octobre 17

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[Interview] Alaa al-Aswany « C’est le rôle ou le devoir de la littérature de présenter l’histoire humaine »

Cette année, le festival de Mouans-Sartoux était co-présidé par l’auteur égyptien le plus lu au monde : Alaa al-Aswany. Amoureux inconditionnel de son pays, il dépeint dans ses œuvres l’Égypte sous tous ses angles. Son tout nouvel ouvrage J’ai couru vers le Nil, ne déroge pas à cette règle. Dans cet entretien, il présente sa vision de la liberté, décrit son livre et offre son analyse de la situation actuelle du monde arabe.

Alaa

Alaa al-Aswany durant l’entretien. (Crédit : Mathieu Obringer)

Quelle est votre définition de la liberté ?

La liberté, c’est avoir le choix, d’une manière totalement indépendante et c’est à vous, ou à moi, ou à lui de choisir ce qu’il veut faire. Tant que votre choix ne vous met pas face à face avec la loi par exemple, il doit être respecté.

Qu’est-ce que représente pour vous cette place de président d’un festival comme celui-ci ?

C’est un honneur, car c’est un festival que je respecte beaucoup. J’ai été ici deux ou trois fois il y a quelques années, et je pense que c’est un vrai festival. Parce qu’il y a des festivals qui ne sont pas vrais, dans le sens que c’est une vraie rencontre entre écrivains et lecteurs, écrivains et écrivains, où il y a des échanges très intéressants. Et aussi, le public de ce festival est très intéressant et très intéressé à la fois, vous voyez. Intéressé par la littérature et très intéressant pour un écrivain.

 Un festival engagé comme Mouans-Sartoux peut vraiment changer les choses ?

Oui, ça change les mentalités, la vision des gens et c’est essentiel. Je pense que les médias ne suffisent pas à comprendre le monde arabe. Pour des raisons politiques et économiques. Un festival comme ça, totalement indépendant, et dans lequel on peut vraiment dire la vérité, c’est essentiel.

À la base, vous êtes dentiste, votre père était écrivain, qu’est-ce qui vous a poussé à devenir écrivain ?

En réalité, ce qui s’est passé est justement le contraire. J’ai toujours rêvé d’être écrivain, mais être écrivain ça ne suffit pas. C’est le conseil de mon père. Ça ne suffit pas en Égypte pour gagner sa vie. Je devais avoir un autre métier, alors je suis un écrivain qui a décidé de travailler comme dentiste et pas le contraire. Et je n’ai jamais regretté, car ça a été très utile pour moi. Être payé par mes patients m’a permis de toujours être indépendant, je n’ai jamais touché de l’argent de la part du gouvernement égyptien et j’ai toujours été capable d’écrire ce que je voulais. Être dentiste, ça veut aussi dire que vous êtes tout le temps au contact des autres, ce qui est très utile pour le romancier.

Comment décririez-vous votre nouveau livre « J’ai couru vers le Nil » ?

C’est presque impossible de résumer un roman, car un roman, c’est un monde. Mais j’ai essayé dans ce roman de présenter l’histoire humaine de la révolution égyptienne, l’histoire politique tout le monde le sait ! C’est le rôle ou le devoir de la littérature de présenter l’histoire humaine. Ce qui s’est passé au niveau politique, ça n’est pas tout ! À mon avis, c’est même le moins important, ce qui est plus important ce sont les gens, les personnages, les histoires d’amour, et c’est exactement ce que j’ai essayé de présenter dans mon roman.

C’est un roman qui a une forme littéraire particulière, est-ce que ce choix est lié à la volonté de montrer l’histoire humaine ?

Oui, absolument. Mais je n’ai pas décidé quand même, car le roman décide pour lui-même. Le roman décide la forme et non le contraire. On ne commence pas par dire, je vais écrire comme ci ou comme ça, non ! Vous créez les personnages et vous les poussez un peu et puis les personnages vous échappes et deviennent indépendant. Vous vous suivez les personnages. Tout cela va créer une forme littéraire, mais ce n’est pas vous qui l’avez décidé, c’est le texte qui choisit.

En France, le titre de votre roman est « J’ai couru vers le Nil » mais à l’origine, il s’appelait « La République comme si », pourquoi cette différence ?

Je suis traduit en 37 langues. Le directeur de publication en France, m’a dit que le mot « République » à un sens différent en France. Quand on parle de République, c’est la France, c’est l’État. Alors il a choisi une phrase qui existe dans le roman. Durant un massacre, quelqu’un dit « J’ai couru vers le Nil ». Il m’a proposé ce titre et je l’ai aimé. La maison de publication italienne a même préféré le titre français.

Aujourd’hui, votre livre est interdit de publication en Égypte, est-ce un recul ou l’idée de la liberté s’est quand même installée dans l’esprit des Égyptiens ?

La liberté comme idée est installée oui, mais avec la dictature il n’y a plus de liberté d’expression en Égypte. Mais ce n’est pas seulement mon roman. Et le roman n’est pas seulement interdit en Égypte, il est interdit partout dans le monde arabe sauf dans 3 pays : la Tunisie, le Maroc et le Liban. Car dans le monde arabe, il y a des dictatures. Et celle qui est présente en Égypte est horrible. Je suis interdit d’écrire dans les journaux, mais aussi à la télévision égyptienne, je suis interdit d’organiser un séminaire culturel que j’ai organisé depuis longtemps, je suis interdit de publier mes livres. Je suis interdit de tout !

Avez-vous tout de même eu des retours d’Égyptiens ou de personnes du monde arabe qui ont réussis à lire vos œuvres ?

Oui, car les gens au pouvoir dans le monde arabe ne comprennent pas que l’on ne peut jamais interdire un roman. Ils vivent dans les années 1940. Le roman est lu partout dans le monde arabe, soit sur internet, soit par des exemplaires sous le manteau, il est lu partout. Je reçois les opinions de mes lecteurs de tous les pays arabes. Ça ne sert à rien d’interdire un roman, au contraire. Si un roman est interdit, les gens même par curiosité, ils veulent le lire.

Comment décririez-vous la situation du monde arabe et particulièrement de l’Égypte ?

Notre problème, c’est qu’il y a deux aspects. J’ai écrit un livre qui s’appelle « La dictature et l’extrémisme religieux : deux aspects de notre malheur ». C’est exactement ce que je pense. Et ils sont très liés. La dictature, militaire ou politique. Ces deux aspects partagent beaucoup de choses et c’est ça le problème. Tout ce qu’on a dans le monde arabe comme pauvreté, corruption, ce sont les conséquences de la dictature. Ce sont les complications de la maladie. La vraie maladie, c’est la dictature.

Que diriez-vous à vos lecteurs ou vos futurs lecteurs ?

Je ne peux rien dire. Tout ce que je veux dire, je l’ai écrit. Mes lecteurs sont pour moi très important. J’écris pour eux, c’est eux le principal, plus que les critiques. Pour moi, les lecteurs que l’on pense d’abord être de simples lecteurs sont finalement les plus grands critiques.

Lou Florentin