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Ne montez plus à dos d’éléphant
Si vous partez en vacances en Thailande dans peu de temps, vous devez sûrement vous réjouir d’avoir l’occasion de monter sur le dos d’un éléphant. Grand mammifère, très intelligent, nous les avons tous déjà vu au cirque ou dans des zoos. Pouvoir les approcher de plus près et se balader sur leur dos est un rêve pour certains.
Mais il est un fait que les touristes oublient : ces animaux sont protégés et en voie d’extinction. Classés sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature, il ne reste plus que 60 000 individus en Asie. Et derrière cette utilisation touristique des animaux, il y a une face cachée. Pour les soumettre aux envies les plus folles des touristes, les éléphants passent obligatoirement par le « phajaan ».
Une torture obligatoire pour dompter les éléphanteaux braconnés. Faire travailler les éléphants est une pratique très ancienne en Thaïlande. Mais depuis que l’abattage des arbres y est interdit, les besoins des éléphants domestiqués ont beaucoup décru. Les éléphants au chômage sont souvent négligés par leurs propriétaires. Ces mêmes pachydermes ont, pour la plupart, tous été reconvertis dans l’industrie touristique. Par ailleurs, la déforestation et les braconniers chasseurs d’ivoire mettent la population d’éléphants sauvages en péril.
Les associations qui défendent les animaux sauvages et plus particulièrement la faune et la flore Thaïlandaise ont donc encore du travail à fournir pour éradiquer cette domestication forcée. Nous avons interviewé Julien Maimoun ancien volontaire à la Wildlife Friends Foundation en Thaïlande. Depuis quelques mois il revient sur son expérience dans une vidéo« Brut » qui a été partagée plus de 14 000 fois. Il a accepté de répondre à nos questions sur la maltraitance envers les éléphants d’Asie.
La rédaction : En quoi consiste le travail réalisé par la fondation ?
Julien Maimoun : La Wildlife Friends Foundation récupère des éléphants qui viennent du trekking mais aussi des cirques ou encore des zoos où ils y font des numéros (pratique courante en Asie). Ces associations fonctionnent sur des systèmes de dons ou de mécènats. Cela leur permet de racheter les éléphants aux propriétaires, en donnant assez pour que la famille puisse se reconvertir, mais trop peu pour qu’elle puisse racheter un éléphanteau. Souvent ce sont des éléphants qui ne servent plus à leurs propriétaires. Parfois l’association peut les récupérer gratuitement quand ils sont trop vieux ou trop en mauvaise santé.
La première étape lorsque l’on récupère ces animaux est une sorte de quarantaine. Une période pendant laquelle l’animal va être nourri et soigné. Parce qu’en plus d’être torturés, ces animaux sont souvent négligés. Ils peuvent être déshydratés et mal nourris. Ensuite les éléphants sont mis dans un enclos avec d’autres congénères. Étant très sociables, cette technique permet aux soigneurs de mieux appréhender leur comportement, puis de les réintégrer à un groupe capable de les assimiler.
Enfin et pour le reste de leur vie, l’association, grâce aux volontaires, va les nourrir tous les jours, les laver et les promener. Les éléphants, une fois domptés, ne peuvent pas être relâchés dans la nature. Ils ont souvent des symptômes post traumatiques, ne savent pas se nourrir seuls et ont besoin de soin constants.
La rédaction : en quoi consiste le « phajaan » ?
Julien Maimoun : Le phajaan est plutôt asiatique, mais c’est une technique qui dans son esprit est la même que celle utilisée en France – le dressage par anéantissement. L’idée est de prendre un éléphanteau quand il est encore malléable, on l’attache dans une cage en bois dans une position très inconfortable, où il ne peut ni s’asseoir ni marcher. Et pendant quelques jours ou quelques semaines, on le frappe, lui donne très peu à boire et le prive de nourriture. Il peut même recevoir des décharges électriques. À un moment, l’éléphant est détruit, il n’oppose plus de résistance. C’est à ce moment-là que son futur dresseur arrive avec de l’eau et de la nourriture. Il le libère, mais il garde toujours un bullhook avec lui. Le bullhook est la pioche avec laquelle l’éléphant a été torturé pendant des semaines. L’animal a donc cette impression que son dresseur est son sauveur mais aussi son bourreau, car il a toujours cet instrument de torture avec lui. Cela lui fait comprendre qu’il est sous la domination de son dresseur et que s’il fait le moindre faux pas, il revivra la souffrance qu’il a vécu pendant le phajaan.
