Coursier à vélo, les marathoniens de l’ombre

L’ubérisation de la société a transformé au cours des trois dernières années la relation entre le professionnel et le client. La société Uber avec ses taxis puis son service de livraison de repas à domicile illustre une mutation qui dans le secteur des coursiers à vélo a démarré avec le géant Européen Deliveroo. Un métier à part, où le livreur seul avec son vélo devient la clé de voûte invisible d’un marché à succès.

Il est 9h ce samedi matin sous la grisaille du ciel Cannois. Les rues sont calmes, week-end de vacances oblige. Pourtant dans l’une des rues parallèles de la Croisette un étrange rassemblement à lieu. Un rassemblement pourtant habituel. Ils sont une dizaine à patienter près de leur vélo ou scooter. Ils attendent tous une chose, que leur téléphone vibre.

Et puis d’un coup l’un d’entres eux s’agite. « Ah c’est à moi, enfin ! » lance-t-il au reste du groupe. Vincent vient, en effet, de recevoir sa première commande matinale. C’est Uber Eats, la société qui l’emploie, qui lui a signifié une commande à livrer. « Bon courage les amis, à tout à l’heure » lâche le jeune homme de 28 ans avant d’enfourcher son vélo et de partir en direction du magasin.

Cette opération est devenue une routine pour l’ensemble du groupe, majoritairement des garçons. Le point de rendez-vous est stratégique car il rassemble un périmètre important de restaurants. « Chaque matin c’est la même chose. On se lève et on vient ici. A force on connaît tout le monde, c’est devenu une habitude pour nous » explique Sylvain qui a démarré comme coursier à vélo il y a près de 3 ans. Une période durant laquelle son métier a considérablement changé.

« Lorsque j’ai commencé il n’y avait pas grand monde, du coup nous avions beaucoup de commandes et de travail. C’était très intéressant financièrement. Mais aujourd’hui ça a changé, beaucoup de coursiers sont arrivés et les sociétés en profitent pour baisser les prix et réduire nos avantages » pestent ce dernier.

Une réalité loin des espérances

Le constat est sans appel, alors qu’il y a quatre ans, au lancement d’Uber Eats ou Deliveroo, certains coursiers gagnaient près de 4000 euros par mois, aujourd’hui ils peinent parfois à atteindre le SMIC. Une situation qui a poussé récemment certaines associations à manifester contre les droits des coursiers à vélo jugés scandaleux. « On travaille énormément, parfois jusqu’à 10h par jour, et au final on est pas sûr de combien on va gagner. Certaines semaines on va être à 200 euros et d’autres à 500, mais c’est surtout le rythme de travail qui est compliqué » explique André, le doyen du groupe, âgé de 41 ans.

Si ces géants de la livraison à domicile avancent l’argument d’horaires de travail libres et flexibles, la réalité est toute autre. Selon la qualité de livraisons d’un livreur sur une semaine, il sera plus ou moins mis de côté la semaine suivante. Ainsi une semaine raté est pratiquement rédhibitoire dans la réussite ou non du mois. Il faut en permanence être sur le pont et surtout ne jamais refuser de commandes sous peine de voir son taux d’acceptations baisser.

Au-delà d’exigences horaires fortes, un autre argument de contestations revient à la bouche de ces coursiers à vélo : la solitude face au travail. Exit le salariat, il faut être auto-entrepreneur pour démarrer dans ce métier. Créer sa micro-entreprise et donc tout gérer par soi-même. La fiscalité est également très désavantageuse et ils doivent le plus souvent reverser près de 22% de leurs revenus à l’entreprise. En cas d’accidents du travail il ne faut également compter sur aucune couverture médical. C’est donc parfois à un chemin de croix que se livrent ces milliers de livreurs à travers le monde.

Des journées bien longues

Malgré chaque jour ils reviennent et sont présents pour démarrer une nouvelle journée de livraisons. Si certains ont plus de chance que d’autres et n’attendent que quelques minutes avant d’être sollicité, d’autres patientent bien plus longtemps. Ce jour là c’est le cas de Sylvain et André. « Regardez l’heure, il est 9h45, et toujours rien » lance le premier, « Les périodes de vacances sont toujours très calmes, mais là c’est vraiment long » complète le second.

Il est 10h quand ils peuvent tour à tour commencer leur journée avec des livraisons pour des boulangeries. Mais une nouvelle fois certains restent à quais. Lorsque Vincent, qui était parti le premier, revient après 1h30 de livraisons il ne repartira pas avant le début d’après-midi. Quatre heures de travail (ou d’attentes) pour au final 20 euros. « Il y a quelques temps le barème tarifaire m’aurait offert le double, et puis il y aurait eu des primes ou des minimums pour chaque heure, mais maintenant tu n’as rien, tu attends et tu n’es pas payé » rappelle ce dernier agacé par les conditions quotidiennes de travail.

De façon générale les périodes du midi et du soir sont les plus intéressantes pour ces coursiers à vélo. Mais le peu de demande, par rapport à l’importance de l’offre ne suffit pas. « Il faut venir tôt le matin, rester l’après-midi et finir tard le soir, souvent vers minuit, pour espérer une journée pleine car sinon on s’embarque dans un schéma qui n’est fiable et qui peut nous faire perdre beaucoup d’argent » explique Sylvain resté malgré lui à nos côtés.

Coursier à vélo, malgré les promesses espérer, est devenu un métier qui ne laisse pas le droit à l’erreur. La multiplication des livreurs a donné l’avantage aux entreprises qui bénéficient d’une quasi exclusivité sur le marché pour réaliser des bénéfices qui ne profiteront jamais à leurs auteurs.

Raphaël Redon