Buzzles Rewind #3 : L’avenir incertain des Rohingyas

Buzzles Rewind revient sur un événement majeur de l’actualité de l’année précédente grâce à une infographie et un article. L’occasion de prendre du recul sur la situation et d’en suivre les évolutions. Notre troisième épisode porte sur l’avenir incertain des Rohingyas, un an après leur exil au Bangladesh.

L’infographie :

La fin de la guerre civile colombienne _ (5)

L’article : L’avenir incertain des Rohingyas

Il y a plus d’un an, les Rohingyas, cette communauté musulmane birmane vivant dans l’Est de l’Arakan (ou État de Rakhine selon les appellations), à l’ouest de la Birmanie, subissait ce que la communauté internationale considère comme un “nettoyage ethnique”. Soumis à des persécutions de la part de l’armée Birmane, plus de 900 000 Rohingyas ont dû fuir vers le Bangladesh, le pays voisin.

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L’État d’Arakan compte plus de 3 000 000 d’habitants, principalement des Arakanais et des Rohingyas. (Source : L’Histoire)

La communauté rohingya représentait un peu plus de 2% de la population birmane en 2014, soit près de 1 300 000 personnes dans un pays qui compte 51 millions d’habitants.

Elle est persécutée depuis des décennies par le gouvernement birman. C’est d’ailleurs la minorité la “plus persécutée au monde” selon l’ONU. Depuis les années 1960, les Rohingyas subissent des discriminations et des violences de plus en plus fortes, attisées aujourd’hui par la haine antimusulmane des nationalistes bouddhistes, très actifs dans le pays. Parmi celles-ci, un accès à l’emploi et à l’enseignement supérieur contrôlés par l’armée, et des milliers de personnes confinés dans des camps, astreints à des travaux forcés. Leurs terres leur ont été confisquées et cédées à des colons bouddhistes. Considérés comme apatrides, les Rohingyas sont parqués dans des sortes de ghettos. L’origine supposée étrangère des Rohingyas sert de justification de leur exclusion de la citoyenneté birmane. Depuis 1990, l’État Birman a reconnu 135 groupes ethniques nationaux. Les Rohingyas ne figurent pas sur cette liste, ce qui nourrit le refus des autorités birmanes de reconnaître cette communauté.

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La religion majoritaire en Birmanie est le Bouddhisme. (Source : CCFD-Terre Solidaire)

 

Une situation qui a mené à la création d’un groupuscule armé “pro-rohingya” contre le gouvernement birman. Leurs actions ont mené à la mort de douze policiers dans des attaques contre des commissariats. En représailles, l’armée birmane a lancé une attaque sur le groupe mais vise en réalité toute la communauté rohingya. C’est à partir de ce moment qu’a réellement débuté le “nettoyage ethnique” et l’exode massif vers le Bangladesh. L’armée birmane a d’abord commencé par brûler les villages rohingyas, puis massacrer ceux qui s’y trouvaient. Une situation de terreur permanente qui a contraint la communauté musulmane à l’exil, en laissant tout derrière eux. Depuis, les Rohingyas exilés vivent dans des camps de réfugiés à l’est du Bangladesh.

 

La communauté internationale est impuissante   

L’isolement de la région et l’interdiction totale d’y entrer rend impossible l’accès des médias et des ONG. En mars 2017, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté une résolution visant à mener “une mission internationale indépendante d’établissement des faits”, afin de clarifier la situation. Mais le gouvernement birman a refusé de coopérer. Il est important de rappeler qu’en Birmanie, l’armée demeure plus puissante que le gouvernement. En effet, en vertu de la constitution de 2008, la force militaire conserve le pouvoir sur le ministère de l’Intérieur, de la défense et des frontières.

En décembre 2017, deux journalistes de Reuters ont été emprisonnés pour avoir enfreint la règle du “secret d’État”, alors qu’ils enquêtaient sur la mort de dix Rohingyas dans l’État d’Arakan. Jugés début septembre, ils ont tous les deux été condamnés à 7 ans de prison. Cette condamnation montre la volonté de la Birmanie d’écarter sa responsabilité dans le massacre et l’exode des Rohingyas. 

 

La situation actuelle

 

Une crise migratoire devenue une crise humanitaire

Alors que près d’un million de Rohingyas ont fui la Birmanie l’an dernier, certains continuent d’arriver au compte-goutte au Bangladesh. Selon le tracking de l’UNHCR, en septembre 2018, plus de 900 000 réfugiés sont situés dans la région de Cox’s Bazar, dans le plus grand camp de réfugiés du monde. Ils y vivent dans des conditions plus que précaires. Ainsi, un an après leur exode, les Rohingyas ont des besoins toujours très importants. « Les conditions de vie dans le camps n’ont pas changé. Les abris sont toujours en bambou et en plastique » raconte un membre de Médecins Sans Frontière, en charge du pays. « Il y a vraiment une grande densité de population ce qui rend l’accès à l’eau potable difficile dans certaines parties du camp ».

