
Étiquettes
Un aparté avec Maïssa Bey
Samia Benameur plus connue sous le pseudonyme de Maïssa Bey a écrit plusieurs romans, des nouvelles, des poèmes et des essais… L’écrivaine algérienne a été récompensée à plusieurs reprises, elle a remporté le Grand Prix du roman francophone pour l’ensemble de ses œuvres en 2005.
La rédaction a eu l’occasion de la rencontrer au Festival du Livre de Mouans-Sartoux, où elle venait présenter son nouveau roman, Nulle autre voix paru le 23 Août 2018 par la maison d’édition L’Aube.
Dans ce roman Maïssa Bey dresse le tableau d’une femme meurtrie par la vie. Elle a tué son mari. Elle le raconte à travers une écriture simple et directe sans tomber dans le pathos en soulevant de nombreux sujets tabous en Algérie, comme l’amour, le sexe, les violences conjugales, l’incarcération des femmes…
Bonjour, je vais commencer avec une question simple, qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ?
Ce qui m’a poussé à écrire, c’est le trop plein de silence. Le trop plein de silence des femmes en Algérie, le trop plein de silence de moi en tant que femme. Les livres ont toujours fait partis de ma vie mais ce sont les livres et les mots des autres. Un beau jour j’ai eu envie sans avoir vraiment décidé d’être écrivain ni rien, mais de raconter une histoire et je l’ai raconté. Et cette histoire est devenue un roman que j’ai publié.
Pourquoi écrire en français alors que vous êtes d’origine algérienne ?
J’ai toujours vécu en Algérie mais le français est ma langue. Je suis une enfant colonisée, je n’ai appris que le français et je n’ai pas eu le choix en fait, c’est le français qui m’a choisie.
Parlons de votre roman, Nulle autre voix paru cet été. Pourquoi ne pas avoir donné de nom au personnage principal ?
Vous avez vu qu’à un certain moment je dis, « on ne m’appelle plus par mon nom, je suis la dénommée, l’auteur du crime, je suis la criminelle. » En fait cette femme quand elle a accompli cet acte elle a perdu son statut de femme, d’épouse de, de fille de, enfin toute sa filiation. A l’intérieur de la prison, on ne l’appelle plus que par son numéro d’écrou. Ensuite elle va reconquérir un nouveau prénom par un nouveau statut qui est celui d’écrivaine publique. C’est par l’écriture qu’elle se reconstitue, qu’elle se retrouve une nouvelle identité.
On voit que l’écriture joue un rôle fondamental dans votre roman, c’est un vecteur de liberté. Pouvez-vous m’en dire davantage sur cette place de l’écriture ?
C’est l’écriture qui joue le rôle principal dans ce texte. C’est une femme qui a toujours vécu dans le silence, dans les compromissions, la soumission. Un jour il lui est arrivé quelque chose d’extraordinaire mais au vrai sens du mot extraordinaire, elle a décidé de tuer un homme. Ce n’est pas une décision facile, une décision qu’on prend à la légère mais elle l’a prise sans trop vraiment comprendre tout ce qui l’avait amené à faire ce geste-là depuis son enfance. Quand elle se met à écrire poussée par la présence de l’écrivaine qui a envie d’écrire son histoire ; elle va fouiller avec sa plume de plus en plus profondément, de plus en plus loin dans sa vie, dans son enfance dans toutes les compromissions qu’elle a pu faire jusqu’à ce jour. Elle essaye non seulement de découvrir les réelles motivations de ce crime mais aussi de se découvrir elle-même. Jusqu’à lors elle n’avait jamais pu se pencher sur elle-même, elle avait toujours été tributaire du regard des autres, de la vie des autres, des mots des autres. Elle n’avait jamais pu savoir qui elle était réellement.
Pouvez nous parler davantage du personnage de l’écrivaine ?
