février 13

[L’Extra-Ordinaire] La Jungle, témoigner pour éveiller les consciences

Samedi 26 janvier, des élèves de l’Institut International de l’Image et du Son présentent leur court-métrage, La Jungle, au cinéma Balzac à Paris. Un film pour témoigner de la vie des réfugiés à Calais.

Tia Diagne interprète le rôle de Ava, jeune femme réfugiée à Calais. Photo / Charlotte Quéruel

« Si je n’ai rien à raconter sur moi-même alors je raconterai la vie des autres. »

« J’ai voulu donner la parole à ceux qui ne l’ont pas, ceux que le hasard a privé de liberté. » Victor Ohmer, étudiant en cinéma à l’Institut International de l’Image et du Son (3IS) a consacré son film de fin d’étude, La Jungle, aux réfugiés de Calais. « Si je n’ai rien à raconter sur moi-même alors je raconterai la vie des autres » explique le jeune réalisateur, qui souhaite avant tout aborder d’importants sujets sociétaux. En août 2017, il regarde à nouveau La Haine, un film qui raconte la vie de trois amis en banlieue. L’univers de Mathieu Kassovitz l’inspire.

« Qu’est ce qu’ils font tous à Calais? »

Ces dernières années la question des réfugiés est de plus en plus abordée dans les médias, mais Victor s’interroge « qu’est ce qu’ils font tous à Calais?» C’est ainsi que naît l’idée d’un film qui témoignerait de la situation des migrants après la jungle. « Si tu veux tout raconter, tu ne racontes rien ». Faire des choix, c’est la première difficulté à laquelle ont dû faire face Victor, le réalisateur et Amandine, la scénariste.

Ils ont peur de ne pas avoir la légitimité nécessaire pour parler d’un sujet aussi complexe et vaste que celui-ci. Amandine confie : « J’avais trop peur de leur faire du mal en fictionnant tout ça, peur d’écrire des maladresses et déformer une réalité ». Ils ont ressenti le besoin de se rendre sur place, pour s’immerger afin de créer une histoire honnête et juste. « La sensation là-bas était étrange, le premier jour on avait l’impression de ne plus rien ressentir. Je pense qu’on réalisait vraiment pourquoi nous avions choisi ce sujet. » se souvient Amandine.

La Jungle, un projet ambitieux

Pour une réalisation étudiante d’une telle envergure, faire face à une «multitude de challenges » est inévitable. Mais la volonté de l’équipe a toujours primé sur les difficultés. Dès la mise en place du projet, l’école a émis quelques réserves. D’après elle, le tournage se révélait être trop ambitieux. Tourner de nuit, en province, avec un enfant. Trois situations exceptionnelles qui exigent une dérogation de l’Institut. Au début, « l’école nous mettait des freins, en partie parce qu’ils pensaient que le projet n’était pas réalisable » précise Victor. Leur cagnotte de financement participatif de 4 500€ est la plus importante de l’histoire de 3IS. Le réalisateur souligne : «une fois qu’on a rempli la cagnotte ils nous ont fait confiance et nous ont aidé ».

« Le pire nous est arrivé, le reste de la semaine va être tranquille ».

Outre les problèmes de pré-production, l’équipe se heurte aux difficultés réelles de tournage : le vent, le froid, la pluie. Ces éléments imprévisibles s’ajoutent à la fatigue physique et psychique d’une réalisation de nuit. La reconstitution de la jungle dans la cour de l’école, a également été un challenge. Trois jours à scier, ranger, installer. Pour brûler, grapher, casser. L’objectif est clair : rendre la jungle aussi réelle que possible.

La reconstitution de la jungle de Calais à l’école de cinéma 3IS durant le tournage du court-métrage La Jungle. Photo / Charlotte Quéruel

Finalement l’équipe relativise, elle a surmonté tous les obstacles malgré le désistement d’un des acteurs. Ce jour là, Alfred, assistant réalisateur ironise « le pire nous est arrivé, le reste de la semaine va être tranquille ».

Un soutien unanime

« Je ne fais plus de tournage pour les étudiants mais le dossier de Victor était tellement professionnel que je ne pouvais pas refuser. » Audrey Giacomini, actrice dans La Jungle a décidé de soutenir le projet d’un « réalisateur passionné et travailleur ». C’est également le cas de Tia Diagne, l’actrice principale et des autres comédiens. Tous sont unanimes, la qualité de rédaction du scénario a beaucoup joué dans leur décision de participer au film.

Dès le début du projet Jean-Teddy Filippe, professeur et cinéaste reconnu «nous a tiré vers le haut, il a été exceptionnel » se remémore Victor. Proches et anonymes se sont aussi investi dans le projet en y contribuant financièrement. La cagnotte en ligne a récolté 120% du montant attendu. Bénévoles, figurants et collaborateurs ont été motivés par l’envie de transmettre un message, de témoigner.

« Ce que je voulais c’était montrer, pas dénoncer »

Quatorze minutes et cinquante-cinq secondes pour témoigner et éveiller les consciences. Pour le réalisateur, le film ne doit en aucun cas être moralisateur : « ce que je voulais c’était montrer, pas dénoncer ». Tia Diagne souligne qu’il n’y a « pas de prise de position ni de jugement ». « C’est un beau film, très subtil, qui n’est pas accusateur mais juste, qui montre les faits, ce qui est bien plus intelligent. » ajoute Audrey Giacomini.

Au cinéma Balzac, samedi 26 janvier plus de 220 personnes ont assisté à la projection de La Jungle. Photo / Nicolas Deleplace

Applaudissement sans fin et visages émus. Samedi 26 janvier, au cinéma Balzac près des Champs-Elysées, le public est conquis. « Je n’ai pas vu le temps passer» déclare, admiratif, un spectateur. Pour Victor Ohmer c’est le plus beau compliment qu’on puisse lui faire.
Aujourd’hui le but est de faire voyager le film un maximum explique t-il. La Jungle est en lice pour des récompenses dans de nombreux festivals. Il remporte déjà le prix de la meilleur réalisation étudiante au festival international de New Delhi. « Avec la fin ouverte les gens sont frustrés et ils en parlent », c’est une réussite pour l’équipe. Elle est aussi gage d’espoir.

Lisa Noyal et Charlotte Quéruel