eux, avec ce portrait dans Le Monde, on donnait trop d’importance à quelqu’un qui pensait différemment.
Arno Tarrini