La rédaction : peut-on travailler avec les éléphants sans maltraitance ?
Julien Maimoun : C’est impossible de travailler avec les éléphants, de la même manière que l’on ne peut pas travailler avec un lion sans lui avoir imposé une certaine violence. Dans la nature, les éléphants sont des animaux très sauvages qui n’ont pas réellement, ou très peu, de prédateurs naturels. Il est facile de trouver sur internet des vidéos de ces animaux qui chargent les Hommes. Pas par méchanceté mais parce qu’ils défendent leurs petits ou leurs territoires. L’éléphant ne pourra jamais travailler avec un humain. Si un éléphant obéit aux ordres ce n’est pas parce qu’il en a envie mais parce qu’il a peur de se faire frapper.
Un exemple de cette impossibilité est le reportage de 30 millions d’amis sur le film « De l’eau pour les éléphants ». Le film raconte l’histoire de Rosie, une éléphante maltraitée par un directeur de cirque particulièrement cruel, dans les années 1930. L’idée étant de dénoncer ces maltraitances animales. Sauf que l’éléphante-actrice avait elle-même été torturée lors de son dressage. Des vidéos de surveillance datant de 2005 ont été retrouvées et ont permis de dénoncer ces pratiques, courantes avec les animaux-acteurs. Cela montre qu’il est impossible de dire quoi faire à l’éléphant sans que l’animal n’ait peur de celui qui donne les ordres.
L’idée de ma vidéo avec « Brut » était de repenser notre approche des relations entre humains et animaux sauvages. Souvent on pense que c’est de l’amour alors qu’en réalité c’est de la crainte.
La rédaction : quels sont les signes visibles de maltraitance ?
Julien Maimoun : De manière générale, dès qu’un éléphant est attaché ou attend en file indienne c’est mauvais signe car cela indique que les éléphants ont appris à patienter et à rester calme. Certains éléphants balancent leurs têtes d’un côté et de l’autre, ce n’est pas nécessairement qu’il est maltraité mais c’est le signe d’un ennui profond. Un éléphant qui porte des marques de chaînes, des cicatrices ou tout simplement, un éléphant que tu peux toucher, qui fait des choses pour toi, sur lequel tu peux monter etc. Tous ces signes sont des preuves de maltraitance, car ce serait impossible sans violence.
L’idée c’est qu’un animal sauvage reste un animal sauvage. Aussi, il ne faut pas penser que cette idée du dressage est en vigueur uniquement en Thaïlande. Plusieurs documentaires disponibles sur Internet démontrent au contraire que cette pratique est normalisée. À tel point que certains dresseurs ne se rendent même plus compte de leurs actes. De manière générale il n’est pas normal de pouvoir approcher des animaux sauvages.
Ces tortures ont un effet dévastateur sur la population des éléphants d’Asie. Des études démontrent que l’espérance de vie moyenne d’un mâle né en captivité est de 30 ans et de 45 ans pour une femelle.
Cette étude montre aussi que les animaux capturés dans la nature ne survivent en moyenne que 25 ans pour les mâles et 40 ans pour les femelles. Un éléphant sauvage subissant le phajaan perdrait donc 5 années d’espérance de vie.
En 2018 il serait donc temps de repenser notre rapport aux animaux et notamment au travail avec les animaux. Les relations humains-animaux, présentées comme des relations idylliques sont bien souvent le fruit d’une peur de la part des animaux.
Yeelen Tanche