Revenons au schéma du livre. C’est une femme qui a toujours vécue soumise et silencieuse, qui un jour décide de tuer son mai, elle passe à l’acte, elle est condamnée à une peine de prison de 15 ans qu’elle purge. On la retrouve au début de ce livre dans sa maison là où le crime s’est accompli, elle est dans la solitude la plus totale. Jusqu’au jour où il y a une femme qui force sa porte qui est l’écrivaine, elle a envie d’écrire l’histoire de cette femme. Alors cette écrivaine, ça aurait pu être moi mais dans le texte on n’entend pas l’écrivaine, il n’y a pas de voix et c’est bien là l’explication du titre « Nulle autre voix », il n’y a pas de voix de l’écrivaine. Il y a juste quelques questions qui sont retranscrites pour pouvoir trouver des réponses. Donc cette écrivaine c’est peut-être moi un jour il y a plus de 10 ans. J’avais décidé d’aller à l’encontre de ces femmes de manière réelle. Je me disais que ça serait intéressant de savoir pourquoi des femmes ont commis un acte fort comme celui d’ôter la vie à un homme. Je n’ai pas pu entrer en contact avec les prisonnières, j’ai pas eu les autorisations nécessaires. Ce projet s’est perdu dans l’ensemble de d’autres projets que j’avais. Un jour c’est revenu brutalement, mais c’est revenu à l’envers c’est-à-dire que l’écrivaine ne dit pas un mot mais elle est le déclencheur des mots de cette criminelle.
On sent dans votre roman un réel travail de documentation derrière tout cela. Comment avez-vous procédé ?
Je n’avais aucune idée de comment était fait l’univers carcérale. J’avais des idées que l’on a tous mais je ne savais pas exactement comment les choses se passaient. Il a fallu que j’interroge des gens qui avaient fait de la prison mais je n’ai pas eu la possibilité de tomber sur des femmes. Les femmes sont très silencieuses sur ce genre de choses, ce sont des volets de leur vie qu’elles préfèrent refermer, oublier etc. J’en ai rencontré une ou deux mais elles n’ont pas manifesté l’envie de parler de cette période de leur vie. Par contre, j’ai rencontré des hommes, deux prisonniers. L’un a fait sept ans et l’autre dix ans de prison. Je les connaissais bien avant puisqu’ils avaient été mes élèves donc ils ont bien voulu répondre à certaines questions. Pour moi ça été le choc parce que j’avais plein d’impressions sur la prison. Ils m’ont raconté les dessous de la prison et je leur ai demandé si ça se passait de la même manière dans les prisons de femmes. Ils m’ont dit que c’était autre chose encore pour elles. C’est des témoignages de gens qui ont vécu cet univers et j’ai été tellement choquée, que j’ai voulu restituer dans mon récit la violence de ce que j’avais entendu sur les conditions de vie en prison. J’ai vraiment reçu ça en pleine gueule et je me suis dit « Il faut que j’en parle, que je raconte tout ça ! ». Ce n’est pas une manière de dénoncer, c’est juste une manière de décrire et de faire le travail que moi j’ai fait, c’est-à-dire casser les représentations à propos des personnes qui sont en prisons. Donc une documentation orale mais de gens qui ont vécu cela de façon réelle.
C’est comme ça que vous est venue l’idée du livre ?
(rires) Pas du tout. L’idée du livre c’est que j’étais sur un autre roman que j’avais déjà préparé et maturé comme je le fais avec les autres textes c’est-à-dire après avoir fait beaucoup de recherches et avoir pris beaucoup de notes, je me mets à l’écriture. Donc je venais de me mettre à l’écriture, d’un autre roman avec un tout autre thème qui n’avait rien à voir. Plus j’avançais dans l’écriture et j’ai pas mal avancé et moins ce livre m’intéressait. (rires) C’est bizarre de dire ça mais je trouvais que ça manquait de souffle, de rythme que c’était un peu lent. Un jour j’étais en train de relire les pages en me demandant désespérément comment j’allais continuer ce texte. C’est un peu dur aussi de tout effacer quand on a écrit et fait un projet sur plusieurs années. Et puis une phrase m’est venue, je l’ai écrite sur l’ordinateur, elle figure à la page 4 du livre, c’est : « J’ai tué un homme. » et tout le roman s’est déroulé. C’est incroyable on aurait dit qu’il était déjà là en arrière-plan, derrière l’autre roman. Toute l’histoire s’est déroulée à partir de cette phrase, uniquement cette phrase-là. « J’ai tué un homme », qui est le « je », qui est cet « homme ». Je me rappelle que le premier jour j’ai écrit une dizaine de pages. Après, je me suis laissée entrainer par mon personnage, j’avais pas de préméditations, je ne savais pas où je devais aller. Je savais que c’était une femme qui avait tué son mari, qui sortait de prison et qui allait raconter ça mais comment et pourquoi, je ne savais pas. Bon le personnage de l’écrivaine évidement est arrivée parce que je pense que ça rejoignait mon projet qui était très ancien et voilà comment les choses se sont faites.
Imane Bounar