Coupés de leur terre natale, quelques jeunes réfugiés peuvent toujours suivre un semblant de scolarité. Selon l’ISCG (Inter Sector Coordination Group), depuis mars 2018, 162 000 jeunes et enfants ont reçu un apprentissage scolaire. Des progrès qui sont tout de même tempérés par ce membre de MSF : « Le taux de pauvreté est énorme au Bangladesh ce qui rend difficile d’entretenir un camp d’un million de personne ».

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Des réfugiés rohingyas traversent le camp de Kutupalong en Ukhia près de Cox’s Bazar le 12 août 2018. (Photo : Chandan Khanna / AFP)

De nombreuses organisations non gouvernementales sont présentes sur les camps. Ces dernières proposent aux réfugiés des soins, des aides alimentaires ou un accès à l’éducation. MSF affirme que beaucoup d’efforts sont fait sur le plan médical. « L’accès au soin primaire est bien couvert, puisque 33 centres de soin sont présents sur le site. »

Mais certaines situations restent difficiles à contrôler. « Il y a encore des pathologies très peu couvertes, comme les soins psychiatriques ou les maladies chroniques » regrette Médecins Sans Frontières.

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Cette photo prise le 9 avril 2018 montre une mère rohingya assise à côté de son enfant malade, qui est soigné dans une clinique de Médecins sans frontières, au camp de réfugiés de Kutupalong dans le district d’Ukhia, au Bangladesh. (Photo : Munir Uz Zaman / AFP)

Une aide coordonnée

Une coordination locale (ISCG) et une coordination nationale (SEG) gèrent les ONG. Les deux coordonnent les actions des 15 associations sur place par secteur d’intervention. Tous les jours une réunion a lieu pour répartir les tâches entre les différents acteurs. Dès leur arrivée au camp, les Rohingyas sont pris en charge par les associations qui leur donne une carte d’identité. Cette carte leur permet chaque semaine d’obtenir des provisions.

Chaque camp est contrôlé par les militaires bengalais qui reçoivent un très bon accueil de la part des Rohingyas. Si la situation semble être stable dans les centres, il n’en est pas de même à l’extérieur. La population locale commence à montrer des signes d’agacement. « On peut noter des incidents de tabassage arbitraire de la part de la police locale mais à la marge, indique le membre de Médecins Sans Frontières interrogé, le sentiment anti-rohingyas, anti-ONG est de plus en plus fort au niveau de la communauté locale, cette tendance ne fera que s’accentuer plus on approche des élections prévues pour fin décembre 2018. »

Même si la plupart des Rohingyas sont partis pour le Bangladesh, certains sont encore bloqués au nord de l’Etat birman. Médecins sans frontière compte 3600 employés et volontaires. L’association humanitaire est très active auprès des Rohingyas. Mais depuis août 2017, elle n’a plus accès à la Birmanie pour venir aider les populations persécutées sur place. « MSF n’a toujours pas obtenu l’autorisation de la part du gouvernement birman de reprendre ses activités, mais est prêt à intervenir une fois l’autorisation est obtenue », souligne le membre de l’ONG.

 

Une situation bloquée

8 000 Rohingyas souhaitent rejoindre leur pays mais l’État birman n’est prêt à accepter seulement un premier groupe de 2251 réfugiés. « Je doute sur le fait que la population birmane regrette la situation et l’exil de tous les Rohingyas. Pour un vrai changement il faut qu’ils obtiennent des droits dans le pays », explique Nicolas Depoorter secrétaire général de FriendShip France.

Pour les plus courageux qui décident de repasser la frontière plusieurs étapes sont à prendre en compte. Les Rohingyas doivent passer 6 mois dans des centres d’accueil, contrôlés par l’armée birmane. Dans ces camps qui peuvent garder 30 000 personnes, aucun contact avec l’extérieur n’est autorisé. Retrouver une vie normale est donc impossible.

Les réfugiés attendent que le gouvernement reconnaisse le statut de citoyen aux Rohingyas. « Il faut dénoncer cette situation hallucinante. Un procès pourrait pousser à créer une  vraie démocratie et enlever l’influence de l’armée au gouvernement. Cela permettrait de reconnaître à nouveau une nationalité aux rohingyas », détaille Nicolas Depoorter.

Un accord a été signé entre l’ONU et la Birmanie en juin 2018 pour essayer de stabiliser la situation. L’état refuse néanmoins de reconnaître un génocide envers la communauté musulmane de son pays. Un accord qui est mal vu du côté des réfugiés. Ils craignent un retour forcé dans leur pays où la situation sera la même qu’aujourd’hui s’ils n’ont pas de statut spécifique. Depuis 1982, les Rohingyas ne sont plus considérés comme citoyens birmans…

 

Arno Tarrini

Elliott Sentenac

Bastien Blandin

Valentin Rivollier

Mathieu Obringer