novembre 12

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Le Yémen, oublié médiatique ?

La guerre meurtrière qui ravage le Yémen depuis plusieurs années devrait être au centre de l’attention médiatique. Pourtant, le sujet parait absent de l’actualité. Par intérêts politiques, désintérêt du public…ou triste réalité du terrain ?

Clashes in Yemen

Le photo journaliste Evab ez-Zebiri a trouvé la mort lors d’un bombardement au Yémen (Crédit : Abdulnasser Alseddik/AFP)

Au moins 10 000 morts, dont 3 800 civils, 14 ans d’instabilité et 22,2 millions de personnes en besoin d’aide d’humanitaire, voilà la situation du Yémen aujourd’hui. Malgré ce constat dramatique, le conflit apparaît peu dans le paysage médiatique occidental. Pour certains analystes, cette absence est due à un conflit d’intérêts politique. « Paris et Riyad entretiennent des relations privilégiées » rappelle David Rigoulet-Roze, chercheur à l’institut français d’analyse stratégique. « Les Saoudiens veulent que l’on parle le moins possible de ce qui se passe dans cette partie du monde, et par conséquent les chancelleries occidentales vont dans le même sens ». Pour les journalistes qui sont allés sur le terrain, en revanche, la politique n’interfère pas dans le traitement médiatique. « Il est faux de penser que nous subissons des influences,les journalistes sont totalement indépendants » rappelle Omar Ouahmane, correspondant au Yémen pour Radio France au micro de France Inter. Mais alors, si ce n’est pas l’intérêt politique qui empêche la guerre au Yémen d’être couverte par les médias, comment expliquer cette absence ? Le désintérêt du public se présente comme une réponse possible. Seulement, rien ne semble aller vers une lassitude vis-à-vis du Moyen-Orient, comme en témoignent les articles récurrents sur les autres conflits présents dans la région.

Les pires conditions de travail au monde

Classé 167ème sur 180 au classement Reporter Sans Frontières en 2018, le Yémen se place dans la zone noire aux côtés de la Syrie, la Libye ou encore la Corée du Nord. L’association parle aujourd’hui « d’une guerre oubliée faute de reporter ». Non pas parce qu’ils ne s’y intéressent pas, mais, car accéder au terrain en tant que journaliste est devenu mission impossible. Correspondant au Moyen-Orient, Omar Ouahmane a dû attendre plus de 18 mois pour se rendre au Yémen : « J’ai demandé un visa, il y a un an, dans un premier temps sans réponse, 6 mois plus tard une nouvelle tentative, ce n’est qu’un mois avant mon départ que le Visa était prêt ». De plus, la guerre a réduit à néant la structure étatique. Selon le Fragile State Index, un indicateur qui évalue et liste les pays dans lesquels l’état ne parvient plus à assurer ses missions essentielles, l’administration Yémenite est au bord du chaos et la loi est maintenant celle des forces armées. Cette instabilité rend les conditions de travail des journalistes au Yémen extrêmement dangereuses. Depuis 2015, annonçait en Mars The New Arab, média panarabe basé à Londres 30 journalistes ont été tué, plus que partout ailleurs, et 41 ont été victimes de tentatives d’enlèvement. De quoi décourager même les plus résilients. Mohammed Al Qadi, reporter yéménite qui couvre la guerre pour des journalistes étrangers, s’estime heureux s’il voit sa famille plus d’une fois par an. Interrogé par un site web anglo-saxon, il a avoué :« Je veux continuer de parler ce qui se passe, mais je ne pense pas pouvoir continuer ça longtemps. Je me sens aussi détruit que ce pays. »

Lou Florentin et Philémon Stinès